Certaines femmes enceintes évoluent dans d’importants contextes de vulnérabilité : difficultés financières, absence d’emploi, problèmes de santé, faible niveau d’éducation, etc. Ces circonstances exposent les mères à des risques de complications pouvant nuire à leur santé et à celle des enfants à naître. Les soins prénataux offerts par le biais de programmes communautaires et gouvernementaux peuvent diminuer les risques qui en découlent. Mais l’expérience qu’en font les femmes influence leur motivation à y recourir, puis leur volonté de continuer ou non à les utiliser. Qu’est-ce qui agit sur leur expérience et comment l’améliorer? La satisfaction de leurs besoins et la perception qu’elles ont de l’infirmière qui leur prodigue les soins l’influencent, tout comme celle qu’elles ont de l’organisation qui structure les services.
Une équipe de recherche de l’Université du Québec à Chicoutimi, de l’Université de Montréal et de l’Université de Sherbrooke s’intéresse à l’expérience des soins prénataux que font les Québécoises en situation de vulnérabilité. L’objectif? Décrire les facteurs qui influent sur la façon dont ces femmes vivent les soins. Pour ce faire, elle interroge 24 femmes âgées entre 16 et 38 ans qui reçoivent des soins prénataux par le biais du programme Œufs, lait, orange (Olo) ou celui des Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE). Pour la moitié d’entre elles, il s’agit d’une première grossesse. Alors que 10 femmes sont enceintes au moment des entretiens, 14 autres ont donné naissance dans les 12 mois précédant l’étude.
Quand le contexte détermine les besoins
Qu’est-ce qui détermine qu’une femme se trouve ou non en contexte de vulnérabilité? Les chances qu’elle rencontre des difficultés physiques, psychologiques, cognitives ou sociales, un soutien déficient ou absent, ou des difficultés à s’adapter. Plusieurs éléments contribuent à créer une situation de vulnérabilité.

Besoins et attentes peuvent donc varier selon la situation particulière dans laquelle se trouve chacune de ces femmes : pour l’une qui vit avec la paralysie cérébrale, le besoin d’assistance; pour celle qui vit de l’isolement, le besoin de parler; pour une mère adolescente, le besoin d’être rassurée; ou encore, pour une femme appartenant à la communauté LGBTQ2+, le besoin d’en apprendre plus sur le rôle de son ou de sa partenaire. Pour les participantes, c’est le fait que ces besoins et attentes soient comblés ou non par les organisations et le personnel impliqué auprès d’elles qui influence leur perception des soins reçus.
Personne-ressource recherchée
Certaines femmes choisissent de se tourner vers les soins prénataux parce qu’un·e membre de leur famille ou un·e professionnel·le les y a encouragées. D’autres décident d’y recourir par elles-mêmes. Parmi les besoins qui les amènent à utiliser ces services, les participantes nomment celui d’avoir accès à une personne-ressource. C’est-à-dire une personne qui détient des connaissances relatives aux soins prénataux et à qui elles peuvent poser des questions, demander du soutien et nommer leurs inquiétudes.
Les besoins et les attentes des femmes interrogées sont liés à plusieurs aspects de leur vie, notamment leur expérience passée et leur grossesse actuelle. Les femmes qui ont apprécié leur expérience précédente s’attendent alors à ce que la présente soit identique. À l’inverse, une expérience négative peut générer certaines inquiétudes. La grossesse en cours peut aussi faire émerger la volonté d’en apprendre plus sur l’allaitement, l’accouchement, le couple et la parentalité, par exemple. Les préoccupations qu’ont les participantes au sujet des autres enfants de la famille peuvent également venir élargir le type de besoins à combler.
« J’avais des inquiétudes au sujet de mon aîné, alors [l’infirmière] m’a référé à un éducateur du CLSC pour ses problèmes de comportement. »
– Felicia [traduction libre]
Participer aux soins pour gagner en confiance
Franches, ouvertes, drôles, rassurantes et engagées : les infirmières qui possèdent ces qualités et qui adoptent une approche attentive et bienveillante influencent positivement l’expérience des femmes. À l’inverse, celles qui ont une approche plus distante, qui font preuve d’un manque de considération, de proactivité, de présence ou qui émettent des jugements l’affectent négativement. Pour certaines femmes, l’âge est synonyme d’expérience et la jeunesse, d’inexpérience. Ainsi, si quelques-unes préfèrent une infirmière plus âgée, pour d’autres, le fait que l’infirmière appartienne à leur groupe d’âge facilite le développement d’une relation.
Les actes posés par les infirmières – examen, conseils, enseignement, etc. – varient d’un CLSC à un autre et d’une femme à une autre. Si certaines interventions sont rassurantes pour quelques participantes, elles ne le sont pas pour toutes. L’ensemble des femmes de l’étude mentionnent cependant que les stratégies utilisées par les infirmières pour favoriser leur participation dans les soins les ont aidées à se sentir engagées.
« J’ai trouvé ça amusant […]. Je pouvais choisir de recevoir ou non les soins […]. Ce n’était pas stressant et ça m’a donné confiance en moi. »
– Élisa [traduction libre]
À chacune ses préférences
Les répondantes ont différentes préférences quant aux modalités entourant les soins qu’elles reçoivent : le nombre de rencontres, leur fréquence, leur contenu, leur lieu ou le moment auquel les services débutent. Pour certaines, plus anxieuses, les rencontres à la maison sont rassurantes. D’autres sont mal à l’aise de montrer leur demeure et préfèrent se déplacer au CLSC. Des femmes habitées par la peur de faire une fausse couche auraient préféré que les services commencent plus tôt. Sarah, par exemple, affirme ne pas avoir pu profiter de sa grossesse parce qu’elle vivait trop d’inquiétudes. Elle aurait aimé que les rencontres avec l’infirmière soient plus rapprochées les unes des autres.
« Au début, c’était une fois par mois. J’aurais peut-être aimé des rencontres aux deux semaines. […] durant cette période, je la contactais souvent par courriel. J’avais beaucoup de questions au début. »
– Sarah [traduction libre]
Toutes les femmes qui ont une bonne relation avec l’infirmière qui s’implique auprès d’elles souhaitent que les soins se poursuivent avec cette dernière. Elles craignent de ne pas se sentir confortables avec une nouvelle personne ou que la continuité des soins en soit affectée. Elles mentionnent également que les services complémentaires vers qui elles sont parfois référées – nutritionniste, travailleuse sociale, organismes communautaires, etc. – peuvent arriver trop tard ou jamais, ce qui les laisse avec des besoins non comblés. À l’inverse, parmi celles qui reçoivent des services supplémentaires, certaines ont le sentiment d’être surchargées par le trop grand nombre de professionnel·le·s à consulter. Ainsi, les circonstances uniques et particulières dans lesquelles se retrouve chacune des participantes pendant leur grossesse font en sorte qu’un même élément peut être irritant pour certaines et rassurant pour d’autres.
Plusieurs facteurs influencent donc l’expérience de soins des femmes enceintes en situation de vulnérabilité. C’est l’équilibre entre ces différents éléments qui détermine si leur vécu est positif ou négatif. Finalement, le caractère positif ou négatif de cette expérience les encourage ou non à recourir à ces soins et à les poursuivre.

Une solution? Penser les soins avec elles
Les composantes qui créent le contexte de vulnérabilité dans lesquelles ces femmes vivent influencent donc définitivement les besoins et les attentes envers les services prénataux. Les réponses offertes par les professionnel·le·s et les organisations influencent, à leur tour, l’expérience qu’elles en font. C’est cette expérience personnelle, positive ou négative, qui semble déterminer si les femmes enceintes choisiront de poursuivre les soins ou non. Cela souligne toute l’importance d’un accompagnement individualisé et centré sur les celles-ci. En adoptant une approche respectueuse, en favorisant leur autonomisation, et en leur offrant la possibilité d’intervenir sur le déroulement de ces rencontres, le temps alloué pour celles-ci, où elles auront lieu, l’objectif de chacune d’elles, puis leur fréquence, les infirmières et les institutions peuvent contribuer positivement à leur expérience. Une approche personnalisée qui prend en compte l’histoire, la personnalité et le point de vue de chacune de ces femmes peut faire une différence importante et encourager une plus grande proportion d’entre elles à utiliser les services prénataux. Ce qui peut contribuer à améliorer leur santé et celle de leurs enfants.





