À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Sandrine Jean «Ville ou banlieue? Les choix résidentiels des jeunes familles de classe moyenne dans la grande région de Montréal », publié dans Recherches sociographiques, vol. 55, no 1 (2014), p. 105-134. 

  • Faits saillants

  • Qu’elles aient choisi la ville ou la banlieue, les familles rencontrées partagent toutes le même désir d’habiter un milieu de vie qui leur ressemble et qui constitue un environnement sain pour les enfants.
  • L’achat d’un bungalow est la motivation principale des banlieusards, alors que les citadins privilégient la proximité des services.
  • La vie familiale des banlieusards ne peut être pensée sans la voiture tandis que celle des citadins se résume plutôt par l’adage « tout faire à pied ».

La tranquillité de la banlieue ou le bourdonnement de la vie en ville? C’est l’un des dilemmes auxquels sont confrontés de nombreux jeunes couples québécois qui songent à fonder une famille. Quels sont les facteurs qui motivent leur choix ?

Pour répondre à cette question, Sandrine Jean, professeure d’anthropologie à l’Université Memorial de Terre-Neuve, s’est entretenue avec 51 jeunes familles de la classe moyenne installées dans le quartier Ahuntsic, à Montréal (27) et du quartier Vimont-Auteuil, à Laval (24). L’auteure cible ainsi des participants issus de quartiers comparables : nombre d’habitants, présence grandissante de membres de la classe moyenne, de jeunes familles et de communautés ethniques, accessibilité à la propriété et facilité d’accès (réseau routier). Les familles rencontrées devaient répondre à trois des quatre critères suivants :

  1. Habiter dans un quartier de la classe moyenne
  2. Avoir un revenu familial brut situé entre 40 000 $ et 120 000 $
  3. Occuper une position intermédiaire dans l’échelle socioprofessionnelle (cadre, col bleu ou col blanc)
  4. Se définir comme appartenant à la classe moyenne.

Mon bungalow, ma voiture

Sans surprise, la motivation première des banlieusards est liée à des considérations économiques. Le trois quart des familles banlieusardes interrogées mentionne que « Montréal, c’est inaccessible ! On oublie ça. ». En choisissant le quartier lavallois, ils considèrent en avoir plus pour leur argent.

« Je voulais avoir un bungalow. Je voulais avoir une cour. J’ai un sous-sol, une grande salle de jeu, une piscine. Je ne pourrais pas avoir ça à Montréal pour le prix que l’on peut mettre. » 

Être propriétaire d’un bungalow, c’est  « l’archétype de la banlieue », selon l’auteure. Vingt des vingt-quatre familles de Vimont-Auteuil sont propriétaires d’un bungalow, un type de résidence associée à la liberté, à la tranquillité, bref, à la sainte paix ! Les tâches associées à l’entretien d’une telle propriété sont perçus comme un petit prix à payer pour accéder à cette qualité de vie.

« Quand on va être tanné de tondre du gazon, on va peut-être revenir à un condo à Montréal ! » 

La voiture est, elle aussi, un élément central de la vie de banlieue. À l’exception de quelques familles, les banlieusards ont habituellement deux voitures pour répondre à leurs besoins. Paradoxe intéressant : c’est en partie pour échapper aux difficultés liées à certaines utilisations de la voiture en ville (problèmes de stationnement, déneigement) que ces familles optent pour la banlieue. Or, l’utilisation de la voiture est beaucoup plus fréquente en banlieue qu’en ville, sinon incontournable.

Mon quartier, mes services

Pour les participants qui résident dans Ahuntsic – 19 propriétaires de duplex ou triplex et 8 locataires – les motivations sont centrées sur la proximité des services, la vie de quartier et son côté pratico-pratique ainsi que la vitalité culturelle. La famille en sort gagnante, tant en termes de temps qu’en possibilités d’activités, selon les répondants.

Le choix d’un quartier comme Ahuntsic n’est pas anodin : tous les participants mentionnent le sentiment d’appartenance qui les habite. Le parc, la bibliothèque, l’école, les commerces… Les résidents s’approprient avec facilité les lieux de leur quartier puisqu’ils sont accessibles à pied. Le choix d’habiter Ahuntsic relève beaucoup de cette proximité des services. Selon l’auteure, c’est « une dimension non négociable de leur stratégie de localisation résidentielle », un avantage qui compense largement le fait d’habiter dans moins grand qu’un bungalow.

« […] c’est un super quartier. L’école est fantastique, tu peux y aller à pied. Les voisins, c’est vraiment super. La petite vie de quartier, la rue Fleury, la boulangerie, la bibliothèque, le Club vidéo… On peut y aller à pied ! » 

Cette proximité des services se traduit également par une économie de temps; les heures consacrées au transport sont moins importantes, ce qui, selon les Ahuntsicois, leur permet de passer plus de temps en famille et de faire plus d’activités éducatives, culturelles et sportives dans leur quartier.

Semblablesmais différents

Les familles de Laval et de Montréal fondent leur choix sur certains faits et opinions semblables. Par exemple, les familles propriétaires comptaient sur un budget d’achat similaire, ce qui remet en question l’argument voulant que les propriétés soient hors de prix à Montréal. Tant en ville qu’en banlieue, les familles optent pour un quartier à leur image, qui leur permet d’être entourées de « gens comme eux » et de développer ainsi des rapports de voisinage conviviaux. S’installer dans un quartier où il y a des parcs ou des espaces verts, offrir un environnement sain aux enfants sont aussi des motivations propres aux deux groupes.

Les banlieusards et les citadins se distinguent cependant radicalement par leur façon de s’approprier, ou non, le quartier. L’auteure note que les banlieusards sont heureux d’être entourés d’autres bungalows familiaux mais que leur représentation du quartier s’arrête… à la frontière de leur propriété. À l’inverse, les citadins développent une grande connaissance de leur quartier, et se l’approprient quotidiennement avec chaque déplacement à pied.

« […] ma maison déborde dans la rue, mon quartier, c’est toute la ville. » 

Petite banlieue deviendra grande

Les résultats de cette recherche sont intéressants dans la mesure où ils décrivent bien les différentes représentations de leur milieu propres aux citadins et aux banlieusards. L’auteure s’interroge aussi sur les fondements d’une division ville/banlieue entre Montréal et Laval. Laval est aujourd’hui la troisième plus grande ville du Québec, derrière Montréal et Québec. Peut-elle vraiment être encore considérée comme une banlieue de la métropole ? Son autonomie grandissante ne lui donne-t-elle pas plutôt le statut de ville à proprement parler ? « Plus de la moitié des familles de Vimont-Auteuil ne considèrent pas qu’elles résident en banlieue de Montréal, mais bien dans la ville de Laval, une ville à part entière », souligne la chercheure. Il serait pertinent de mener une étude similaire en prenant en compte, cette fois, un réel quartier de banlieue.