Où vaut-il mieux vivre lorsqu’on est une jeune personne trans et de la diversité de genre (TDG) : en ville ou en région? À tort ou à raison, l’imaginaire collectif actuel dépeint la grande ville comme un lieu de tolérance et d’acceptation. Un environnement dans lequel on retrouve des valeurs d’ouverture et de respect et où ces jeunes peuvent vivre librement. Une tout autre vision s’est construite autour de la région qui, de son côté, est plutôt vue comme un milieu fermé, voire hostile à la différence. Un endroit où les jeunes personnes trans et de la diversité de genre ne peuvent échapper à la stigmatisation et à la discrimination. Préjugés ou vérités? Difficile à dire puisque l’expérience des jeunes TDG et celle de leurs familles qui vivent à l’extérieur des grandes villes sont très peu étudiées. Comment savoir si la perception des milieux ruraux véhiculée est conforme à l’expérience des personnes concernées? En leur donnant la parole, tout simplement.
Annie Pullen Sansfaçon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles, et ses collègues de plusieurs universités1 conduisent une première étude exploratoire qui s’intéresse à l’expérience des parents d’enfants trans et de la diversité de genre vivant en milieu rural. Ces derniers sont interrogés sur leurs caractéristiques personnelles, leur milieu de vie, leur vécu en lien avec la transition de leur enfant et les interactions avec la communauté. Les participant·e·s sont ensuite amené·e·s à identifier les points positifs et négatifs liés au fait d’habiter hors des grands centres urbains. Résultat? Les difficultés auxquelles sont confrontées ces familles concernent davantage l’accessibilité que l’acceptabilité.
Petites communautés et grands espaces : combinaison idéale
Comment le nombre d’habitant·e·s peut-il agir sur le vécu des jeunes trans et de la diversité de genre et celui de leurs familles? Il appert qu’il influe sur les façons d’être en relation. Selon les parents, le fait d’appartenir à une plus petite communauté les amène à se sentir plus près des membres de leur entourage. Cet aspect serait lié à un plus grand sentiment de sécurité.
« […] Y a une espèce de respect du fait de la proximité avec les gens qui est tout le temps là. Tu ne peux pas juger ton voisin parce que dans trois minutes tu vas croiser sa cousine, son beau-père, tu vas croiser sa sœur, fait que tout le monde est tout le temps précautionneux dans sa manière d’aborder les autres. Puis ça fait du bien. »
Axelle, parent
Le fait que « tout le monde se connaisse » semble encourager les gens à faire preuve d’une certaine retenue. Les parents sont d’avis que cette attitude protège leurs jeunes qui se font poser moins de questions intrusives. Cette première particularité des milieux ruraux influence également la façon dont les jeunes décident de dévoiler leur identité de genre. Pour éviter de devoir s’expliquer à maintes reprises et à plusieurs personnes différentes, certain·e·s optent pour un dévoilement public. En choisissant de passer par les journaux régionaux, la télévision locale ou les réseaux sociaux, par exemple, il est possible de faire connaître leur identité de genre à l’ensemble de leur communauté tout en donnant une visibilité à la diversité dans leur région.
« Peut-être une particularité dans le coming out d’Ellis qui a un lien avec le fait d’être en région est qu’il a fait un coming out médiatique. Puis ça, c’est sûr que ça ne serait pas arrivé si on n’avait pas été en région […]. »
– Camille, parent
Les villes éloignées occupent généralement des territoires plus vastes. Si les personnes qui forment les petites communautés disent vivre une plus grande proximité relationnelle, elles sont toutefois physiquement loin les unes des autres. Cette distance est considérée comme un second point positif par les parents. À certains moments du processus, les interactions extérieures avec les autres peuvent être exigeantes pour les jeunes trans et de la diversité de genre. Les grands espaces peu peuplés sont apaisants et leur offrent la possibilité d’éviter les interactions sociales lorsque le besoin se présente.
Collectivité et professionnel·le·s en manque de connaissances
Communautés tissées serrées, certainement, mais qu’en est-il de l’attitude des gens? Les contacts avec les autres sont présentés comme majoritairement positifs par les participant·e·s. La plupart affirment être entouré·e·s de personnes faisant preuve d’acceptation. Néanmoins, certain·e·s témoignent d’expériences négatives liées à des préjugés ou à de l’intolérance. Les parents expliquent ces réactions par le manque de connaissance et de visibilité de la diversité de genre dans les villes plus éloignées.
« Je pense vraiment que c’est en région parce que c’est moins fréquent. Parce que à Montréal ça a l’air plus fluide, tu ne poses pas la question si c’est un gars ou une fille, t’sais, c’est comme il y a toute sorte de monde à Montréal. »
Louise, parent
Le peu de connaissances sur la diversité de genre semble également influencer la capacité des écoles à s’adapter. Des efforts d’accommodements sont déployés et même si des parents disent devoir composer avec une certaine forme de résistance de la part de membres du personnel scolaire, l’ensemble dit se sentir aidé par les directions d’école. La moitié va jusqu’à parler d’un grand soutien.
Ce manque de connaissances se manifeste également chez le personnel qui œuvre dans les services sociaux et de santé. Devant l’absence d’expertise, certain·e·s professionnel·le·s cherchent des ressources vers lesquelles orienter les familles. D’autres mettent tout simplement fin au suivi. Certain·e·s ont cependant le réflexe de se tourner vers de la formation, allant même jusqu’à élargir leur offre de services pour y inclure ces jeunes. Pour l’un des parents, cette ouverture est perçue comme une chance. Pour une autre mère participante, regrets et insatisfaction décrivent son expérience.
« On rencontre toujours des gens qui ne connaissent pas le sujet. Donc je n’ai pas l’impression d’avoir un service A1. Je n’ai pas l’impression que mon enfant est entre bonnes mains souvent. Je me dis, si y’était à Montréal, les gens comprendraient et le dirigeraient d’une meilleure façon. Là, on a de l’ouverture, les gens veulent l’aider, mais y savent plus ou moins comment s’y prendre. […]. »
Anne, parent
Jeunes et familles en quête de services
Surprise, doute, ouverture, fierté, sentiment de perte, compréhension, etc. Apprendre que son enfant est trans ou de la diversité de genre peut entraîner de nombreuses réactions. Si le soutien des parents est essentiel pour ces enfants et les protège des risques liés à des problèmes de santé mentale, s’adapter à la réalité qu’amène une transition de genre chez son enfant peut être difficile. Le tumulte émotif qui s’en suit peut faire osciller le niveau de soutien que les parents sont en mesure de fournir. Ainsi, pour parvenir à offrir le type d’accompagnement et le niveau de présence souhaités, les familles doivent, elles aussi, être soutenues. Certaines ont besoin d’aide dans leur processus d’acceptation, d’autres pour assister leur enfant dans sa transition et d’autres encore pour ces deux raisons. L’accès à des services spécialisés est primordial alors que le plus grand défi des parents d’enfants trans et de la diversité de genre en région est le manque de ressources adaptées. Seulement deux participant·e·s ont été en mesure de recevoir tous les services dans leur région.
« Au début, la façon dont ça s’est passé c’est qu’on a commencé par utiliser les services de la région. Mais là on s’est assez vite rendu compte qu’on rencontrait… des portes fermées. Pas par manque de volonté, mais par manque d’expertise. »
Camille, parent
Ainsi, les familles qui sont face à des professionnel·le·s peu formé·e·s sur les enjeux spécifiques liés au vécu de ces jeunes sont contraintes d’aller chercher des soins et services ailleurs. Et comme ces services spécialisés sont centralisés à Montréal, cela exige plusieurs déplacements. Les parents doivent donc trouver temps et argent pour s’y rendre, ce qui nécessite un grand degré d’organisation et de flexibilité. Malgré leurs efforts et leur volonté, les services demeurent difficiles d’accès et peu nombreux. Certaines familles sont forcées de patienter et les listes d’attente sont longues. Dans un tel contexte, beaucoup disent se sentir seules. D’autres décrivent la recherche de ressources adaptées comme une bataille.
Des ressources locales, s’il vous plait!
Si en région, la proximité relationnelle qui existe entre les gens offre un sentiment de sécurité aux jeunes trans, de la diversité de genre et à leurs familles, cela ne semble malheureusement pas suffisant. Le manque de connaissances, d’accès à des ressources spécialisées et de visibilité de la diversité de genre est au cœur des enjeux auxquels les parents et leur enfant sont confrontés. Ce contexte influe sur l’expérience des parents qui, en plus de devoir s’autoéduquer, doivent sensibiliser leur entourage et informer les professionnel·le·s impliqué·e·s auprès de l’enfant.
Des services en ligne permettent aux parents d’accéder à de l’information tout en leur offrant la possibilité de briser l’isolement. Peu connus des professionnel·le·s qui leur viennent en aide, ils gagneraient à être popularisées, car ils parviennent à répondre à certains besoins. Cela dit, ces services ne peuvent pas pallier totalement l’insuffisance de ressources locales directes.
Bien qu’elles soient peu nombreuses, des ressources existent tout de même dans certains milieux situés hors des grands centres urbains. Sur son site Internet, l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec a développé un dossier visant à soutenir les professionnel·le·s qui œuvrent auprès des jeunes de la diversité sexuelle et de genre ainsi que leurs familles et donne accès à plusieurs outils.
- Université de Montréal, Université Concordia, Memorial University, Toronto Metropolitain University, Capilano University ↩︎