Au Québec, nombreux sont ceux qui rêvent de quitter la ville pour s’installer à la campagne. Une étude de 2009[1] révélait qu’un Montréalais sur cinq envisageait de s’installer dans une municipalité rurale dans les cinq années à venir.
Cette migration entraine une mutation du paysage social des campagnes; ceux que l’on appelle les « néo-ruraux » doivent trouver leur place dans des milieux déjà habités et la vie des ruraux de longue date se trouve remodelée par leur arrivée.
Les chercheurs nous proposent d’explorer les espaces de rencontre et de cohabitation de ces individus fraîchement installés avec les populations plus anciennes. « Jusqu’à quel point les différences de mentalités, de classes, de valeurs et de trajectoires de vie agissent sur leurs interactions? »
Cette étude, qui fait partie de la thèse de doctorat de l’une des auteurs, est basée sur l’analyse de 71 entrevues, conduites entre 2006 et 2007, dans les municipalités régionales de comté (MRC) de Brome-Missisquoi et d’Arthabaska. Parmi les personnes rencontrées, 47 sont de « nouveaux résidents » permanents (entre 1 an et 20 années en milieu rural) et 24 des « ruraux de longue date » (nés dans les MRC concernées).
Le « choc des cultures »
Ces deux groupes ont un passé et des expériences de vie différentes, ce qui peut contribuer à instaurer une certaine distance. Les ruraux de longue date se connaissent tous et ont grandi ensemble : ils savent repérer tout de suite un nouvel arrivant.
« Les familles qui sont vraiment d’ici se fréquentent et se connaissent toutes depuis qu’elles sont bébés. Alors c’est sûr que quelqu’un qui arrive à l’âge adulte puis, qui s’installe ici, n’a pas participé, n’est pas allé à l’école avec eux. […] On n’a pas la même complicité, on n’a pas fait les mêmes mauvais coups ensemble. » – Néorural 18, Brome-Missisquoi.
Les anciens ont un réseau d’amis déjà solide, qui peut paraître difficile à intégrer pour les nouveaux, lesquels ne partagent d’ailleurs pas toujours les mêmes centres d’intérêts.
« Je sais très bien que les locaux de la région, ils font une épluchette de blé d’Inde, ils font leurs après-midi bluegrass [musique de style country américaine], ils font leurs petits marchés aux puces… […] C’est sûr que tout le monde reçoit, dans sa boîte aux lettres, une feuille qui annonce ça. […] Moi j’y vais pas parce que je suis gênée d’y aller, j’ai l’impression que je serais pas à ma place. » – Néorural 1, Brome-Missisquoi.
Les néo-ruraux doivent faire leur place petit à petit.
« Non, c’est un travail qui doit se faire quotidiennement puis par la découverte. Il faut pas que la personne arrive comme une charrue. Il faut qu’elle puisse s’intégrer, puis quasiment faire partie de la tapisserie pour commencer. » – Rural de longue date 33, Arthabaska.
Mais parfois, ça ne se passe pas comme prévu. Ceux qui migrent de la ville à la campagne ont souvent en tête une image bucolique de la vie rurale, dont ils ne soupçonnent pas toujours les réalités pratiques.
« Il y a des résidents de Montréal qui sont arrivés et ils chialent contre les cultivateurs, que ça pue quand ils étendent le fumier. C’est que la campagne, c’est ça que ça sent. Si t’es pas content, retourne dans la pollution! » – Rural de longue date 39, Brome-Missisquoi.
Cela peut créer certaines tensions, surtout lorsqu’il s’agit de prendre des décisions qui concernent toute la communauté.
« Ces gens-là sont habitués en milieu urbain avec des limites de vitesse, disons, de 30 kilomètres-heure. Ils arrivent ici puis ils veulent imposer les mêmes lois qu’il y avait en ville, donc faire réduire les limites de vitesse. […] ça grogne aux assemblées de l’Hôtel de Ville. » – Rural de longue date 37, Brome-Missisquoi.
L’embourgeoisement des villages?
Certains ruraux de longue date disent se sentir dépossédés de leurs espaces de vie. L’arrivée de néo-ruraux avec un fort pouvoir d’achat influence fortement la valeur de l’immobilier et des taxes foncières, ainsi que les rapports commerciaux.
Des établissements spécialisés comme des épiceries fines, des galeries d’art ou des cafés branchés fleurissent dans certains villages, accueillant plutôt les ex-citadins que les résidents locaux. On qualifierait même la ville de Sutton de « petit Plateau Mont-Royal »[2]!
« Les gens de la ville ont beaucoup plus d’argent. […] ils ont acheté des maisons à des prix de fous […]. Puis là, le monde se plaint ici parce que le compte de taxes a monté à des prix de fous. […] Mais en même temps, ça fait monter notre valeur de maison et ça occasionne que les familles d’ici avec de jeunes enfants n’ont pas d’argent pour rivaliser avec 275 000 $. Il faut qu’ils déménagent ailleurs. » – Rural de longue date 39, Brome-Missisquoi.
Si certaines tensions sont inévitables, les occasions de se connaître et la volonté de s’entraider ne manquent pas.
De la cantine au garagiste
Les néo-ruraux souhaitent s’intégrer et participer à la vie communautaire. Les initiatives formelles et informelles des résidents locaux pour les accueillir, comme des « soupers de bienvenue », offrent des possibilités pour créer des liens et vaincre le « malaise de l’inconnu ».
Dans les lieux publics comme les terrains de loisirs, les salles communautaires ou certains commerces, les activités communautaires favorisent ce rapprochement.
« On s’est mêlé aux gens. On était sensible au fait que quand on arrive ici, il faut prendre le temps de se faire connaître. […] Quand il y a des activités sociales, des événements, des fêtes, on y va. Je passais beaucoup de temps, au début, à la cantine du village le matin. Veut, veut pas, on voyait les vrais gens de la place. Acheter tout localement. Essayer de contribuer aux commerces de la place. » – Néorural 24, Brome-Missisquoi.
« Les nouveaux arrivants vont à un moment ou à un autre avoir besoin du garagiste. […] C’est sûr qu’on était comme leur première référence. Puis on a développé des bonnes ententes. » – Rural de longue date 41, Arthabaska.
Les bonnes relations de voisinage sont importantes dans un cadre où l’éloignement des services joue au quotidien.
« J’ai un très bon contact avec les nouveaux résidents que j’ai à côtoyer. J’ai aucun problème. J’ai des voisins [néo-ruraux] que des fois, c’est juste pour de l’entraide, des renseignements ou par affaires aussi. […]j’ai un petit couple en agriculture qui vient d’arriver, puis c’est des super bonnes personnes. Je vais leur donner un petit coup de main. […] Des fois j’y vais avec mes équipements agricoles. » – Rural de longue date 38, Brome-Missisquoi.
Pour les parents nouvellement arrivés, les activités de leurs enfants sont aussi l’occasion de rencontrer d’autres familles.
« Via les enfant,s, on a connu beaucoup plus de gens. Il y en a qui sont des nouveaux résidents dans Brome- Missisquoi, puis il y en a d’autres qui sont natifs d’ici. » Néorural 13, Brome-Missisquoi.
Une nouvelle ruralité
Au final, les liens mutuels existent et sont cultivés. Mais cette cohabitation cordiale reste généralement réservée à l’espace public, devenant rarement plus intime.
« Je dirais que [mes voisins néo-ruraux] c’est des amis éloignés. Pas amis proches, mais des amis pour se rendre service puis se saluer. » Rural de longue date 38, Brome-Missisquoi.
À l’heure actuelle, les milieux ruraux connaissent donc de grandes transformations. Les habitudes citadines des nouveaux arrivants se confrontent parfois avec celles des habitants de longue date des villages étudiés. Mais les néo-ruraux amènent aussi avec eux des projets nouveaux pour dynamiser la campagne québécoise. L’Arthabaska, notamment, affiche une volonté affirmée d’attirer davantage de nouveaux habitants, vus comme une clé de la revitalisation des secteurs économiques, culturels et politiques. Ses montagnes seraient d’ailleurs privilégiées par les artistes…
Comme le soulignent les auteurs, « c’est au travers de leur cohabitation marquée par les différences ainsi que par les tensions et les compromis qui en émanent, que se construit la nouvelle ruralité d’aujourd’hui. »
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[1] Solidarité rurale du Québec, 2009
[2] Guimond et Simard, 2010