À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Anne-Sophie Côté et Sophie Éthier, « Nous ne sommes pas des ados normaux : lumière sur ces jeunes proches aidants invisibles », publié en 2020 dans Intervention, no 151, p. 147-162.

  • Faits saillants

  • Les jeunes peuvent occuper un rôle de proches aidant·e·s, en effectuant des tâches qui sont habituellement des responsabilités d’adultes dans un contexte où un membre de la famille est aux prises avec une perte d’autonomie, un handicap, un problème de santé mentale ou physique, ou lorsqu’il y a une absence à la suite d’un deuil ou d’une séparation, etc.
  • La jeune proche aidance est grandement méconnue au Québec. Par conséquent, les ressources d’aide et de soutien pour ces jeunes se font rares.
  • L’expérience de proche aidance, bien qu’elle comporte son lot de défis, est perçue comme étant gratifiante et utile par l’ensemble des jeunes de l’étude. Ils et elles ressentent de la fierté à assumer ce rôle au sein de leur famille et souhaitent continuer à l’exercer malgré les difficultés.
  • Parce que la jeune proche aidance souffre d’un grand manque de reconnaissance sociale, rares sont les jeunes proches aidant·e·s à s’identifier comme tel, même s’ils et elles effectuent un travail considérable dans le domicile familial.

Charlotte est proche aidante de sa mère. Elle intervient dans différentes tâches pour la soutenir au quotidien : ménage, préparation des repas, accompagnement à ses rendez-vous médicaux et aide avec son hygiène personnelle. Peut-être imaginez-vous que Charlotte est une femme d’une quarantaine d’années assistant son parent vieillissant? Mais non, il s’agit plutôt une jeune fille de 14 ans. En 2022 au Canada, la réalité de la jeune proche aidance envers un·e adulte touchait près d’une personne de 15 à 24 ans sur cinq.1 Néanmoins, elle demeure grandement méconnue, autant par le réseau de la santé, le système scolaire que par la population. À tel point qu’aucune politique ou mesure gouvernementale n’existe au Québec pour soutenir ou pour identifier ces jeunes. En conséquence? Rares sont celles et ceux qui se reconnaissent comme proches aidant·e·s, malgré leurs responsabilités importantes.

Anne-Sophie Côté, travailleuse sociale à l’organisme Deuil Jeunesse, et Sophie Éthier, professeure à l’Université Laval, s’intéressent au vécu des jeunes proches aidant·e·s. Elles s’attardent à la pertinence d’une intervention de groupe comme espace où les jeunes peuvent s’aider mutuellement, briser l’isolement et mieux comprendre leur rôle au sein de leur famille. Vu le peu de reconnaissance des réalités de la jeune proche aidance au Québec au moment de l’étude – même par les personnes concernées – , l‘équipe de recherche n’a pas eu accès à des adolescent·e·s s’auto-identifiant comme des proches aidant·e·s. Pour rejoindre ces jeunes personnes, elle est donc passée par l’organisme Deuil Jeunesse, qui apporte du soutien à des personnes vivant un deuil. Ainsi, elles ont pu parler à quatre d’entre elles âgées de 12 et 17 ans qui s’identifiaient comme prenant soin d’un membre de leur famille depuis au moins cinq mois à la suite d’un décès survenu dans leur famille. Qu’apprend-on lorsqu’on donne la parole à ces jeunes, jusqu’ici invisibles, qui jouent pourtant un rôle important au sein de leur famille et de la société?

Le rôle de proche aidant·e : « C’est plus qu’aider à vider le lave-vaisselle »

Il existe bien des contextes dans lesquels une personne peut être amenée à endosser un rôle de proche aidant·e. Perte d’autonomie d’un membre de la famille, handicap, enjeu de santé physique ou mentale, maladie, toxicomanie, ou absence à la suite d’un décès ou d’une séparation : les raisons qui conduisent un·e jeune à assumer des responsabilités d’adultes pour son parent, son frère, sa sœur, son grand-parent, sont multiples.

Direct ou indirect, le soutien apporté à la famille peut prendre plusieurs formes. Au quotidien, l’aide directe auprès de la personne peut être, par exemple, d’assurer une présence constante ou une surveillance auprès d’un parent ayant des enjeux de santé mentale, de veiller à la bonne prise de ses médicaments, de porter des charges lourdes, etc.

L’aide indirecte se traduit davantage par le maintien d’un environnement agréable et adapté pour la personne aidée et les autres membres de la famille. La participation accrue aux tâches domestiques, comme le ménage et la préparation des repas, en sont de bons exemples. Or, comparativement aux autres jeunes du même âge qui peuvent aussi avoir ces responsabilités, ce type de soutien pallie le manque d’une présence adulte dans la maison, et ne relève donc pas d’une implication normale pour un·e adolescent·e.

En outre, le rôle de proche aidant peut aussi entraîner des répercussions à l’extérieur du domicile familial. Préoccupations et inquiétudes qui perdurent à l’école, difficultés et fatigue liées à la conciliation vie personnelle-études; les effets au quotidien sont multiples. De plus, les impacts de ce rôle résonnent jusque dans la sphère sociale. Par exemple, un·e jeune proche aidant·e choisit de rester à la maison plutôt que d’aller voir des ami·e·s pour être auprès de la personne proche aidée.

« Si mes amis m’appellent et que ma mère ne feel pas, c’est sûr que je ne sors pas et que je reste avec ma mère. » – Xavier, 12 ans

Finalement, les jeunes expriment un fort sentiment de protection envers la personne proche aidée et les autres membres de leur famille, comme leur fratrie. Ils et elles veulent leur éviter à tout prix un éventuel drame ou les épargner des difficultés qu’ils et elles ont déjà connues par le passé.

Est-ce cela veut dire que les jeunes trouvent leurs responsabilités trop lourdes à porter? Pas nécessairement… Les participant·e·s de l’étude perçoivent ces dernières comme étant plus positives que négatives. En effet, leur rôle est gratifiant et leur donne une sensation d’accomplissement ainsi que l’impression d’être utile pour la famille. D’ailleurs, au moment de l’étude, les quatre jeunes désiraient continuer à s’impliquer auprès de leur(s) proche(s). Cette perception positive de leurs responsabilités est aussi liée à leur difficulté à s’identifier comme proches aidant·e·s, puisqu’ils et elles ne veulent pas sembler avoir du ressentiment face à leur situation.

« J’ai appris que j’étais une proche aidante »

Comment se sentent les jeunes proches aidant·e·s partageant leurs expériences pour la première fois avec d’autres personnes vivant la même situation? Soutenu·e·s et compris·e·s! Leur vécu commun leur permet de créer un lien instantané et de s’aider mutuellement dans leurs difficultés et d’ainsi briser l’isolement. Cette réalité est assez spécifique et peu connue, ce qui fait qu’elle est relativement taboue dans leur quotidien et qu’il est difficile d’en parler à leurs ami·e·s.

Au départ, ce n’est pas leur rôle de proches aidant·e·s qui les ont mené·e·s à participer à l’étude, mais bien leur envie de partager leur réalité avec d’autres jeunes ayant aussi vécu un deuil. À ce moment, les participant·e·s ne réalisaient pas encore que leurs responsabilités à la maison étaient aussi significatives. Mais, au fil des rencontres, il y a eu une prise de conscience que leur implication dépassait largement le stade d’aide. Les jeunes ont ainsi mieux compris l’importance de leur rôle au sein de leur famille. Le contexte de l’intervention de groupe les a aussi amené·e·s à pouvoir admettre qu’en dépit de la satisfaction éprouvée par leur rôle, ces jeunes peuvent vivre certains défis, dont l’absence de temps personnel. En effet, chacun·e a relevé la difficulté à prendre du temps pour soi, que ce soit pour faire de la musique, pratiquer un sport, s’adonner au dessin, à l’écriture ou sortir avec ses ami·e·s. Bref, autant d’activités susceptibles de leur permettre de se recentrer et de prendre soin d’eux et elles. Ce constat des participant·e·s révèle l’importance de développer des espaces où ils et elles peuvent partager leur réalité, afin de mieux se connaitre et reconnaitre la valeur de leur rôle au sein de leur famille.

Groupes de soutien, programmes gouvernementaux, lois…? « Oui » à toutes ces réponses!

Donner la parole à des jeunes proches aidant·e·s permet de constater l’ampleur des responsabilités endossées au quotidien. Leur implication – souvent indispensable au bien-être de leur famille – est très mal reconnue, notamment au Canada qui semble être en retard sur cette question par rapport à d’autres pays. Certaines mesures développées au Royaume-Uni, par exemple, pourraient être des pistes de solutions pour améliorer la situation : activités d’échange entre jeunes proches aidant·e·s et les personnes qui élaborent les lois et les politiques publiques, obligation légale d‘identifier les jeunes proches aidant·e·s et leurs besoins, projets de recherche et services subventionnés par le gouvernement, etc. Néanmoins, quelques initiatives locales existent, notamment misent en œuvre par l’organisme Deuil Jeunesse. En effet, constatant les bénéfices sur les jeunes de l’intervention de groupe, celui-ci a commencé à offrir un groupe de soutien permanent.

D’autres organismes ont par la suite vu le jour, comme l’Association des proches aidants Arthabaska-Érable qui a été le premier au Québec à développer une offre de services pour tous les types de jeunes proches aidants. Proche aidance Québec et L’Appui, deux organismes importants en proche aidance au Québec, ont de plus élargi leur mission à toutes les tranches d’âge ou ajouté un volet pour les jeunes. Bref, le chantier est prometteur, mais demeure grand lorsqu’on constate les lacunes concernant la reconnaissance sociale de la proche aidance en général; et cela est d’autant plus vrai pour les jeunes qui occupent ce rôle.

  1. Les informations contenues dans l’introduction sont tirées de la publication « La fourniture des soins au Canada » de Statistiques Canada (2022), consultée le 11 juillet 2024 en ligne.
    https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2023004-fra.html ↩︎