À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude d’ Alain Roy, « Qu’avez-vous fait de mon contrat de mariage ? Je l’ai réinventé ! », publié dans la Revue du notariat, vol. 115, no 2 (2013), p. 307-362.

  • Faits saillants

  • Les modèles de couple au Québec ne sont plus homogènes et ont grandement changé depuis un demi-siècle. Pourtant, les principes sur lesquels reposent les contrats de mariage n’ont pas évolué.
  • Le contrat de mariage peut se comparer à une transaction commerciale comme la vente d’une maison. Une entente de type charte de vie commune respecterait plus l’évolution, au fil des ans, de la relation conjugale.
  • Les conjoints voient la pertinence d’une charte de vie commune, contrairement aux juristes qui la perçoivent comme inutile, voire un outrage à la loi.

Le contrat de mariage, tel qu’on le connait, est périmé. Il ne répond plus aux besoins des couples d’aujourd’hui. Les modèles de couple se sont multipliés au cours des 50 dernières années alors que le contrat, lui est resté figé dans le temps. Union de fait, différences religieuses et culturelles au sein du couple, familles recomposées, familles où plusieurs générations habitent le même toit, couple lesbien avec donneur de sperme, couple gai avec mère porteuse, etc. Le couple d’aujourd’hui ne ressemble en rien au couple des années 1950, et c’est bien là le cœur du problème… Une réflexion profonde s’impose.

C’est ce que soutient Alain Roy, professeur de droit spécialisé en droit de la famille, après de nombreuses années de pratique. Cependant, son avis n’est pas partagé par la majorité des praticiens. Pour brosser le portrait de la situation actuelle, l’auteur utilise plusieurs études qu’il a menées au cours des dernières années. L’une d’entre elles est basée sur le dépouillement de 194 contrats de mariage et de 50 contrats d’union de fait récoltés auprès de notaires et de quelques avocats. Deux autres études visent à sonder l’opinion de praticiens et de conjoints par rapport à l’idée d’une charte de vie commune. L’auteur espère ainsi convaincre les praticiens du droit de la nécessité de repenser le contrat conjugal de fond en comble.

Un contrat de rupture

Ce n’est pas un contrat de mariage ou d’union que signent les conjoints, mais bien un contrat de rupture. L’essence même du contrat réside dans cette potentielle rupture.

« [L’]orientation des contrats de mariage et d’union de fait pointe essentiellement vers la rupture du couple. En fait, c’est la rupture conjugale qui leur donnera vie, qui en concrétisera l’effet. [L]es engagements énoncés resteront lettre morte tant et aussi longtemps que l’union perdurera. »

Où sont les clauses qui représentent le projet de couple ? Comment un tel contrat peut-il aider les couples à atteindre les objectifs conjugaux qu’ils se fixent (avoir des enfants, accueillir des parents vieillissants) ? Le couple ne va-t-il pas évoluer pendant des années ? Le contrat dans sa forme actuelle, que l’auteur s’amuse à comparer au contrat d’achat d’une maison, est fixe et n’évoluera pas… contrairement à la relation.

L’antidote : la charte de vie commune

Le contrat conjugal tel qu’on le connait a l’allure d’un contrat de transaction, dit l’auteur. Il est établi entre deux acteurs en ayant « pour mission de constater ou de planifier l’exécution d’une simple transaction ». À l’opposé, deux parties peuvent réaliser un contrat qui « correspond à un projet de coopération conçu dans la durée » : il s’agit d’un contrat de type relationnel. Plutôt que de tenter de tout prévoir, ce type de contrat est appelé à évoluer au fil des ans, un peu, justement, comme une relation conjugale, ou encore une relation professionnelle. Le contrat de travail entre un employeur et un employé, par exemple, est revisité et modifié au fil des ans, au fur et à mesure que la relation évolue.

L’auteur prône donc une entente conjugale à cette image : modulable, évolutive, favorisant l’atteinte de buts communs. Plutôt que de conclure une « transaction conjugale », pourquoi ne pas adopter une charte de vie commune ? Un document témoignant de la volonté des époux à respecter des engagements réciproques et les attentes mutuelles. Cette charte devrait-elle, à l’instar du contrat de mariage actuel, être sujette à des sanctions judiciaires dans le cas où l’un ou l’autre des conjoints n’en respecte pas les clauses ? « Faux débat », en conclut l’auteur. Concevoir la charte de vie commune en ces termes revient en fait… à ne pas la repenser du tout. La charte ne doit pas être un prolongement de la loi.

« De l’outil-sanction destiné à régler par anticipation les conséquences patrimoniales de la rupture, le contrat conjugal ainsi redéployé se transforme en outil de communication, d’organisation et de planification de la relation elle-même. »

En pratique, qui dit « oui » ?

Repenser cette entente entre conjoints, oui, mais comment ? Telle est la véritable question que pose Alain Roy. Pour huit des dix notaires et avocats rencontrés par l’auteur, une telle entente sans menaces de sanctions par la loi n’est aucunement utile pour les conjoints. Pire encore, pour ces juristes, une telle démarche est un outrage à la loi.

« [Les juristes opposés à une charte de vie commune] ont taxé la démarche proposée de fausse représentation, d’abus de pouvoir, de malhonnêteté professionnelle, de manque de sérieux, voire de faute déontologique. »

Les conjoints rencontrés, eux, semblent plutôt d’accord avec l’utilité d’une entente de type charte de vie commune. C’est ce que révèle une des études réalisées par Alain Roy et la sociologue Hélène Belleau, chercheure à l’Institut national de recherche scientifique. Pour cette étude, les deux chercheurs avaient interrogé 45 hommes et femmes mariés ou en union de fait pour savoir ce qu’ils pensaient de l’idée d’une charte de vie commune. Les résultats sont partagés : les conjoints considèrent pertinent de réfléchir ensemble aux objectifs de la relation conjugale, mais ne voient pas la nécessité de consigner cette réflexion par écrit. Même son de cloche du côté de l’assujettissement d’un tel document à la loi : certains considèrent que des sanctions légales iraient à l’encontre de l’essence même d’une charte de vie commune. Une telle entente devrait plutôt refléter la volonté de chacun des membres du couple à faire évoluer leur relation. Comme le mentionnait un des répondants : « Un contrat, ça fait affaire. On n’est pas en affaires, on est en famille ».