Prendre soin de son bébé est un défi universel. Mais pour des parents vivant avec une déficience physique et cognitive, les activités quotidiennes — qu’il s’agisse des repas, du bain ou des sorties — peuvent se transformer en véritable épreuve. Cette réalité met en lumière l’urgence d’offrir du soutien adapté, afin qu’ils puissent assumer pleinement, et en toute sécurité, leur rôle de parents. Quels sont les besoins réels de ces parents? Est-ce que les services offerts sont sensibles à leurs besoins spécifiques?
Une équipe de recherche de l’Université du Québec à Montréal s’est penchée sur cette réalité encore peu explorée. Elle étudie le quotidien de 31 parents vivant avec une déficience physique et un trouble cognitif, recrutés dans 9 régions administratives du Québec. Tous sont les principaux responsables des soins de leur bébé de moins de deux ans au moment de l’étude, et bénéficient d’un soutien continu de la part d’une clinique de leur localité. L’équipe suit par vidéo l’exécution de six tâches parentales typiques : donner le bain, habiller, nourrir, mettre au lit, jouer et sortir avec l’enfant. Une attention particulière est portée aux besoins d’assistance, tant verbale que physique, exprimés ou observés durant chaque activité.

Repenser le soutien ou comment accompagner sans remplacer
Les personnes vivant avec un handicap physique — qu’il soit moteur, neuromusculaire ou lié à une atteinte cérébrale — rencontrent des limites qui influencent leur capacité à se mouvoir, à manipuler des objets ou à accomplir certaines tâches de la vie quotidienne. Ces défis peuvent être amplifiés lorsqu’ils s’accompagnent de troubles cognitifs, notamment des difficultés de mémoire, d’attention ou de planification. Or, ces habiletés sont essentielles pour prendre soin d’un bébé, que ce soit pour organiser une routine, s’adapter aux imprévus, décoder les signaux de l’enfant ou assurer sa sécurité.
Malgré cela, peu d’études se sont penchées sur les besoins spécifiques de ces personnes dans l’exercice concret de leur rôle parental. Trop souvent, l’assistance parentale disponible est envisagée dans une logique de remplacement — faire à leur place — plutôt que dans une approche d’accompagnement favorisant l’autonomie. Reconnaître leur rôle de principale personne responsable de l’enfant ne relève pas de la bienveillance : c’est un changement d’approche fondamental. Car au quotidien, ce sont bien elles qui planifient, ajustent, prennent soin et veillent, en première ligne, sur leur bébé.
Une charge mentale amplifiée par le handicap
En l’absence d’un accompagnement adapté, les défis des parents vivant avec un handicap peuvent rapidement compromettre la sécurité de l’enfant et fragiliser l’équilibre familial. En effet, l’étude démontre que plusieurs parents rencontrent des difficultés dans l’organisation des soins et dans l’adaptation aux imprévus, ce qui peut nuire au bon déroulement des activités. Donner un bain, transférer un bébé d’un endroit à l’autre, reconnaître ses besoins ou ajuster une routine : autant d’actions ordinaires qui, sans les bons outils, les bons gestes ou le bon soutien peuvent faire basculer la situation. Chaque soin quotidien mobilise des efforts soutenus de planification, d’organisation et de vigilance.
Dans ce contexte, la charge mentale s’intensifie : prévoir, organiser, réagir et s’adapter à chaque étape des soins devient particulièrement exigeant, surtout lorsque certaines capacités physiques ou cognitives sont mises à l’épreuve.
À cela s’ajoute la peur de mal faire, de ne pas répondre adéquatement aux besoins du bébé. C’est alors le doute qui s’installe, isole, épuise, et qui peut miner l’estime de soi. Maintenir un rôle parental actif devient alors non seulement un enjeu fonctionnel, mais aussi un pilier pour la relation parent-enfant. Pouvoir l’accomplir est une condition essentielle pour préserver la relation d’attachement, la confiance mutuelle, et le sentiment de compétence parentale, même lorsque le corps ou certaines fonctions cognitives sont affectés.
La force du soutien verbal pour renforcer l’autonomie parentale
Malgré l’utilisation d’équipements spécialisés, certaines tâches spécifiques comportent des risques physiques. Donner le bain, transférer un bébé d’un espace à un autre, ou le simple fait de le porter exige stabilité, précision et un bon contrôle postural. L’activité du bain, en particulier, est particulièrement difficile : plus de la moitié des parents de l’étude étaient dépendants d’un soutien pour l’accomplir. Dans ce contexte, une assistance physique ou verbale ponctuelle a contribué à sécuriser les gestes tout en respectant l’autonomie du parent.
L’interprétation des signaux du bébé, comme les pleurs ou l’agitation, représente également un défi pour certains parents. Des besoins d’assistance verbale ont été identifiés pour mieux comprendre ces signaux et s’assurer que la réponse apportée corresponde bien au besoin de l’enfant. Là encore, l’objectif n’est pas de faire à leur place, mais de renforcer leur capacité à agir de manière sécuritaire et adaptée.
Au-delà du bain, les autres gestes du quotidien ne sont pas exempts de difficultés. Habiller l’enfant, le nourrir, le mettre au lit ou simplement jouer exigent souvent des ajustements constants. Dans au moins un quart des cas, une assistance, verbale ou physique, est nécessaire. Cela montre que la dépendance ne se limite pas aux soins les plus techniques, mais s’étend aussi aux gestes les plus ordinaires.
Ces besoins ne relèvent pas d’un manque de compétence, mais bien de l’interaction entre des limitations fonctionnelles et un environnement encore largement pensé pour des parents sans handicap. Dans ce contexte, l’assistance verbale s’impose comme la forme de soutien la plus fréquente. Être guidé·e pour planifier une activité, accompagné·e dans la compréhension des signaux de l’enfant, ou simplement rassuré·e après un soin accompli : autant de gestes d’appui discrets mais essentiels qui permettent de préserver l’autonomie parentale, sans mettre à mal le lien avec l’enfant.
Adapter les services pour rendre l’autonomie parentale accessible
Trop souvent perçus comme des bénéficiaires de services, les parents vivant un handicap veulent être considérés comme des acteurs et actrices à part entière dans leur rôle parental : capables de décider, de prendre soin, de guider, à condition que les gestes, les outils et les services soient adaptés. Face à ces constats, plusieurs pistes d’action sont identifiées. Le développement de services cliniques spécialisés en soins aux bébés pour les parents vivant avec un ou des handicap(s) physique(s) et cogntif(s) émerge comme une priorité. L’implication des coparents, l’accompagnement communautaire, et des réseaux de proximité peuvent offrir un précieux relais. La formation des intervenant·e·s aux besoins spécifiques liés à la planification, à l’organisation et à l’adaptation des soins apparaît également indispensable.
Comprendre que les besoins exprimés par les parents de l’étude ne découlent pas uniquement de leur condition physique ou cognitive est essentiel. Ils sont d’abord et avant tout liés à leur rôle actif de parent. Ce que demandent ces parents, ce n’est pas qu’on agisse à leur place, mais qu’on leur fournisse le soutien nécessaire pour accomplir eux-mêmes leurs responsabilités. Dans cette optique, l’accompagnement devient un levier d’autonomie, de reconnaissance et de confiance en soi et non pas un substitut à leur compétence. Parce que renforcer leur capacité à exercer leur parentalité, c’est aussi affirmer un droit fondamental : celui d’être parent, pleinement et sans compromis.




