Après avoir longuement discuté avec un couple d’amies, Alex a accepté de leur faire don de son sperme pour qu’elles concrétisent leur rêve de devenir mères. Leur entente est claire : visiter l’enfant, oui, mais responsabilités parentales, non ! Si un tel projet commun peut renforcer une amitié, encore faut-il bien définir la place du donneur dans la vie de l’enfant à naître. Comment les hommes qui acceptent d’être donneurs connus perçoivent-ils la paternité, dans le contexte de leur don et en général ? Si la réponse ne fait aucun doute pour plusieurs, d’autres ont plus de difficulté à tracer la ligne entre donneur et père.
Pour comprendre la perception qu’ont ces hommes de la paternité et du rôle d’un donneur, Isabel Côté, Kévin Lavoie et Francine de Montigny, chercheurs en travail social et en sciences infirmières, interrogent 11 hommes (6 hommes gais, 5 hétérosexuels) ayant donné leur sperme à un couple lesbien. Dans chacun des cas, les participants sont proches du couple en question : ami de longue date, frère de la mère qui ne porte pas l’enfant, etc. La moitié d’entre eux ont aussi un enfant conçu dans le cadre de leur propre relation conjugale.
Père pourvoyeur ou papa présent ?
C’est quoi, un père ? À question simple, réponse qui évolue entre cliché et modernité ! Pour les hommes interrogés, la notion de « père » peut prendre plusieurs formes. Certains ont une vision très « traditionnelle » de la famille : les mères s’occupent de la marmaille alors que les pères travaillent. L’absence de leur propre père tend à expliquer cette conception de la paternité.
« Mon père, comme beaucoup de pères au Québec, était très absent, invisible. Il n’assumait pas ses responsabilités familiales. Ma mère s’occupait de tout et mon père était le pourvoyeur. » (Traduction libre des propos de Conrad)
Pour d’autres, paternité rime avec présence et proximité. C’est surtout vrai pour ceux qui ont déjà leurs propres enfants ou dont le père était présent. Les liens biologiques ont peu d’importance à leurs yeux. C’est l’implication et l’engagement à long terme qui priment.
« Un père est quelqu’un qui a pris la décision d’être présent inconditionnellement à chaque moment de la vie d’un enfant. […] Bien sûr, il y a des situations où il est plus difficile d’être présent, mais un père prend la décision d’être vraiment responsable de sa paternité. » (Traduction libre des propos de Damien)
Donner son sperme, sans devenir papa
Comment ces hommes perçoivent-ils leur relation avec l’enfant né de leur don ? La théorie est solide, mais la pratique plus floue ! Même s’ils ont au préalable négocié leur rôle avec les mères de l’enfant, une minorité d’entre eux se sentent tiraillés entre l’acte clinique et la fibre paternelle après la naissance du bébé. Un participant explique avec une certaine mélancolie que bien que sa contribution soit purement biologique, il aimerait être plus impliqué dans la vie de l’enfant.
« J’aime penser qu’un jour je serai une figure paternelle. […] Pas dans le sens de devenir son parent, mais plutôt comme quand on est enfant, on se dit « Mon père faisait ci, faisait ça ». […] Je ne peux pas lui inculquer mes valeurs parce que c’est le travail des parents, et ce n’est pas mon rôle en ce moment. Mais je me dis, si jamais… [silence]. Si elle veut apprendre à me connaître. » (Traduction libre des propos d’Éric)
La situation est d’autant plus délicate qu’aborder le sujet avec leur partenaire ou les mères de l’enfant est difficile, puisqu’ils ne comprennent pas toujours leur point de vue. C’est particulièrement vrai dans le cas des donneurs dont la conjointe ou le conjoint ne souhaite pas avoir d’enfant. Certains participants craignent aussi d’inquiéter les mères en s’exprimant à ce sujet.
« […] S’ils choisissent de m’appeler « papa », je n’aurai aucun problème avec ça. Bien sûr, ils vont devoir négocier ça avec leurs mères. Mon conjoint n’est pas d’accord ; il me dit […] : » Ce n’est pas toi qui les emmènes à l’école le matin, ce n’est pas toi qui vas les chercher, qui t’occupes d’eux quand ils sont malades »… En gros, il a raison. Je ne mérite pas qu’on m’appelle « papa ». Mais personne ne peut interdire aux enfants de m’appeler comme ils le veulent. » (Traduction libre des propos de Conrad)
Plus de représentation, meilleure acceptation ?
S’il est clair pour la majorité des participants que leur rôle se limite à celui de donneur, ils ne sont pas pour autant indifférents aux enfants nés de leurs dons. Ils se disent prêts à répondre à leurs questionnements sur leurs origines et à développer une relation avec eux un jour, si tel est leur souhait. Malgré tout, les hommes interrogés s’entendent bien avec les mères, d’où l’importance de négocier au préalable les attentes de chacun.
Comme le soulignent les auteurs, la vision biparentale de la famille est encore très ancrée dans la société. Contrairement à l’Ontario et à la Colombie-Britannique, le Québec ne permet pas à un enfant d’avoir plus de deux parents. Après la naissance, le donneur doit donc naviguer entre les attentes à son égard et la relation qu’il souhaite établir, ou non, avec l’enfant. Comme les trajectoires familiales atypiques sont de plus en plus courantes, le Québec emboîtera-t-il le pas à ces provinces afin de reconnaître la pluriparentalité ? Une telle disposition faciliterait le quotidien de plusieurs familles, dont celui des couples qui fondent un projet parental commun avec un donneur de sperme.