À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation scientifique est tiré de l’article de Maude Pugliese et Hélène Belleau, « Mine, yours, ours, or no one’s? Homeownership arrangements among cohabiting and married couples », publié en 2022 dans Canadian Review of Sociology, vol. 59, n1, p. 48-73.

  • Faits saillants

  • Chez les couples qui ont fait l’acquisition d’une résidence, 58 % d’entre eux sont conjointement propriétaires.
  • Les probabilités que les partenaires d’un couple soient conjointement propriétaires sont plus élevées s’ils sont ensemble depuis longtemps et s’ils ont des enfants.
  • Les couples au sein desquels il existe une inégalité des revenus sont plus susceptibles de choisir d’être locataires ou de choisir un seul partenaire pour propriétaire.
  • Entre les partenaires d’un couple, posséder conjointement une demeure permet d’égaliser les richesses alors que les autres arrangements en matière de propriété peuvent amener les inégalités à croître avec le temps.

Alors que Geneviève et François ont acheté ensemble la résidence dans laquelle ils viennent tout juste d’aménager, leur ami Frédéric est l’unique propriétaire de la maison qu’il habite avec sa conjointe Rachel. Léa et Samuel, encore indécis, ont plutôt choisi de demeurer locataires pour le moment.

En 2020, 51 % des personnes en couple âgées de 30 à 49 ans vivaient en union de fait. Ce modèle, aujourd’hui dominant au Québec, exclut la notion de patrimoine familial exposant ainsi les partenaires à diverses inégalités en cas de séparation. Qu’est-ce qui influence les couples dans le choix de leur arrangement en matière d’habitation? Quels facteurs sont susceptibles d’y jouer un rôle? Il appert que l’inégalité des revenus et la confiance qui existe au sein de la relation sont deux éléments déterminants pour les couples et la suite de leur histoire.

Maude Pugliese et Hélène Belleau, chercheuses à l’Institut national de la recherche scientifique, s’intéressent au partage des ressources au sein des couples québécois. À partir de données provenant d’un sondage réalisé en 2015 et recueillies auprès de 3 048 couples de sexes différents domiciliés au Québec, les autrices cherchent à mesurer dans quelle proportion les couples sont conjointement propriétaires, propriétaires individuels ou locataires, puis à identifier les facteurs qui les poussent à se tourner vers l’un ou l’autre de ces arrangements.

Mon amour, comment on s’arrange?

Plus facile de gérer les dépenses à deux? Pas toujours! La gestion financière peut s’avérer être un vrai casse-tête. Alors que les normes en matière de genre ont longtemps orienté les couples vers un seul modèle, celui de l’homme pourvoyeur, plusieurs façons de faire coexistent aujourd’hui. Les partenaires peuvent partager les dépenses à parts égales, les diviser proportionnellement en fonction de leur revenu ou décider, par exemple, que l’un·e sera responsable des dépenses courantes et l’autre, de celles liées à l’habitation. Pendant que certains ménages prônent l’indépendance, les autres défendent la solidarité et le partage. La bonne nouvelle? Les partenaires peuvent choisir un arrangement qui correspond à leurs valeurs, croyances et principes.

La gestion financière des couples implique la question des salaires et des revenus, mais aussi la gestion des biens, notamment de la propriété. Trois possibilités s’offrent à eux en matière d’habitation. La première : partager les avoirs. Dans ce scénario, les partenaires sont tous deux propriétaires de la maison. Mais dans certains ménages, c’est l’individualité qui est encouragée, et préserver l’indépendance de ses richesses est souhaité. Ceux et celles qui préfèrent que leurs avoirs demeurent séparés privilégient alors deux options; que l’une des deux personnes soit seul·e propriétaire ou que le couple soit locataire.

Me fais-tu confiance?

Partagera, partagera pas : les valeurs des partenaires influencent leur capacité à partager, mais pas seulement! Le niveau de confiance entre les deux a aussi une incidence importante. Des études réalisées sur le partage des revenus ont démontré que plus la confiance grandissait dans la relation, plus les ressources étaient partagées. Plusieurs éléments ont également un impact sur ce degré de confiance comme la durée de la relation, mais aussi le fait d’avoir des enfants ensemble ou issu·e·s d’une union précédente. Ainsi, les probabilités que les partenaires soient conjointement propriétaires sont plus élevées si la relation existe depuis plus longtemps et si des enfants sont nés de cette union. À l’inverse, les probabilités d’être conjointement propriétaire sont moins élevées s’il y a présence de beaux-enfants ou si les partenaires sont en relation depuis peu de temps.

Couple marié ou en union de fait : pas vraiment de différences!

Dis-moi quel est ton statut conjugal et je te dirai quel est ton arrangement? En fait, les chercheuses dénotent peu de différences entre le fait d’être marié·e ou en union de fait. Les risques qu’un·e seul·e des deux partenaires du couple soit propriétaire de la maison ne semblent donc pas plus ou moins élevés en fonction du statut conjugal des partenaires. Ces résultats sont surprenants, étant donné que les aménagements liés au « patrimoine familial » sont présents dans le mariage et absents dans le cas d’une union de fait. On pourrait s’attendre à ce que la propriété individuelle de la maison par l’un·e des partenaires soit moins fréquente chez les couples mariés, considérant qu’en cas de séparation, une maison acquise individuellement durant le mariage est l’équivalent de la posséder conjointement. Qu’est-ce qui peut expliquer l’absence d’écart entre les deux groupes? Le moment de l’achat de la propriété fournit une piste d’explication. Opter pour que l’un·e des partenaires soit l’unique propriétaire de la résidence semble donc majoritairement provenir de la décision de maintenir une situation préexistante à l’union, et de conserver la maison qui a été acquise par ce ou cette partenaire avant le début de la relation.

Inégalités économiques; quand le genre influence les décisions

Qu’est-il probable d’observer quand l’une des personnes est financièrement avantagée par rapport à l’autre? Cas de figure assez fréquent : si dans la population étudiée, les partenaires ont des revenus similaires dans seulement 39% des cas, en moyenne, dans 61 % des autres situations, l’homme (46 %) ou la femme (15 %) a un revenu plus élevé. Ces couples font-ils des choix différents en matière de résidence? La propriété conjointe de la maison peut sembler moins attrayante pour ces derniers. La personne ayant le revenu le plus élevé est souvent celle qui assume une plus grande part des dépenses associées à l’habitation. Dans ce contexte, si les deux partenaires sont propriétaires, cela amène inévitablement un transfert de richesse, c’est-à-dire que le ou la partenaire qui paie une plus grande proportion des dépenses liées à la maison ne récupère pas la somme proportionnelle à sa participation financière en cas de revente ou de séparation. Ces couples peuvent donc privilégier la propriété individuelle de la résidence par l’un·e des deux partenaires ou préférer demeurer locataire et accumuler les richesses autrement que par un actif immobilier.

Si l’inégalité des revenus augmente les risques que l’un·e des deux partenaires soit seul·e propriétaire de la maison, les impacts sont différents en fonction du genre de la personne qui détient le plus haut salaire. Les probabilités sont plus élevées qu’un homme choisisse de posséder individuellement la résidence lorsque celui-ci a un revenu plus élevé, ce qui lui permet d’assumer davantage de dépenses liées à l’habitation sans transférer de ressources à sa partenaire. Les femmes tendent, elles aussi, à faire les choses de cette façon, mais, elles choisiraient également, en plus grande proportion, de demeurer locataires.

Les probabilités que l’homme soit seul propriétaire de la maison augmenteraient également lorsque la femme a un revenu plus élevé. Cette donnée peut sembler contre-intuitive et nous amène à penser que les couples sont réticents, encore aujourd’hui, à ce que la femme soutienne financièrement l’homme même lorsqu’elle est dans une meilleure situation économique. Être propriétaire de la résidence semble toujours correspondre à ce qui est attendu du partenaire masculin. Choisir l’homme comme seul propriétaire de la maison est peut-être une manière, pour les couples, de continuer à se conformer aux normes en matière de genre.

Pour éviter que les inégalités se creusent…

On ne se mentira pas, les questions entourant la gestion des finances et des biens sont parfois difficiles à aborder. Mais bien qu’elles puissent être inconfortables ou source de conflits, elles demeurent essentielles. Les discussions entre conjoint·e·s, mais aussi celles qui ont lieu dans l’espace public, permettent d’envisager des scénarios plus égalitaires et de penser le partage plus largement. Les autrices pointent vers des éléments importants; devant un nombre élevé de couples non mariés et en union de fait, posséder conjointement la propriété demeure le meilleur moyen d’assurer une certaine égalité des richesses entre les partenaires. Les autres arrangements, quant à eux, tendent à entraîner des inégalités et à amener celles déjà présentes à se creuser avec le temps.

Comment faire pour y voir clair et prendre les meilleures décisions en fonction de sa situation? Le livre « L’amour et l’argent : guide de survie en 60 questions » d’Hélène Belleau et de Delphine Lobet est une ressource intéressante pour les couples qui se questionnent et qui désirent amorcer une réflexion sur leur gestion financière et le partage de leurs ressources.