À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Olivia Vu et Marie-Christine Saint-Jacques, « Les frontières conjugales en contexte de recomposition familiale : l’expérience de beaux-parents vue sous un angle systémique », publié en 2021 dans Service social, volume 67, no 1.

  • Faits saillants

  • En 2021, 11 % des familles avec des enfants au Québec sont recomposées alors que la moyenne canadienne est de 9,3 %.
  • En 2021, le Québec et le Nouveau-Brunswick sont les provinces ou territoires canadiens ayant le plus de familles recomposées.
  • Le bon fonctionnement des couples issus de familles recomposées oscille autour de trois éléments fondamentaux : des frontières conjugales claires et flexibles, la clarté du rôle du beau-parent et une forte identité de couple.
  • Une transition graduelle de la fréquentation vers la vie familiale est un élément favorable au maintien du lien conjugal.

Avec ou sans enfants? Biologique, d’accueil ou choisie? Nucléaire, monoparentale ou recomposée? L’éventail de la famille ne fait que s’élargir! Pourtant, peu d’attention est portée sur les familles recomposées qui représentent, en 2021, près de 11 % des familles avec enfants du Québec1. Et qui dit famille recomposée, dit belle-parentalité! Alors qu’ils sont les principaux concernés, la perspective des beaux-parents est souvent négligée au bénéfice de celle des enfants ou des parents, lorsque vient le temps de s’interroger sur la vie conjugale en contexte de recomposition familiale.

Les résultats présentés dans l’article de Oliva Vu et Marie-Christine Saint-Jacques, chercheuses à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, proviennent d’un projet de recherche qui porte sur le couple en contexte de famille recomposée. Dans leur article, elles se penchent uniquement sur le point de vue des beaux-parents. Pour ce faire, elles analysent les entrevues de 6 beaux-pères et 6 belles-mères en couple hétérosexuel, dont la moyenne d’âge est de 41 ans (30 à 62 ans). Quant à la durée de l’union de ces couples, la moyenne est de 4,5 ans, soit trois ans pour les couples séparés et neuf ans pour ceux qui ne le sont pas. Alors, qu’en est-il du lien conjugal au sein des familles recomposées? Aussi fort et complexe que les configurations familiales!

Une famille recomposée, qu’est-ce que ça mange en hiver?

Des carottes, des oignons et du céleri : une lasagne bien garnie! Peut-être, mais au niveau de sa dynamique, une famille recomposée est constituée d’un couple ayant la garde partagée ou occasionnelle d’enfants nés d’une précédente union d’un·e ou des partenaires. Plutôt simple, non? Oui, mais elle se différencie par l’enchevêtrement de relations entre les parents biologiques, les enfants, le couple et les membres de la famille élargie. Bref, le cocon conjugal n’est jamais complètement exempt des autres bulles.

Comment les couples jonglent-ils avec ces relations? En délimitant les différentes bulles relationnelles. De quelle façon? Les études soulignent l’existence de trois types de frontières conjugales, dont chacune met en évidence une façon différente de gérer l’influence des autres bulles sur le couple. Dans l’étude de Vu et Saint-Jacques, seuls deux types de frontières ont été observées chez les beaux-parents, soit les frontières «  enchevêtrées  » et «  distinctes  ». Qu’en est-il de la troisième? La frontière conjugale de type «  désengagé  » se distingue par l’herméticité et la rigidité des frontières entre les différentes relations ainsi que par la centralité du couple par rapport aux enfants.

Frontières «  enchevêtrées  » ou l’art de se perdre dans le flou familial

Ouvrir grand sa frontière conjugale avec les différentes bulles qui entourent la famille recomposée… Trop, c’est comme pas assez! Les beaux-parents ont parfois l’impression d’être étrangers ou étrangères au sein de leur propre relation amoureuse en raison du fort lien parent-enfant de leur partenaire :


« La manière que je voyais ça, c’est qu’il y avait, [son ex-partenaire et son fils], qui étaient ensemble et moi je gravitais autour, au lieu d’avoir les parents ensemble et les enfants qui gravitent… À mon avis. Fait que la priorité pour elle c’était son fiston et ça ne me convenait pas. »

– Benoît, beau-parent, séparé, en union pendant 5 ans

Autre ressenti : celui de « partager [son] couple avec tout plein de personnes  » (Bernard, beau-père, séparé, en union pendant 4 ans), entre autres, avec les parents des partenaires.

Au sentiment que les autres s’immiscent dans le couple s’ajoute le mécontentement des beaux-parents vis-à-vis de leur rôle au sein de la famille recomposée. Parmi les sept beaux-parents s’exprimant sur cette configuration, trois mentionnent que leur rôle reste flou alors que quatre affirment qu’il est trop rigide et ne leur convient pas. Tous les beaux-parents tentent – en vain – de le négocier avec leur partenaire :


« Honnêtement, on en discute, mais c’est un constat que ça ne donne pas vraiment quelque chose d’en jaser parce qu’on a tellement jasé sur plusieurs, plusieurs points, des détails, des choses importantes, des choses insignifiantes, que j’ai comme constaté que ça ne donnait rien. »

– Brenda, belle-mère, séparée, en union pendant 1 an


Ultimement, un sentiment de perdre l’identité de son couple s’installe au fur et à mesure que les tensions et les insatisfactions en lien avec la frontière conjugale et le rôle des beaux-parents s’accumulent :


« Je n’ai jamais eu l’impression qu’on était un «  couple-couple  ». C’était comme deux colocs avec des enfants, et ça a fini par être deux colocs qui n’habitent plus ensemble au final. »

– Damien, parent et beau-parent, séparé, en union pendant 1 an


Frontières distinctes : une combinaison presque parfaite

Comme l’indique son nom, la frontière distincte est bien… distincte! Les limites sont définies, mais demeurent flexibles s’adaptant aux aléas de la vie. Les beaux-parents reconnaissent la mouvance caractéristique des familles recomposées. Or, en cas de relations conflictuelles avec les autres bulles, le couple n’hésite pas à fermer sa frontière afin de protéger le lien conjugal.

Tout comme la frontière conjugale, l’implication des beaux-parents au sein de la famille recomposée est limpide et s’adapte aux besoins des enfants et du couple. Pour certains, la gestion des enfants est séparée, afin de préserver l’harmonie du couple alors que pour d’autres, les beaux-parents endossent leur rôle parental et participent activement à l’éducation des enfants :


« [Ma partenaire] est bonne, elle est cent fois meilleure que moi, je lui fais confiance pour éduquer les enfants. Même chose pour elle, j’ai du bon sens, j’ai une tête sur les épaules puis je [ne] ferais pas n’importe quoi avec les enfants. »

– Éric, parent et beau-parent, en couple, en union depuis 6 ans


Les partenaires ayant des frontières conjugales distinctes tentent de préserver à tout prix l’identité du couple. Comment? En prônant une communication positive et ouverte autour des défis ou des étapes de la vie qu’ils rencontrent ou en allouant du temps de qualité spécifiquement pour la relation parent-enfant ou entre les partenaires. Cette dernière stratégie permet de réguler les attentes des beaux-parents vis-à-vis la famille recomposée.


« Mon mari, j’ai toujours senti qu’il m’aimait profondément et même avec ses enfants, j’étais sa priorité. Je ne me suis jamais sentie en compétition avec son ex. Puis même par rapport à [notre enfant], j’ai toujours su que mon mari me protégerait, j’ai toujours su que de toute façon, s’il fallait qu’il tranche, qu’il [ne] laisserait pas les enfants nous séparer. »

-Émilie, parent et beau-parent, en couple, en union depuis 7 ans

Ce type de frontières est le seul dans lequel on observe des couples toujours ensemble; serait-ce le fonctionnement parfait?

La lune de miel, le morceau manquant du casse-tête

L’expérience de la conjugalité au sein des familles recomposées : positive ou négative? Plutôt positive, même si des frontières perméables ou des rôles moins définis peuvent provoquer leur lot d’insatisfactions. La solution? Prendre le temps de se fréquenter et de vivre sa lune de miel avant d’introduire les enfants dans la bulle conjugale. Le temps alloué à la vie à deux sans la « distraction du quotidien » permet de créer une identité de couple solide basée sur le partage d’objectifs de vie et de valeurs semblables. Ainsi, une fois le couple mis à l’épreuve par les défis de la vie familiale, les partenaires peuvent compter sur leur identité de couple pour faciliter la résolution de conflits et maintenir le lien conjugal. Étant donné que ce n’est qu’en rétrospective que les bons et les moins bons coups sont identifiés, il est d’autant plus important que les informations sur la communication positive, la transition graduelle à la vie familiale, les frontières conjugales et les rôles beaux-parentaux bien définis soient accessibles aux parents et aux beaux-parents. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ) met à la disposition du public un dossier complet ainsi que des références, dont une série de capsules vidéo, sur les réalités des familles recomposées.


Source des deux premiers faits saillants : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220713/cg-a002-eng.htm

  1. Fédération des associations des familles monoparentales et recomposées du Québec : https://fafmrq.org/