Au Québec, ce sont entre 5 % et 15 % des parents d’enfants de moins de 18 ans qui éprouvent des symptômes dépressifs, un nombre influencé par l’âge des enfants et le genre des parents1. Présent dans une proportion considérable, ce trouble qui touche davantage les mères que les pères2 a des répercussions importantes au sein des familles. En effet, même lorsque le diagnostic concerne une seule personne, son impact ne se limite pas à l’individu qui en est atteint, mais perturbe l’ensemble de la cellule familiale. Alors que les relations familiales demandent présence, soutien et disponibilité, il y a lieu de se demander de quelles façons la dépression peut venir les affecter. Quelles sont les conséquences possibles sur la relation coparentale ou encore sur celle entre un parent et son enfant? Peut-on pallier ces impacts négatifs? La résilience familiale et la sensibilité parentale semblent être deux éléments clés pour y arriver.
Julie Laurin et ses collègues du département de psychologie de l’Université de Montréal s’intéressent aux impacts de la dépression parentale sur la relation coparentale et sur le développement des enfants. En s’appuyant sur plusieurs études réalisées depuis plus de 20 ans, dans un article récent, elles abordent les effets de la dépression sur cette relation et l’impact des conflits coparentaux sur les enfants. Les chercheuses abordent également la résilience familiale et l’importance du soutien dans la relation coparentale.
Relation amoureuse et relation coparentale, des liens différents
La relation coparentale est-elle distincte de la relation conjugale? Oui! Il est vrai qu’elle s’établit aussi entre les parents, mais ces deux relations sont tout de même différentes. De quelle façon? Et bien, elles répondent à des besoins et des objectifs différents.
Dépression et relation coparentale, un enjeu de soutien
Comment la dépression et la relation coparentale interagissent-elles? La dépression peut agir sur le niveau de soutien présent dans la relation entre les parents. Si la coparentalité permet le travail d’équipe nécessaire à l’éducation des enfants, elle implique un certain degré de soutien entre les parents. Sachant que la distanciation, l’indisponibilité émotionnelle et les démonstrations de colère et de frustration sont des manifestations de la dépression, cette dernière peut limiter la capacité du parent dépressif à soutenir son ou sa partenaire. Un tel contexte peut venir à son tour troubler le bien-être et la confiance qu’ont les parents en leurs capacités parentales, accentuer leur détresse et réduire leur habileté à régler les désaccords. La dépression parentale et une relation coparentale de faible qualité peuvent avoir plusieurs conséquences négatives sur l’enfant en l’exposant, notamment, à plus de risque de vivre des problèmes intériorisés et extériorisés.
Trop de conflits, risque de débordement!
Quand dépression et conflits cohabitent, la situation se complique. Les conflits coparentaux sont plus nombreux dans les familles touchées par ce trouble. Cela n’est évidemment pas sans conséquence sur l’enfant, plus à risque d’assister aux disputes. Observer ses parents interagir de façon négative peut être perturbant pour un enfant et venir ébranler son sentiment de sécurité. L’un des risques est, qu’en résultante, l’enfant en vienne à considérer l’agression verbale ou physique comme une solution adéquate pour résoudre un conflit et l’utilise à son tour.
Puis il y a la tension vécue dans la relation coparentale. Elle peut se déplacer et déborder jusqu’à venir affecter la relation entre le parent et son enfant. Les parents sont plus tendus, d’une humeur moins bonne et très préoccupés par leurs différends. Ceci augmente les probabilités qu’ils interagissent de façon négative avec leur enfant, qu’ils lui expriment moins d’amour, de soutien et de sensibilité et qu’ils adoptent des pratiques disciplinaires plus sévères.
La résilience familiale, qu’est-ce que c’est?
Protéger les enfants des conséquences de la dépression parentale, est-ce possible? Certaines caractéristiques propres aux familles peuvent agir positivement. Le style de fonctionnement de la famille, les valeurs qu’elle prône, les ressources dont elle dispose, l’étape où elle se trouve lorsque le trouble fait son apparition puis l’évolution du trouble lui-même influencent comment elle s’y adaptera.
La qualité de la relation coparentale est importante. Lorsque celle-ci est harmonieuse, le niveau de soutien offert a un impact positif sur le parent dépressif qui se sent supporté par son ou sa partenaire. Il semble que la capacité du second parent à augmenter son niveau de sensibilité parviendrait à atténuer les impacts des difficultés du parent souffrant de dépression. En accordant plus d’attention à l’enfant et en s’investissant davantage auprès de lui, le deuxième parent arrive à pallier l’indisponibilité du parent malade, et peut parvenir à protéger l’enfant des retombées négatives du trouble. On parle alors de résilience familiale.
La résilience familiale est donc liée à la capacité de la famille à être « connectée », c’est-à-dire l’aptitude des membres à se soutenir les un·e·s les autres, à collaborer, à ramener un certain ordre en cas de malentendus et à respecter les différences et les besoins de chacun·e.
Papa présent, moins d’impacts sur l’enfant
La capacité de compenser les difficultés de l’autre parent peut se manifester chez la mère comme chez le père, mais le processus de compensation semble tout de même influencé par le genre. Une étude réalisée auprès de familles dont la mère souffrait de dépression chronique a démontré que lorsque le père était sensible, engagé et non intrusif auprès de son enfant, le fonctionnement de la famille n’était pas perturbé par la dépression chronique de la mère, et ce, de la naissance de l’enfant jusqu’à ses 6 ans. Dans ce contexte, la sensibilité du père parviendrait donc à empêcher que la dépression maternelle nuise à l’enfant en permettant une unité et une bonne entente au sein du système familial.
Sensibilité, présence et engagement
Si les chercheuses parviennent à mettre quelque chose en évidence, c’est bien l’apport positif d’une relation coparentale de qualité, particulièrement en présence d’un trouble de santé mentale chez un ou les parents. Considérant la plus grande prévalence des symptômes dépressifs chez les mères, l’importance de l’implication des pères n‘est plus à prouver. Une relation plus égalitaire entre les parents ainsi qu’une bonne collaboration sont des aspects déterminants lorsqu’il est question de dépression. Ainsi, sensibilité, présence et engagement peuvent faire toute la différence pour un enfant.
Plusieurs ressources sont disponibles afin de soutenir les parents qui souhaitent améliorer cette relation. Le Regroupement pour la valorisation de la paternité offre des outils aux parents afin de les soutenir dans le développement d’une meilleure collaboration et aux intervenant·e·s qui œuvrent auprès des familles et qui désirent parfaire leurs connaissances au sujet de l’approche coparentale.
1 Clément, M.-È., Piché, G., et Villatte, A. (2022). « Symptômes dépressifs vécus par les parents dans la population générale : état des travaux québécois et canadiens », Revue canadienne des sciences du comportement, vol.54, no2, p.107-120.
2 Même que précédent.