À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation scientifique est tiré du chapitre de livre de Josiane Le Gall et Catherine Therrien, « Identity Transmission in a (Trans)National Context: A Comparison Between Parents in Mixed Couples in Quebec and Morocco », publié en 2022 dans Mixed families in a transnational world, p. 48–68. Londres : Routledge.

  • Faits saillants

  • Les familles mixtes doivent naviguer entre deux cultures ou plus, ce qui pose un défi unique pour la transmission identitaire et culturelle aux générations suivantes.
  • Les parcours individuels des parents en union mixte peuvent avoir une influence sur la stratégie qu’ils adoptent en matière de transmission culturelle et identitaire.
  • Le choix des noms et prénoms, les langues apprises et parlées ainsi que la sélection d’une trajectoire éducative sont des éléments significatifs pour les parents en union mixte lorsqu’ils souhaitent transmettre leur identité culturelle à leurs enfants.
  • De nombreuses familles mixtes voient l’apprentissage de plusieurs langues comme une force et une opportunité d’enrichissement culturel pour leurs enfants.
  • Les enfants issus de familles mixtes développent souvent une vision du monde élargie, les préparant à la mobilité transnationale.

Reflet de notre tissu social diversifié, les familles mixtes – dont les parents sont issus de nationalités ou de cultures différentes – sont un véritable carrefour où traditions, langues et valeurs se croisent pour s’enrichir mutuellement. En 2021, le Québec affichait le taux de trilinguisme le plus élevé au pays, soit 12,2 %, alors qu’à Montréal, près d’une personne sur 5 maîtrisait trois langues1. Or, si les unions mixtes sont bien présentes dans notre société, on en sait relativement peu sur la façon dont ces couples transmettent leur héritage identitaire et culturel à leur(s) enfant(s), en particulier sur la façon dont les membres de la famille vivant à l’étranger sont impliqués dans le processus.

Pour donner une perspective inédite sur les projets de transmission identitaire des familles mixtes établies au Québec, Josiane Le Gall, affiliée à l’Université de Montréal et au Centre de recherche SHERPA, et Catherine Therrien, professeure adjointe à l’Université Al Akhawayn, mènent une recherche qualitative auprès de celles-ci. L’enquête se base sur deux études ethnographiques menées au Québec et au Maroc ainsi que plusieurs entretiens semi-dirigés. Pour la portion québécoise de l’enquête, 80 couples âgés de 25 à 40 ans et parents d’au moins un enfant ont été interrogés. Tous mariés ou vivant sous le même toit, les couples résident à Montréal (60) ainsi que dans différentes régions du Québec (20). Certains couples unissent un·e Québécois·e francophone à une personne née à l’extérieur du Canada, d’autres sont composés d’un·e Québécois·e francophone et d’un·e Québécois·e·s d’une filiation culturelle autre, tandis que d’autres sont constitués de deux Québécois·e·s d’origines culturelles distinctes (non franco-québécoise, originaires de plus de 40 pays). En comparant les résultats de l’enquête marocaine et de l’enquête québécoise, les chercheuses relèvent certes des similitudes, mais aussi des différences accentuées par les contextes géopolitiques et culturels des pays où vivent les familles.

Chez soi, même ailleurs

Imaginez une famille où chaque parent vient d’un coin différent du monde. Comment décident-ils de l’identité à transmettre à leur(s) enfant(s)? Doivent-ils faire des compromis en matière de traditions et de valeurs? La recherche révèle que les réponses à ces questions sont complexes et souvent influencées par le contexte géopolitique du lieu de vie ainsi que de l’historique migratoire de chaque partenaire. Cependant, peu importe d’où ils et elles proviennent, l’ensemble des parents participants à l’étude voient la pluralité de leurs origines comme une force, et espèrent que leur(s) enfant(s) puissent aussi en bénéficier.

En dressant le portrait des aspirations qu’ont les couples québécois mixtes en matière de transferts identitaires et culturels, les chercheuses relèvent un fort désir de miser sur un mélange des héritages. Ainsi, les participant·e·s vivant au Québec tendent à opter pour une transmission double, qui reflète autant les acquis culturels des deux membres du duo. Lorsque les parents empruntent cette voie, ils espèrent aussi renforcer le sentiment d’appartenance que leur(s) enfant(s) entretiennent à l’égard du Québec ou du Canada. Pour mener à bien ce projet, les personnes interrogées au Québec et au Maroc optent pour des stratégies qui se recoupent : le maintien de relations transnationales, le choix des noms et du système éducatif, l’apprentissage des langues et la sélection d’une ou plusieurs nationalités.

Cela dit, la prise en compte du contexte national et historique est importante, puisqu’elle est susceptible d’influencer la mise en œuvre de cette transmission identitaire et culturelle. Au Québec par exemple, le cadre législatif en vigueur offre plus de flexibilité en ce qui a trait à des marqueurs identitaires comme le nom et le prénom, mais laisse peu de place à d’autres langues d’enseignement que le français. À l’opposé, le Maroc, où l’état et la religion demeurent très liés, préserve davantage son caractère arabo-islamique et sa structure patriarcale à travers les choix liés à l’identité. Cependant, le pays ne possède aucune loi qui définit le choix obligatoire d’un système scolaire ou d’une langue spécifique dans laquelle étudier.

De défi à opportunité

La fusion identitaire est un ballet délicat. Et, pour les couples mixtes qui tentent de conjuguer harmonieusement leurs héritages culturels, les contraintes juridiques sont loin d’être les seules qui s’invitent à la danse. Parmi les embûches notables, les chercheuses identifient notamment l’instabilité politique, les préjugés, les désaccords familiaux, les barrières linguistiques, le manque de ressources économiques ou encore la distance géographique avec la famille vivant à l’étranger. Toutefois, ayant conscience de la valeur d’un héritage multiculturel, la plupart des participant·e·s arrivent à transformer ces difficultés en opportunités enrichissantes pour leur(s) enfant(s).

« C’est vraiment pour l’héritage culturel aussi. Je pense que c’est important, ça fait partie de qui il est même s’il est né ici. » [Traduction libre].

– Nathalie, Québécoise, mère d’un enfant, mariée à un homme vénézuélien

Pour contourner ces obstacles, les parents adoptent des stratégies ingénieuses. Le choix des noms est particulièrement révélateur de cet équilibre entre héritage culturel et adaptation à une réalité cosmopolite. Au Québec, les couples mixtes profitent de la souplesse de la réglementation à cet égard pour nommer leur(s) enfant(s) de manière à refléter la multiplicité de leurs origines.

« C’est un choix que nous avons fait, nous voulions avoir un prénom québécois avec le nom chinois […] C’est comme s’il avait le nom des deux cultures. » [Traduction libre].

– Béatrice, Québécoise, mère d’un enfant, mariée à un homme d’origine chinoise

Si certains des couples combinent un prénom et un nom de provenances multiples, d’autres optent plutôt pour des prénoms ou des noms composés, ce qui permet à l’entourage d’utiliser les uns ou les autres selon la situation. Cette méthode s’avère particulièrement utile pour celles et ceux qui maintiennent des liens forts avec leur famille vivant à l’étranger.

Pour leur part, les couples mixtes en sol marocain qui veulent officialiser leur lien avec leurs enfants doivent obligatoirement leur octroyer un prénom marocain traditionnel ainsi que le nom de famille du père. Conscients de la potentielle stigmatisation que peuvent engendrer des noms à consonance religieuse, ces parents optent pour des prénoms à la fois marocains et internationaux comme Lina, Lara, Sofia, Ryan ou Yann.

Trouver sa voie dans sa langue

Mais le choix des prénoms n’est que la pointe de l’iceberg : l’apprentissage des langues est aussi, sinon plus, crucial dans le processus de transmission identitaire. Au Québec comme au Maroc, les couples mixtes voient la maîtrise de plusieurs langues comme un pont entre les cultures qu’ils souhaitent léguer à leur(s) enfant(s) ainsi qu’un atout incontournable dans un contexte de mondialisation. Pour ces raisons, mais aussi parce qu’elle favorise la communication avec les membres de la famille élargie établis à l’extérieur du Canada, les couples québécois mixtes interrogés accordent énormément d’importance à l’apprentissage de la langue du conjoint ou de la conjointe immigrant·e. Pour assurer cette transmission malgré un environnement qui favorise davantage le français et l’anglais, plusieurs participant·e·s se tournent vers les voyages, les écoles spécialisées et surtout leur entourage hors Québec. Ces contacts réguliers des enfants avec l’extérieur permettent non seulement de développer leur connaissance de la langue visée, mais constituent également l’occasion de revendiquer leurs origines en vivant une immersion culturelle. Quelques participant·e·s mentionnent cependant avoir plus de difficultés à mobiliser de telles pratiques transnationales, soit pour des motifs économiques ou en raison de l’instabilité politique de leur pays d’origine.

« C’est trois mille dollars par billet, donc on s’est serré la ceinture pour qu’il puisse partir avec notre fils au moins, pour que sa mère puisse voir son petit-fils. » [Traduction libre].

– Lucie, Québécoise, mère d’un enfant, mariée à un Gabonais

Pour y remédier, les parents interrogés misent sur des modes de communication alternatifs comme les appels vidéo et les échanges de courriels. D’autres encore, préfèrent recevoir leurs parents et ami·e·s provenant de l’extérieur chez eux au Québec.

Le « désir d’ailleurs » en héritage

Dotés d’une perspective unique sur la pluralité culturelle, les enfants issus de familles mixtes sont particulièrement bien outillés pour faire face à un monde de plus en plus interconnecté. Le processus de transmission identitaire dont ils bénéficient peut non seulement les aider à s’adapter, mais aussi faire d’eux des acteurs et actrices de changement capables de construire des ponts entre les cultures. Cependant, pour parvenir à une compréhension globale de cette dynamique, l’une des avenues soulignées par les chercheuses est d’explorer l’impact à long terme de la transnationalité sur les identifications individuelles de ces enfants une fois devenus adultes.


  1. Statistique Canada. Recensement de la population (2021). Consulté le 20 février 2022 à : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220817/dq220817a-fra.htm ↩︎