Quelques repères sur la région
Immense territoire qu’occupent les Algonquins depuis des millénaires, l’Abitibi-Témiscamingue tire son appellation des noms autochtones des deux plus grands lacs qu’elle compte. À la fin du XVIIe siècle, la région assiste à l’arrivée des premiers coureurs des bois, mais il faut attendre 1850 avant de voir les premières intentions de colonisation. Le Témiscamingue, la partie sud de la région, se développe surtout grâce à l’agriculture tandis que dans le nord, les explorations minières et l’industrie forestière attirent plusieurs milliers d’habitants au début des années 1900. La découverte de plusieurs filons engendre la fondation de plusieurs villes comme Rouyn (1926), Noranda (1926), Val-d’Or (1934) ou Malartic (1935). Ces villes ont un tel pouvoir d’attraction leur population atteint plusieurs milliers d’habitants quelques années seulement après leur fondation. Par exemple, Rouyn compte près de 9 000 habitants uniquement 15 ans après sa fondation. La moitié des nouveaux arrivants proviennent de l’Ontario et de l’Europe de l’Est donnant un caractère cosmopolite à ces villes. Depuis, les années 1960, l’agriculture est en baisse dans la région et les villes de Rouyn-Noranda et de Val-d’Or récoltent la majorité des ruraux en quête de travail. Les activités économiques de ces villes sont de plus en plus diversifiées notamment avec la montée des secteurs des services, le développement de la culture et de l’éducation (cégep, UQAT). Ainsi, depuis la fin du boom minier (1950), la croissance démographique de ces villes est nettement plus modeste. Quant aux campagnes, elles se vident et, mine de rien, la région connaît un exode de sa population jusqu’au début des années 2000.
Portrait de population
Une croissance qui a du plomb dans l’aile
Fait surprenant pour une région éloignée : l’Abitibi-Témiscamingue a réussi à ralentir l’exode de sa population depuis 2005, en dépit d’une croissance toutefois faible. Selon une prévision à plus long terme, la population de l’Abitibi-Témiscamingue croitra de 4,8% entre 2011 et 2036. Une augmentation beaucoup plus faible que celle que devrait connaître la province pour la même période (17,3%). La croissance sera également inégale au sein des MRC : La Vallée-de-l’Or (8%), Rouyn-Noranda (7%) et Abitibi (6%) verraient leur population augmenter modestement, alors qu’elle diminuerait dans Abitibi-Ouest (-2%) et Témiscamingue (-3%).
La région est l’une de celles au Québec où le poids démographique des Autochtones est le plus important. En effet, leur présence dans les réserves correspond à 1,1 % de la population du Québec en 2011, mais compte pour 4,6% en Abitibi-Témiscamingue. Plusieurs communautés algonquines occupent le territoire particulièrement dans le Témiscamingue où plus d’un habitant sur 5 est Algonquin.
Portrait des familles
L’effondrement du nombre de familles, mais…
D’année en année, les enfants deviennent une denrée rare en Abitibi-Témiscamingue. Entre 2006 et 2016, le nombre de familles avec au moins un enfant à la maison a diminué de 10 %. Cet écart se creuse dans le Témiscamingue où la diminution frôle le 20 % durant la même période. S’il y a moins de familles, elles comptent toutefois plus d’enfants que dans le reste de la province. En effet, 17,4 % des familles ont au moins trois enfants, plaçant la région en quatrième position, derrière le Centre-du-Québec (17,9%), l’Estrie (18,2%) et le Nord-du-Québec (31,9%).
Les jeunes familles : le joyau de la région
Non seulement les familles sont plus populeuses, mais elles sont aussi plus jeunes. En effet, trois familles sur dix ont un parent âgé de moins de 35 ans (30,4%). Renforçant le sentiment de petite jeunesse, plus de trois familles sur huit (28,6%) ont des enfants entre 0 et 5 ans. Phénomènes que seul le Nord-du-Québec surpasse : 37,8% des familles y sont composées d’un parent qui a moins de 35 ans et 37,2% des ménages ont des enfants de moins de cinq ans.
Une monoparentalité un peu moins féminine
Les femmes restent majoritaires à la tête des familles monoparentales, mais un peu moins en Abitibi-Témiscamingue qu’ailleurs au Québec. En 2016, 69,1% des familles monoparentales sont dirigées par une mère. Il s’agit de la région avec la part la moins élevée, alors que la moyenne québécoise est d’environ 75%. En comparaison, la région de Montréal présente la plus forte proportion de mères seules au Québec (81,7%).
Le mariage prend la porte
Se marier ou ne pas se marier? Les couples de l’Abitibi-Témiscamingue penchent plutôt pour l’union libre. En effet, en 2016, bien que les écarts ne soient pas grands, c’est dans cette région qu’il y aurait le plus d’unions libres (62%), aux côtés de la Côte-Nord (61,2%) et du Bas-Saint-Laurent (60,7%). À l’échelle de la province, cette proportion est plutôt d’environ 43%.
Conditions de vie
Une jeunesse qui décroche
Les jeunes ne courent pas après les diplômes. La région compte plus 20,9% de sa population sans diplôme, tandis que la moyenne québécoise se situe à 13,3%. Si cette tendance est moins observée chez les jeunes femmes (15-19 ans), elles ne sont pas non plus totalement en amour avec l’école, qu’elles quittent davantage que les étudiantes du reste du Québec.
La ruée vers l’or
Les familles1 de l’Abitibi-Témiscamingue s’en sortent plutôt bien financièrement. En 2016, les ménages à faible revenu représentent 7,1% de la population, ce qui reste tout de même plus que le Saguenay-Lac-Saint-Jean (6,3%) ou le Bas-Saint-Laurent (6,5%), par exemple, mais moins que la province, où il atteint 9,5%.
Richesse matérielle et sociale : le Klondike québécois… chacun pour soi?
En 2011, entre pauvreté matérielle et richesse sociale, la population est économiquement plus vulnérable que l’ensemble du Québec. En effet, 28,0% de la population de la région est très défavorisée sur le plan matériel.
En revanche, les réseaux sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue sont bien déployés. La population régionale de la région est moins touchée par la défavorisation sociale que l’ensemble du Québec. Seulement 12% de sa population est considérée comme étant socialement très défavorisée.
L’Abitibi-Témiscamingue et la recherche
La présence de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue à Rouyn-Noranda incite quelques chercheurs, surtout des étudiantes et étudiants à la maîtrise ou au doctorat, à se pencher sur différentes problématiques familiales spécifiques à la région. Le volume de recherches demeure modeste et certains filons sont davantage exploités, comme les enjeux qui entourent les Autochtones.
Les Autochtones et la recherche
Les clés de la résilience familiale
Comment la résilience se construit, se consolide et se transmet dans les familles autochtones de la communauté anicinape de Kitcisakik? Les parents qui ont vécu des traumatismes liés à la colonisation tentent de léguer à leurs enfants des outils pour s’en sortir et éviter que l’histoire ne se répète, selon Sioui (2017). Son étude vise à décrire les obstacles que les familles acininapek ont surmontés, et surmontent toujours.
Les changements climatiques ainsi que l’exploitation des ressources naturelles nuisent grandement aux Autochtones de l’Abitibi-Témiscamingue, affectant leurs territoires de chasse et de trappe et réduisant les ressources disponibles. Quels sont les effets de ces perturbations sur les dynamiques familiales? La pression, causée par l’effet des changements environnementaux sur le lieu et le mode de vie qui soutiennent leur culture et leur sentiment d’identité collective, s’accentue sur les familles anicinape, ce qui fragilise leurs liens familiaux au profit de conflits et d’inquiétudes face à l’avenir (Casu, 2018).
L’importance de la famille pour les autochtones à l’extérieur des réserves
Une autre recherche s’intéresse aux dynamiques des relations entre les autochtones, les allochtones et la ville de Val-d’Or. En décortiquant leur réseau social, Cornellier (2011) montre l’importance de la famille, particulièrement la place qu’y occupent les enfants. Même pour les Autochtones à l’extérieur des réserves, la famille, proche ou élargie, et les amis influencent leurs valeurs et leur identité. L’auteure explique aussi comment cette relation avec leur entourage influence leur rapport à la ville.
La sécurité routière : éviter le coup de grisou
Devant une sous-utilisation des sièges automobiles pour enfants par les parents dans les communautés autochtones anicinabek de Lac-Simon et Kitcisakik, des chercheurs ont évalué les différents types d’interventions disponibles pour favoriser la sécurité des enfants. Gernier et ses collègues (2016) montrent ainsi que la pauvreté est un facteur explicatif contrairement à la négligence parentale qui était pointée à tort. Les deux communautés étudiées partagent une vision de responsabilité collective des enfants qui n’est absolument pas remise en question.
Délinquance juvénile : remettre le chariot sur les rails
La surreprésentation des adolescents issus des Premiers Peuples dans le système judiciaire est préoccupante. À ce sujet, la délinquance juvénile chez les Algonquins d’Abitibi est au cœur de l’étude de Fournier (2015). Elle s’intéresse aux perceptions des jeunes, des intervenants et des acteurs du milieu de la justice et suggère des pistes d’intervention pour augmenter les chances de réadaptation des jeunes délinquants.
Intervention familiale et pratiques parentales
La famille dans les interventions
La collaboration des familles est essentielle au bon déroulement des interventions en santé. En effet, les familles joueraient un rôle majeur dans le développement, mais aussi le changement des habitudes de vie des gens en surpoids (Perron, 2011 ; et Sohi, 2011). De ce fait, les interventions en lien avec l’obésité devraient inclure les familles. L’implication active de la famille dans le processus de communication entre les professionnels de la santé, le patient et sa famille concernant le choix de soins aurait également des effets bénéfiques (Sohi, 2011).
Les pratiques parentales à la rescousse!
Vivre dans une situation de pauvreté matérielle peut affecter la santé, ainsi que le développement physique, affectif et social des enfants. Une autre recherche cible les parents qui vivent en situation de pauvreté et s’intéresse aux pratiques qu’ils développent. Rus-Haicu (2015) montre que plusieurs pratiques, telles que l’engagement significatif des parents auprès de leurs jeunes, des mesures disciplinaires adéquates et souples, une ouverture vers le milieu extérieur de la famille et une confiance en ses capacités parentales, protègent les enfants des effets négatifs habituellement associés à la pauvreté. L’auteure s’est entretenue avec des personnes d’Abitibi-Témiscamingue qui proviennent d’une famille pauvre, mais qui ont bénéficié de pratiques parentales positives et connu un développement sans difficulté.
Le milieu de travail
Quand travail se conjugue avec conciliation
La conciliation travail-famille occupe une place privilégiée dans le cœur des travailleurs et travailleuses des petites et moyennes entreprises. Selon Morin (2010), offrir des journées de congé personnel aux employés permettrait de réduire les conflits potentiels entre la vie familiale et le temps de travail. Quels sont les facteurs qui contribuent au stress des mères de la ville de Rouyn-Noranda? Les mesures de conciliation travail-famille et le nombre d’enfants porteraient une bonne partie de la responsabilité, selon Pelletier (2012).
Quelles réalités pour les familles de la région?
Contrairement aux autres régions éloignées du Québec, l’Abitibi-Témiscamingue a réussi à ralentir l’exode de sa population depuis les années 2000. Aujourd’hui encore, plus d’habitants sortent de la région qu’ils ne s’y installent, mais cette différence est palliée par les naissances sont nombreuses. Il y a fort à parier que la diversification des activités économiques et culturelles participe à cette légère croissance démographique.
Depuis le début des années 2000, la culture explose, à l’image du Festival de musique émergente et du Festival du DocuMenteur de l’Abitibi-Témiscamingue. De plus, plusieurs microbrasseries, restaurants et cafés, dynamisent les villes de la région. Certes, les activités se diversifient, mais l’économie régionale continue de reposer sur l’exploitation de du sous-sol de la région. Dans l’avenir, est-ce que l’épuisement des gisements aura finalement raison de la vitalité de l’Abitibi-Témiscamingue ?
Bien que l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue fournisse un petit bassin d’étudiants-chercheurs, un grand travail reste à faire par la communauté scientifique et académique pour documenter les réalités familiales locales.
Bibliographie par section
Quelques repères pour la région
Gourd, B-B. (2007). L’Abitibi-Témiscamingue. Québec : Éditions de l’IQRC.
Portrait de la population
Institut de la statistique du Québec. (2014). Perspectives démographiques des MRC du Québec, 2011-2036.
Institut de la statistique du Québec. (2017). Bulletin statistique régional de l’Abitibi-Témiscamingue.
Ministère de la Famille. (2018). « Coup d’œil régional sur les familles. Les régions administratives et les MRC du Québec qui se distinguent sur le plan sociodémographique en 2016 ». Bulletin Quelle famille? vol. 6, no 3.
Conseil du statut de la femme. (2015). Portrait statistique égalité femmes-hommes de l’Abitibi-Témiscamingue.
Portrait des familles
Ministère de la Famille. (2018). « Coup d’œil régional sur les familles. Les régions administratives et les MRC du Québec qui se distinguent sur le plan sociodémographique en 2016 ». Bulletin Quelle famille? vol. 6, no 3.
Institut de la statistique du Québec. (2018). Panorama des régions du Québec. Édition 2018.
Conditions de vie
Conseil du statut de la femme. (2015). Portrait statistique égalité femmes-hommes de l’Abitibi-Témiscamingue.
Institut de la statistique du Québec. (2018).Panorama des régions du Québec. Édition 2018
Institut de la statistique du Québec. (2017). Bulletin statistique régional de l’Abitibi-Témiscamingue.
Gravel, M.-A., et collab. (2016). Le positionnement de la région et des territoires de centres locaux d’emploi d’après l’indice de défavorisation matérielle et sociale, 2011 – Abitibi-Témiscamingue. Québec : Institut de la statistique du Québec.
L’Abitibi-Témiscamingue et la recherche
Cornellier, F. (2011). Vivre la ville : l’expérience sociale et spatiale des autochtones de Val-d’Or (Mémoire de maîtrise). Université de Montréal, Département d’anthropologie, Montréal (Québec).
Duchesneau, C. (2015). Les facteurs susceptibles de contribuer à l’éclatement du plafond de verre ? Cas tirés des secteurs public et parapublic au Québec. (Mémoire de maîtrise). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Rouyn-Noranda (Québec).
Fournier, T. (2015). À la recherche de perceptions autochtones, judiciaires et professionnelles de la réadaptation des jeunes délinquants algonquins d’Abitibi (Mémoire de maîtrise). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Rouyn-Noranda (Québec).
Grenier, S., Hamel-Charest, L., McMurphy, S., & Brent Angell, G. (2016). « Être bien attaché à la vie : sécurité routière dans les familles anicinabek », Enfances, Familles, Générations, vol. 25.
Lynch, D. (2015). Le rôle du soutien social associé à un traumatisme psychologique suite à un accident de travail (Mémoire de maîtrise). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Département de travail social, Rouyn-Noranda (Québec).
Morin, M.-N. (2010). Les pratiques de conciliation travail-famille dans certaines PME de l’Abitibi-Témiscamingue (Mémoire de maîtrise). Université du Québec à en Abitibi-Témiscamingue ; Université du Québec à Chicoutimi, Rouyn-Noranda (Chicoutimi).
Pelletier, C. (2012). L’impact du retour au travail après un congé de maternité sur le stress psychologique des mères de Rouyn-Noranda (Mémoire de maîtrise). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Rouyn-Noranda (Québec).
Perron, J.-C. (2011). Évaluation d’interventions familiales stratégiques sur des habitudes de vie associées à l’obésité auprès d’une clientèle vulnérable vivant à domicile (Thèse de doctorat). Université de Sherbrooke, Sherbrooke (Québec).
Poulin, M.-H. (2012). Relations entre la pratique des routines familiales, le style d’attachement maternel, l’adaptation du parent et l’adaptation des enfants d’âge scolaire (Thèse de doctorat). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Université Sherbrooke, Rouyn-Noranda, Sherbrooke (Québec).
Sioui, N. (2017). Le processus de résilience familiale en milieu anicinape (Thèse de doctorat). Université du Québec à Montréal, Département de psychologie, Montréal (Québec).
Sohi, J. (2011). Favoriser la communication entre les professionnels de la santé, le patient et ses proches dans le processus de choix de soins en contexte de maladie grave: planification d’une intervention dans le cadre d’une recherche-action (Mémoire de maîtrise). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Rouyn-Noranda (Québec).