À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Doris Chateauneuf, Geneviève Pagé et Béatrice Decaluwe, « Issues Surrounding Post-Adoption Contact in Foster Adoption: The Perspective of Foster-to-Adopt Families and Child Welfare Workers », publié en 2018 dans le Journal of Public Child Welfare, vol. 12, no 4, p. 436-460.

  • Faits saillants

  • Les familles d’accueil qui désirent adopter pensent qu’elles seront réticentes à garder contact avec les parents biologiques si le projet aboutit.
  • Les parents adoptants voient d’un meilleur œil les contacts indirects avec la famille biologique après l’adoption, comme les photos, les lettres ou les contacts avec les grands-parents, que des visites directes.
  • La compétition pour la garde de l’enfant rend plus fragile la relation entre les parents biologiques et adoptifs : s’ils finissent par adopter, plusieurs d’entre eux comptent mettre un terme aux contacts avec la famille d’origine.

Dominique et Charlie sont aux anges : inscrits à l’adoption en banque mixte du Québec, ils viennent de prendre sous leur aile un premier enfant! Famille d’accueil pour commencer, ils rêvent de pouvoir devenir les parents adoptifs du poupon. Mais voilà : la DPJ tente d’abord d’aider la famille biologique à se reprendre en main et à conserver la garde. Elle a toujours droit à des visites supervisées, et cela suffit à jeter une ombre sur le projet d’adoption. À l’inverse, si le juge tranche en faveur du couple adoptant, les visites se feront à leur bon vouloir. Sans contrôle sur l’issue de la garde, le couple est catégorique : ils ont bien hâte d’en finir et de couper les ponts avec les parents biologiques.

Les futurs parents envisagent-ils d’intégrer la famille biologique lorsque le projet d’adoption se concrétisera, et si oui, dans quelles mesures? Ce sont les questions qui animent la chercheure Doris Chateauneuf, chercheure d’établissement au CIUSSS de la Capitale-Nationale et membre du Partenariat de recherche Familles en mouvance, et ses collègues Geneviève Pagé (professeure, département de travail social, UQO) et Béatrice Decaluwe (doctorante, école de psychologie, Université Laval). Elles constatent que plusieurs parents envisagent de cesser tout contact avec la famille d’origine plutôt que de continuer les visites. Dans cette première phase d’une étude en deux temps, 16 parents d’accueil et 32 professionnels affectés au dossier doivent réfléchir à l’éventualité de garder contact avec la famille biologique une fois l’adoption complétée.

Couper le cordon?

Habituées de gérer les visites du parent biologique, les familles d’accueil voient les choses autrement s’ils obtiennent la garde. Plusieurs d’entre elles se sont montrées réticentes à l’idée de poursuivre les visites après l’adoption se concrétise.

Le type de contacts avec la famille biologique les préoccupe. Celles qui se disent à l’aise de maintenir un certain lien entre l’enfant et ses racines privilégient les contacts indirects, comme l’envoi de lettres ou de photos. D’autres préfèrent des contacts avec d’autres membres de la famille plutôt qu’avec le parent biologique.

« Il pourrait très bien entrer en contact avec l’un ou l’autre [de ses frères et sœurs] dans le futur. Je serais … disons, plus à l’aise avec ce genre de contact plutôt qu’un contact avec… sa mère. »

– Un parent d’accueil

Les services post-adoption sont marginaux au Québec, les services de protection de la jeunesse ne s’occupent du dossier qu’avant l’adoption. Cette situation laisse les parents ambivalents. Certains préfèreraient que la supervision se poursuive si l’enfant rencontre son parent biologique après l’adoption. Ils redoutent de devoir « jouer à la police » et préfèrent rester « entièrement neutres ».

D’autres privilégient une approche plus décontractée et veulent des échanges « aussi normaux que possible » avec la famille biologique. S’ils envisagent de maintenir le contact avec les grands-parents biologiques par exemple, ils « ne veulent pas que tout soit régulé à la minute, comme s’ils étaient toujours supervisés par le Centre Jeunesse ».

La motivation des familles d’accueil qui veulent préserver un lien biologique? Permettre à l’enfant de connaître ses origines. En revanche, l’idée de revendiquer la présence de plus de deux figures parentales, telle qu’exprimée dans le concept d’adoption ouverte, est exclue.

Mon enfant, ma bataille

Au cœur des tourments des parents adoptifs : le bien-être de leur petit. Déchirés entre préserver ou couper les contacts après l’adoption, plusieurs croient qu’ils choisiront de se fier à la réaction de leur petit pour prendre leur décision. La question qu’ils se posent : « Quels seront les effets de ses visites sur le bien-être de mon enfant? »

« Si de garder ses grands-parents dans sa vie augmente son bien-être, je n’ai aucun problème. […] Mais si les choses sont plus négatives et ne changent rien à son bien-être, s’il s’agit simplement [d’une habitude], je ne vois absolument pas la nécessité de maintenir le contact. »

– Un parent d’accueil

La sécurité de l’enfant revient souvent dans les interrogations des familles d’accueil. Comme le tout-petit est souvent issu d’un milieu plus instable, ces familles estiment qu’elles prendront en considération les antécédents des parents biologiques. Pour d’autres, la qualité de la relation entre l’enfant et ses parents ainsi que le désir du petit de les voir primeront.

Dans la mesure où les services sociaux cessent toute intervention après l’adoption, les familles d’accueil deviennent les seuls juges de la situation. La sécurité de l’enfant, son bien-être et sa volonté de conserver ou non le lien avec ses parents biologiques passent nécessairement par leur regard. Nombreuses sont celles qui veulent éviter les visites à court ou moyen terme, mais qui restent ouvertes à l’idée d’un plus long terme, quand l’enfant sera suffisamment âgé pour exprimer ses volontés. La relation entre les deux familles peut donc influencer la perception des parents en voie d’adoption sur la famille biologique.

Quelle famille à la ligne d’arrivée?

Les familles d’accueil seraient davantage ouvertes au maintien d’un lien avec les parents biologiques si elles sentaient qu’elles peuvent avoir confiance en eux. À l’inverse, un bris de confiance remettrait fortement en question ce contact.

« Je ne suis pas du tout à l’aise avec la mère et la grand-mère maternelle… Pour l’instant, je ne peux pas voir une quelconque bonne influence qu’elles auraient sur sa vie. Ce sont des menteuses, on ne peut tout simplement pas croire ce qu’elles disent. »

– Un parent d’accueil

Les procédures d’adoption peuvent être déchirantes pour chacune des deux familles. Qui aura la garde de l’enfant? Selon les chercheures, un sentiment de compétition peut rapidement s’installer avant que la décision pour la garde soit tombée. Difficile par la suite de rebâtir les ponts, du moins, selon ce que croient les parents adoptants. Des sentiments troubles et le contexte d’instabilité avant l’adoption peuvent mettre à mal les liens post-adoption entre l’enfant et ses parents biologiques.

« En ce moment, avec toutes les incertitudes et la compétition entre nous, tout ce que je veux, c’est que la mère biologique disparaisse. […] Au fond de moi, je sais que c’est horrible de ressentir ça pour elle. »

– Un parent d’accueil

Comment faire pour surmonter ces épreuves, si les visites sont dans l’intérêt de l’enfant? Pour les chercheures, chaque parent doit reconnaître ce que les autres ont apporté de positif dans la vie du petit.

Vers une nouvelle étape?

Les parents qui désirent adopter l’enfant placé chez eux en famille d’accueil se retrouvent dans une situation complexe : même si les perspectives sont généralement favorables, ils doivent quand même prendre soin d’un enfant qui pourrait retourner dans sa famille biologique à n’importe quel moment. L’inquiétude, l’angoisse, la frustration et la compétition peuvent teinter la relation avec la famille biologique. Il faut dire que la nouveauté du processus, et la vie avec l’enfant depuis seulement depuis quelques mois, peuvent les rendre plus sensibles face à l’incertitude. Les auteures prévoient d’ailleurs rencontrer à nouveau les parents un an après la première entrevue, question de mesurer l’évolution de leur pensée. Se pourrait-il qu’ils changent d’avis au fil des visites? Les prochaines étapes de ce projet de longue haleine pourront nous en dire plus quant à la pérennité des contacts entre l’enfant adopté et ses racines.