« Jean-Paul, 84 ans, est seul dans sa chambre en CHSLD. Ses enfants et ses petits-enfants ne viennent le visiter qu’une fois par mois. Depuis que sa femme est décédée il y a cinq ans, il se sent terriblement seul… » Cette image de la vieillesse peut sembler coutumière pour plusieurs. Toutefois, bien que nous ayons tendance à penser que vieillesse rime avec solitude, les aînés ne sont pas tous du même avis!
Il a été démontré que la majorité des personnes de moins de 65 ans pense que la solitude est un grave problème pour leurs aînés. Toutefois, seulement une personne âgée sur dix s’estime isolée[1]. Dans ce cas, comment expliquer cet écart dans les perceptions des jeunes et des moins jeunes?
Les auteurs de cette recherche ont tenté de comprendre comment les aînés perçoivent le fait d’être seuls et ainsi connaître les principales sources de leur isolement. Pour ce faire, ils ont interviewé des aînés du quartier montréalais Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent. Les 50 participants étaient tous susceptibles de vivre de l’isolement social, c’est-à-dire « d’avoir peu de contacts et des contacts de faible qualité avec les autres ». Les participants étaient âgés de 60 à 105 ans. Parmi ces derniers, on comptait 29 femmes et 21 hommes. De ce nombre, 23 étaient issus de l’immigration.
Isolement ou solitude?
Dans la littérature scientifique, l’isolement est souvent associé à des problèmes personnels, psychosociaux ou de santé. Toutefois, cette conception prend rarement en compte le point de vue des aînés. Dans cette étude, les 65 ans et plus distinguent clairement isolement et solitude. En effet, certaines personnes ressentent de la solitude même si elles sont très bien entourées, alors que d’autres, ayant un faible réseau social, n’en vivent pas. Les études démontrent que la solitude est un sentiment subjectif; elle est ressentie seulement lorsque l’individu ressent une insatisfaction entre ses relations sociales au quotidien et ce qu’il croit être normal. On peut donc être isolé, mais ne pas se sentir seul!
Par exemple, on pourrait croire que les personnes âgées vivant en résidence ressentent moins de solitude que celles vivant à domicile… mais ce n’est pas toujours le cas! Plusieurs facteurs peuvent faire en sorte que les résidents vivent de la solitude. Comme les aînés sortent rarement de leur résidence, ceux qui subissent de l’exclusion de la part des autres peuvent se sentir très seuls. Par exemple, un aîné peut rapidement devenir la cible de potins s’il souffre de problèmes de santé (surdité, perte de mémoire, utilisation d’une marchette, etc.). De plus, certains aînés évitent de se confier à leurs congénères, afin de ne pas exposer leurs faiblesses ou risquer d’être marginalisés. Ainsi, selon certains participants, les autres résidents sont rarement perçus comme des amis. Une femme de 77 ans l’exprime : « T’as beau être dans une résidence, mais c’est tous des étrangers pour toi, il n’y a pas d’échange véritable. »
Le désir d’être « laissé tranquille »
La grande majorité des participants ne se considérait pas comme souffrant de solitude, peu importe leur lieu de résidence. Plusieurs aînés ont même affirmé leur désir d’être laissés tranquilles, sauf s’ils demandent de l’aide. Selon Cumming et Henry, cette attitude pourrait constituer une manière de s’adapter au vieillissement. Ainsi, pour mieux pallier aux changements liés à la vieillesse et à une société qui tend à décourager la participation sociale des aînés, ces derniers se retireraient volontairement[2].
Toutefois, les aînés se sentent préoccupés lorsque certains aléas de la vie quotidienne surviennent. Ces petits problèmes, comme une télévision déréglée, peuvent devenir compliqués s’ils sont isolés. Certains aînés n’auront personne à qui demander de l’aide et préféreront se priver de divertissement pour plusieurs jours, le temps de croiser quelqu’un pouvant les aider… Par ailleurs, les aînés évitent aussi de s’ouvrir sur des problèmes plus importants. Par exemple, plusieurs participants hésitent à se confier sur leurs soucis de santé par peur d’être un fardeau ou d’être conduits dans une résidence pour personnes non-autonomes
La peur de déranger la famille
La famille occupe une place très importante pour la majorité des aînés interrogés. D’ailleurs, en vieillissant, la parenté occupe une place grandissante dans le réseau social d’un individu : alors que la famille représente environ 20 % de l’entourage à 20 ans, elle en constitue 50 % à 80 ans! Malgré cela, les aînés demandent peu d’aide à leur famille par peur de les déranger.
Pour leur part, les aînés issus de l’immigration hésitent moins à se confier à leur famille en cas de besoin. Dans leur pays d’origine, disent-ils, les familles sont plus proches et s’occupent mieux de leurs parents vieillissants. L’isolement y serait donc un phénomène très rare. Ainsi, pour un individu ayant immigré, le réseau familial constitue une barrière importante au sentiment de solitude.
Personnalité, finances, transports
Les participants attribuent l’isolement à des facteurs individuels, comme certains traits de caractère. Selon eux, le fait d’être timide, solitaire ou mal à l’aise en groupe augmente les chances qu’une personne soit isolée. L’aspect financier est également un facteur important d’isolement social. Plusieurs aînés interviewés hésitent à dépenser leur argent au cas où ils il leur arriverait quelque chose, et se privent ainsi de plusieurs occasions de socialiser. De plus, comme peu d’aînés possèdent un permis de conduire, ils utilisent les transports en commun, un moyen qu’ils disent peu adapté à leurs besoins. Ils nomment, entre autres, les arrêts d’autobus trop éloignés et la crainte de faire une chute faute de siège libre. Cette difficulté à trouver un transport adapté à leurs besoins les mène à éviter plusieurs sorties.
Vers des solutions réellement efficaces
L’isolement des aînés semble moins problématique que ce que l’on pourrait croire. Du point de vue des aînés, il constituerait une manière de s’adapter aux changements liés au vieillissement et de conserver leur autonomie. Toutefois, des mesures simples pourraient être mises en place afin de remédier aux quelques effets néfastes de l’isolement : transports véritablement adaptés, loisirs à moindre coût, accompagnement lors des sorties… Bien entendu, prendre davantage en compte le point de vue des aînés dans les recherches futures pourrait permettre de mieux cerner leurs véritables besoins.
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[1] Kaufman, J.-C. (1995). Les cadres sociaux du sentiment de solitude. Sciences sociales et santé, 13(1), p. 123-136.
[2] Cumming, E. et Henry, W. (1961). Growing old. The process of disengagement. New York : Basic Book.