À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Sylvie Lévesque, Carole Boulebsol, Geneviève Lessard, Mylène Bigaouette, Mylène Fernet et Alena Valderrama, « Portrayal of Domestic Violence Trajectories During the Perinatal Period », publié en 2022 dans la Violence Against Women, volume 28, n 6-7.

  • Faits saillants

  • La violence reproductive est un type de violence en soi qui se distingue par ses propres dynamiques telles que le sabotage contraceptif et la pression reproductive.
  • La grossesse peut aggraver une situation de violence conjugale au sein d’un couple, et ce, malgré l’espoir d’une diminution de celle-ci par la future mère.
  • Le cycle de la violence conjugale peut recommencer à plusieurs reprises tout au long de la grossesse et de la période périnatale.
  • L’accouchement place les femmes dans une situation particulièrement vulnérable face à leur partenaire.

Le texte ci-dessous contient des témoignages poignants sur la violence conjugale en contexte périnatal et peut déclencher des inconforts. Une liste de ressources d’aide est proposée en fin de texte.

Bien que la grossesse soit souvent présentée comme une expérience enrichissante et positive, pour certaines femmes, elle peut virer au cauchemar. Selon un récent sondage mené au Québec1, 1 femme sur 10 ayant un enfant âgé entre 6 mois et 5 ans rapporte avoir vécu au moins un épisode de violence conjugale durant sa grossesse. Mais que connaissons-nous sur le vécu de ces victimes de violence conjugale périnatale?

Entre mars 2018 et juillet 2019, une équipe de recherche multidisciplinaire québécoise se penche sur cette question et interroge 17 mères de famille ayant été victimes de violence conjugale périnatale. En plus d’effectuer une entrevue, les participantes ont rempli un calendrier de vie qui retrace les moments et les formes de violences vécues au cours de leur relation (précédant, pendant et jusqu’à deux ans suivant la grossesse). Résultat? Elles mettent en lumière la superposition d’une multitude de formes de violences vécues lors de ces étapes si particulières pour les futures mamans.

Ma grossesse, mon choix! Pas vraiment…

Quelle est votre première pensée si l’on vous dit que sur l’ensemble des grossesses des participantes, plus de 60 % de celles-ci sont non désirées? Impossible! Et pourtant, la coercition reproductive est bel et bien la réalité de ces femmes. De quoi parle-t-on? Cette forme de violence se caractérise entre autres par la violence ou la restriction de l’accès aux informations ou aux services de planification familiale si la personne enceinte décide d’interrompre sa grossesse.

« Mais il m’a dit : ‘’Si tu fais un avortement, je vais te le faire regretter. […] Je vais te dénoncer’’. »

– Mère no 10 (traduction libre)

Or, la coercition reproductive peut aussi aller dans la direction opposée, s’exprimant par la menace de séparation ou des tentatives de provoquer une fausse couche dans le cas où la personne souhaite poursuivre sa grossesse.

« Il a même essayé de me faire boire de l’eau de Javel dans l’espoir que je fasse une fausse couche. »

– Mère no 1 (traduction libre)

L’utilisation de cette forme de violence conjugale par les partenaires ne traduit pas pour autant un désir de paternité. Proche de zéro : c’est ainsi que l’on peut souvent qualifier leur investissement dans la famille. Par exemple, les futurs pères n’accompagnent jamais leur partenaire enceinte lors des visites de suivi de grossesse, que ce soit avant ou après la naissance. Et pour compléter ce portrait peu enchanteur, ils ne s’occupent pas plus des tâches ménagères ou des autres enfants.

« Quand je prenais une douche, il restait debout dans le cadre de porte en tenant le bébé. Et puis, il faisait pleurer le bébé. […] Il restait debout là et m’a dit : ‘’Allez, dépêche! […] Je n’avais jamais de pause. »

– Mère no 8 (traduction libre)

Certains vont même jusqu’à remettre même en question leur filiation avec l’enfant à venir en affirmant que « le bébé n’est pas son fils » (traduction libre des propos de la mère no 12). Cette absence de responsabilisation est une autre manifestation de cette violence puisqu’elle augmente la charge mentale de la mère.

Tomber enceinte, un point tournant dans la violence conjugale

Un bébé! Cette nouvelle crée une lueur d’espoir chez les femmes qui entrevoient la diminution ou même l’arrêt de la violence perpétrée par leur partenaire envers elles. Certaines soulignent bel et bien des épisodes de calmes durant lesquelles leur relation semble apaisée. Malheureusement, c’est souvent le calme avant la tempête!

« Parce qu’à chaque fois que je rentrais à la maison […] il me rabaissait. Il m’insultait tout le temps. Et après, c’était comme de nouveau une lune de miel. Et il était super affectueux, super correct. Mais à ce moment-là, il souhaitait changer. […] Mais à la fin, quelques mois, deux mois plus tard, il était de retour à la case départ. »

– Mère no 4 (traduction libre)

Certaines affirment même que l’intensité de la violence augmente à chaque nouvelle grossesse.

« La violence est devenue dix fois pire. […] C’était horrible. […] Il est devenu une autre personne. […] Il était odieux! J’étais terrifiée. […] [Je l’ai quitté] parce qu’il m’a dit qu’il allait me tuer, je n’ai pas osé aller le voir en personne au cas où il mette à exécution sa menace. »

– Mère no 1 (traduction libre)

Plutôt accoucher seules, que mal accompagnées!

En présence du partenaire à l’accouchement, ces mères craignent davantage pour leur sécurité et celle de leur enfant. Bien qu’un peu moins de 25 % des participantes rapportent avoir subi de la violence durant cet événement, cette proportion demeure inquiétante. La violence perpétrée dans ce contexte est d’autant plus dangereuse qu’un accouchement n’est jamais totalement exempt de risques ou de complications.

« J’étais en plein milieu de l’accouchement. J’avais des contractions, mais je devais courir autour de la table parce qu’il essayait de m’étrangler. »

– Mère no 5 (traduction libre)

Or, la réponse du personnel médical face à la violence conjugale périnatale varie grandement d’un accouchement à un autre. Par exemple, deux participantes ont demandé à ne pas laisser leur partenaire assister à la naissance, ce qui leur a été refusé, alors que pour une autre participante, le personnel de santé a dû mettre en place des mesures de sécurité pour empêcher le père de l’enfant d’entrer dans la salle d’accouchement.   

Et une fois bébé à la maison?

Un cocon de douceur une fois de retour à la maison? Pas tout à fait… Tout comme lors de l’annonce de la grossesse, certaines femmes connaissent quelques moments de répit. Par exemple, le contrôle de leur partenaire diminue, puisqu’elles sont confinées à la maison pour prendre soin du bébé, avant de reprendre de plus belle.

« Quand j’ai donné naissance, c’était durant une canicule […] donc il n’y avait aucune chance que je puisse aller dehors. […] D’autres fois, il m’appelait sans arrêt. Je pouvais être au parc avec ma fille et il m’appelait encore, et encore, et encore. Juste pour être sûr que je ne parlais pas à un autre homme dans le parc, donc je ne pouvais parler à personne là-bas. »

– Mère no 13 (traduction libre)

Dans certains cas, le partenaire étend la cible de ses attaques à l’enfant que ce soit directement ou indirectement, par exemple, en agressant la mère lorsqu’elle l’a dans ses bras. Les femmes soulignent que les comportements violents envers les enfants alimentent la crainte pour leur sécurité. Elles remarquent également que le partenaire vise directement le lien entre la mère et l’enfant afin de diminuer leur estime de soi et de leur faire douter de leurs compétences parentales.

La violence conjugale périnatale : l’affaire de toutes et tous

Le témoignage de ces mères met en évidence l’importance de sensibiliser encore davantage le personnel médical dans la prévention et l’intervention auprès des personnes vivant de la violence conjugale périnatale. Ceci est d’autant plus essentiel qu’une grande proportion des victimes de violence conjugale vit également de la coercition reproductive. Pour ce faire, plusieurs moments clés durant le suivi de grossesse sont propices à repérer ces situations et à accompagner les parents et futurs parents vers des ressources appropriées. Sans oublier la nécessité de respecter les demandes d’exclusion des partenaires durant l’accouchement de la part des personnes enceintes pour assurer leur sécurité et une transition adéquate vers la parentalité. Bref, la vigilance et l’écoute restent encore les meilleurs outils pour lutter contre la violence conjugale périnatale.


En cas de besoin, communiquez avec :

SOS Violence conjugale   

Informations et soutien pour victimes de violence conjugale 

Téléphone : 1-800-363-9010(24h/7jours)

Site web : http://sosviolenceconjugale.ca/

CAVAC

Réseau des centres d’aide aux victimes d’actes criminels 

Téléphone : 1-866-532-2822 

Site web : https://cavac.qc.ca/  

CVASM   

Services pour personnes victimes d’agression sexuelle, d’abus sexuel et d’inceste

Téléphone :1-888-933-9007  (24h/7jours)

Site web: http://cvasm.org/   


1 Lévesque et Julien (2019), cité par les autrices.