À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Laura Wright, « Union Transitions and Fertility Within First Premarital Cohabitations in Canada: Diverging Patterns by Education? », publié en 2019 dans la revue Demography, vol. 56.

  • Faits saillants

  • Au cours des dernières décennies, l’union de fait est devenue une alternative au mariage, au Québec comme dans le reste du Canada.
  • Les personnes moins scolarisées adoptent de plus en plus l’union de fait pour leur vie familiale, alors que les universitaires privilégient toujours le mariage.
  • Plus que le rejet des valeurs traditionnelles, les besoins économiques influencent le choix des personnes de se marier ou non.

Longtemps considéré comme la norme – voire l’obligation – le mariage n’est aujourd’hui plus la pierre d’assise de la famille. Au Canada et au Québec, depuis quelques décennies, la popularité de cette institution décline, laissant place à l’union de fait. Qui sont ceux et celles qui rejettent cette tradition? Tout indique qu’il existe un lien avec le niveau d’éducation.

La professeure associée en sociologie à l’Université de la Saskatchewan, Laura Wright, tente d’en savoir plus sur ces Canadiens et Canadiennes qui privilégient l’union de fait aux dépens du mariage. En retraçant les premières relations des citoyens nés entre 1940 et 1979, elle pose les questions suivantes : après trois ans, sont-ils en union de fait, mariés ou séparés? Ont-ils eu des enfants hors mariage? Même si l’histoire montre que les populations éduquées agissent souvent comme des vecteurs de changements sociaux, elle constate que ce n’est pas le cas avec le mariage.

Veux-tu m’épouser? Sans façon!

Cohabiter avec son partenaire : de moins en moins un passage obligé avant la grande demande! Un nombre croissant de couples choisissent l’union de fait comme alternative au mariage, au Québec comme dans le reste du Canada.

Entre les citoyens en couple nés dans les années 1940 et ceux nés dans les années 1970, la proportion se promettant le meilleur comme le pire après trois ans de cohabitation diminue d’environ 50 % à un peu plus de 40 %. L’union libre grimpe pour sa part d’un couple sur dix à un sur quatre pour les mêmes cohortes. Les séparations restent stables, signe que les unions sont tout aussi solides.

Tableau 1. État de l’union après trois ans de cohabitation

La fécondité des unions de fait est aussi à la hausse : elle double entre les cohortes de 1940 et 1970. Si la tendance s’observe partout au pays, le Québec mène le bal. En 2016, les unions libres y représentent 42,7 % des couples avec enfant, contre 11,7 % dans le reste du Canada (excluant les territoires).

Embrasser ou rejeter le mariage, une question d’éducation?

Moins on est diplômé, moins on se marie! À partir de la cohorte née dans les années 1960, une nette différence s’installe entre les couples ayant en poche un diplôme universitaire, collégial, secondaire, en cours ou complété. Les couples plus éduqués choisissent toujours autant de s’unir dans le mariage, tandis que les autres lui préfèrent peu à peu l’union de fait.

Au Québec, c’est seulement à partir de la cohorte des années 1970 que cette différence significative s’installe. Contrairement au reste du Canada où ce sont surtout les couples avec un diplôme collégial qui préfèrent l’union de fait, c’est plutôt ceux avec un secondaire complété ou non qui renient le mariage.

Une question financière ou de valeurs?

Révolution sexuelle, pilule contraceptive, mouvement féministe et lutte pour les droits civils : ces événements marquants des 1960, appelés la seconde transition démographique, servent souvent à expliquer la baisse en popularité du mariage. Les individus rejettent les institutions comme la religion et privilégient d’autres modèles familiaux, comme l’union de fait.

Selon cette perspective, les citoyens éduqués adhèrent davantage aux valeurs de ce mouvement. Le hic? L’autrice observe l’inverse pour le mariage! Ce ne sont pas les intellectuels qui sont à la tête de ce profond changement, au contraire. Comment explique-t-elle ce phénomène?

Et si le choix de préférer l’union de fait reposait plutôt un critère économique? L’autrice avance que le mariage coïncide généralement avec l’atteinte d’une stabilité financière. Mais dans une société de moins en moins industrielle, qui se tourne donc vers les emplois de service, les citoyens peu scolarisés sont plus à risque de vivre de la précarité financière. Le mariage étant un symbole d’accomplissement économique, il demande d’importantes ressources financières pour se concrétiser. Résultats? Comme les couples diplômés universitaires ont les moyens de se marier, leur proportion reste stable, tandis que les autres voient une alternative viable dans l’union de fait, ce qui fait diminuer les mariages au pays.

Se marier ou ne pas se marier, tel est le pari risqué!

Même si l’abandon du mariage est vu comme un rejet de vieilles traditions dépassées, la prudence reste de mise lorsqu’on choisit l’union de fait. Au Québec – ironiquement la province avec la plus grande proportion de couples conjoint de fait – ces derniers ne bénéficient d’aucune protection en cas de séparation, contrairement aux couples mariés. Or les conséquences économiques d’une séparation peuvent rapidement devenir catastrophiques pour les conjoints mal protégés. En prime, certains spécialistes avancent que plusieurs de ces couples ignorent les règles juridiques entourant l’union de fait et la choisissent donc à l’aveugle. Ce type d’union « économique » est tombé dans la mire du gouvernement québécois qui entame une réforme du droit de la famille pour corriger ces inégalités.