À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Francine de Montigny, Chantal Verdon, Sophie Meunier et Diane Dubeau, « Women’s Persistent Depressive and Perinatal Grief Symptoms Following a Miscarriage: The Role of Childlessness and Satisfaction with Healthcare Services », publié en 2017, dans Archives of Womens Mental Health, vol. 20, n° 5, p. 655-662.

  • Faits saillants

  • Environ une grossesse sur six se termine par une fausse couche, et entre 10 et 15 % des femmes développeront une dépression dans les mois suivants.
  • En cas de fausse couche, les symptômes du deuil périnatal ne sont pas comparables à ceux d’un épisode de dépression. Une femme peut donc vivre un deuil (ex. : tentative de trouver un sens à la perte) sans recevoir de diagnostic de dépression, et vice-versa.
  • Avoir d’autres enfants à la maison aide à diminuer les symptômes de deuil périnatal résultant d’une fausse couche. Chez les femmes sans enfant, les symptômes demeurent stables ou augmentent avec le temps.
  • Les femmes qui se disent satisfaites des soins de santé reçus avant, pendant et après une fausse couche voient leurs symptômes de deuil périnatal diminuer au fil du temps, contrairement à celles qui en sont insatisfaites.

Vivre une fausse couche : voilà une peur que partagent les couples qui attendent un enfant. Cet évènement douloureux n’est pourtant pas rare : environ une grossesse sur six se termine de cette manière. Si les femmes qui vivent une fausse couche passent par toute une gamme d’émotions comme la tristesse, la colère et la culpabilité, les difficultés psychologiques qu’elles traversent demeurent un sujet tabou peu abordé. Comment expliquer que certaines femmes surmontent le deuil et la tristesse plus rapidement que d’autres ? Le passage du temps, le fait d’avoir d’autres enfants et la qualité des services de santé font partie de la réponse.

Francine de Montigny, Chantal Verdon, Sophie Meunier et Diane Dubeau, chercheuses en sciences infirmières et en psychologie dans deux universités québécoises, veulent identifier les facteurs qui aident les femmes à se rétablir d’une fausse couche. Elles se basent sur les informations recueillies auprès de 245 femmes âgées de 25 à 34 ans ayant répondu à un questionnaire en ligne. Les participantes ont vécu au moins une fausse couche dans les six dernières années, et plus du tiers d’entre elles sont sans enfant.

Dépression et deuil : nuance !

Parmi les femmes qui font une fausse couche, jusqu’à une sur six développera une dépression majeure dans les mois qui suivent. Même si la dépression et le deuil périnatal se ressemblent à première vue, ils ne sont pas nécessairement ressentis de la même manière et doivent être évalués séparément. Par exemple, une femme ayant vécu une fausse couche peut éprouver des symptômes de deuil (ex. : impression que les émotions sont « engourdies », tentative de trouver un sens à sa perte), tout en étant capable de bien fonctionner au quotidien, sans vivre de symptômes dépressifs.

Le temps fait bien les choses… vraiment ?

En règle générale, les femmes qui ont vécu une fausse couche récente rapportent davantage de symptômes de dépression et de deuil. Plus précisément, celles dont la grossesse s’est interrompue dans les 6 derniers mois sont plus fragiles que les femmes ayant vécu une fausse couche il y a plus de six mois.

Fait étonnant : les symptômes grimpent en flèche chez les femmes qui ont vécu une fausse couche entre un et deux ans auparavant, mais se résorbent par la suite. Comment expliquer cela ? Des difficultés à concevoir un autre enfant, l’anniversaire de la perte du bébé ou une autre date associée à la fausse couche peuvent raviver des souvenirs douloureux, d’après les auteures.

Les autres enfants : un baume sur la blessure

Avoir un enfant à la maison peut adoucir les symptômes de deuil périnatal. Chez les femmes sans enfant, ces symptômes demeurent stables ou peuvent même augmenter au fil du temps, alors qu’ils diminuent chez celles qui ont d’autres petits. Une nuance cependant : si la présence d’un enfant semble apaiser le deuil, aucune différence significative ne s’observe sur le plan des manifestations de dépression.

Figure 1. Symptômes de deuil périnatal selon le temps écoulé depuis la fausse couche et la présence d’autres enfants (Source : de Montigny et al., 2017)

Est-ce le fait d’avoir déjà des enfants ou plutôt de retomber enceinte qui influe sur le bien-être des mères ? Impossible de le savoir, puisque l’étude ne précise pas si les autres enfants sont nés avant ou après la fausse couche. Quoi qu’il en soit, les femmes sans enfant semblent particulièrement vulnérables face à cette épreuve.

Quand la qualité des services n’est pas au rendez-vous
Perdre un enfant durant la grossesse est un évènement difficile et douloureux. C’est pourquoi les femmes concernées doivent être entourées de personnel médical bienveillant et compréhensif avant, pendant et après la fausse couche.

Les chercheuses ont demandé aux participantes dans quelle mesure elles se disent satisfaites des services de santé reçus de la part de divers professionnels de la santé (ex. : infirmière, médecin, gynécologue, etc.). Sans surprise : plus elles se sentent satisfaites des soins offerts, plus leurs symptômes de deuil diminuent avec le temps. À l’inverse, celles qui ont vécu une mauvaise expérience (ex. : manque d’empathie, d’information ou de suivi) voient leurs symptômes demeurer stables ou même augmenter au fil du temps.

Tout comme pour la présence d’autres enfants, la satisfaction vis-à-vis les services de santé influence le deuil périnatal, mais pas les symptômes dépressifs. Pour expliquer ce phénomène, les études futures pourraient prendre en compte d’autres facteurs, comme l’historique de santé mentale de la mère.

Figure 2. Symptômes de deuil périnatal selon le temps écoulé depuis la fausse couche et la satisfaction vis-à-vis des services de santé reçus (Source : de Montigny et al., 2017)

En somme, la qualité des services périnataux influence la santé mentale des patientes durant les mois, voire les années suivant la perte d’un enfant. Malheureusement, faute de temps ou de ressources du côté des équipes médicales, plusieurs femmes se disent insatisfaites de l’accompagnement reçu à toutes les étapes. D’après les auteures, beaucoup reste à faire pour adapter les services de santé à leurs besoins.

Cliniques d’évaluation de grossesse au premier trimestre : la solution ?

Une fausse couche est un évènement plus que difficile à surmonter. Force est de constater qu’une prise en charge adéquate, la qualité des services de santé reçus et la présence d’autres enfants facilitent le travail de deuil. Même si la fausse couche est relativement fréquente, ses conséquences psychologiques sont loin d’être négligeables. Comme le soulignent les auteures, les professionnels de la santé qui travaillent auprès de ces femmes devraient accorder une attention particulière aux personnes plus vulnérables, notamment celles qui n’ont pas d’enfant.

Comment optimiser les services à l’intention de ces femmes ? Les Early pregnancy assessment clinics (EPAC), ou Cliniques d’évaluation de grossesse au premier trimestre, pourraient faire partie de la solution. Implantées au Royaume-Uni dans les années 1990 et, plus récemment, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Canada, elles emploient du personnel spécialement formé aux complications du premier trimestre de la grossesse, dont les fausses couches. Cette initiative est porteuse de plusieurs bénéfices : meilleure qualité des services offerts, diminution du temps d’attente, plus grande satisfaction des patientes… Le hic : ce concept relativement récent est encore très peu répandu dans notre système de santé. Habitué à être le chef de file en matière de mesures sociales, le Québec finira-t-il par emboîter le pas à d’autres provinces canadiennes ?