À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article d’Éric Feugé, Thomas Girard-Pelletier et Charlotte Dupont, « Motivations de couples d’hommes à adopter au Québec et leurs préférences pour l’âge, le sexe et l’origine ethnique de l’enfant », publié en 2022 dans Enfances Familles Générations, vol. 40, en ligne.

En collaboration avec l’Université Laval.

  • Faits saillants

  • Pour la majorité des pères gais adoptifs, devenir parent a toujours été un souhait, qui remonte à l’époque de leur enfance ou de leur adolescence.
  • Le choix de l’adoption banque mixte pour les pères gais émerge principalement d’une motivation altruiste, soit la possibilité d’aider un enfant dans le besoin au Québec.
  • Mis à part l’âge, la majorité des pères gais n’ont pas de réelles préférences quant aux caractéristiques de l’enfant en banque mixte qu’ils accueilleront pour fonder leur famille.

En couple depuis 10 ans, Jérôme et Alexis sont prêts à passer à l’étape suivante : fonder une famille. Or, les options qui s’offrent à eux sont limitées, peu ouvertes à leur situation conjugale ou demandant des moyens financiers trop importants. L’adoption d’un enfant au Québec leur apparaît donc comme une solution idéale. Et lorsqu’ils annoncent à leurs proches leur décision, ceux-ci s’empressent de leur demander : « vous préférez un garçon ou une fille? ». Le couple répond vivement : « peu importe! ».

Accueillir un enfant est le rêve des papas adoptants. Pourvu qu’ils puissent donner de l’amour, les caractéristiques spécifiques de l’enfant sont loin d’être leur priorité. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude réalisée par une équipe de recherche de l’Université du Québec à Montréal. Entre 2015 et 2018, elle rencontre 69 pères gais adoptifs qui acceptent de lui confier comment s’est manifesté leur désir de devenir parent.

L’équipe de recherche s’intéresse également à leurs motivations pour le choix de l’adoption au Québec, via le programme Banque mixte de la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ), et à leurs préférences pour le sexe, l’âge et l’origine ethnique de l’enfant.

Qu’est-ce que le programme Banque mixte (BM)?

Le programme Banque mixte concerne des enfants placés en famille d’accueil dont les parents biologiques ont de grandes difficultés à répondre à leurs besoins ou des enfants considérés davantage à risque d’abandon. Ces familles d’accueil s’engagent à long terme auprès de l’enfant confié (jusqu’à ses 18 ans) et ont la possibilité de l’adopter.

Devenir papa : un rêve qui devient réalité

À l’époque de leur coming out, les papas de l’étude ne pouvaient imaginer avoir un enfant. Pourquoi? Parce que l’adoption pour les couples de même sexe n’était tout simplement pas permise! La prise de conscience de leur orientation sexuelle s’est accompagnée d’une période de deuil face à la paternité.

« Je me demandais si j’allais vivre mon homosexualité ou si j’allais la refouler parce que je voulais avoir des enfants. C’est un truc que j’ai toujours voulu. »

Papa français, 33 ans

La majorité exprime le désir d’être père comme un besoin vital, remontant à l’enfance ou à l’adolescence. Le fait d’avoir grandi dans une famille nombreuse, l’exposition à des modèles positifs de parents de même sexe dans leur entourage ou les médias, l’arrivée de la trentaine et la solidité de leur couple sont des facteurs ayant renforcé leur motivation à entamer ce projet. D’autres se sont laissé convaincre par l’enthousiasme et l’engagement de leur conjoint.

Les avancées juridiques des dernières décennies, dont l’ouverture de l’adoption aux couples gais au Québec en 2002 et la légalisation du mariage entre personnes de même sexe au Canada en 2005, ont permis d’imaginer ce projet parental possible. Des perspectives concrètes pour les familles homoparentales qui ont d’ailleurs favorisé l’immigration d’un nombre important d’individus . Leur souhait? Échapper à l’opinion publique négative envers l’homosexualité dans leur propre pays.

« Chez nous en étant homo, avoir une famille, avoir des enfants, c’était impensable, à moins de vivre une double vie cachée. »

Papa français, 46 ans

Cependant, même au Canada, les pères gais peuvent être confrontés à des réactions négatives de la part de leur entourage, de la société et même des professionnel·le·s de la santé. Traditionnellement, les rôles de la mère et du père au sein d’une famille étaient considérés comme distincts et non interchangeables. Un père au foyer prenant en charge les soins des enfants était tout simplement inimaginable! Encore aujourd’hui, des préjugés et des doutes demeurent envers les capacités des pères gais à être de bons parents. Le soutien des proches et la reconnaissance sociale de leurs capacités parentales permettent le dépassement de ces idées d’un autre âge.

Adopter, le chemin vers la paternité

Comment devenir parent de la façon la plus sécuritaire d’un point de vue légal, financier et social? En adoptant via le programme Banque mixte! Comparativement aux autres options, telles que l’adoption internationale ou la gestation pour autrui, cette alternative semble plus accessible pour les futurs papas

« On a alors regardé à l’international et puis là, on voyait qu’on ne peut pas dire qu’on est gai, il faut dire qu’on est célibataire. Non, on ne peut pas partir ça sur une menterie. »

Papa québécois, 49 ans

Certains ont l’impression que l’adoption – plutôt que la gestation pour autrui par exemple – est plus facilement acceptée en raison de son caractère altruiste : le fait d’accueillir un enfant vivant une situation difficile parvient à légitimer ce projet qui peut être mal perçu par une partie de la société. Les couples ont le sentiment de faire une pierre deux coups : aider un enfant dans le besoin tout en devenant parents.

« On a fini par réaliser… des enfants qui ont besoin, il y en a pleins ici. Donc, pourquoi est-ce qu’on tiendrait à avoir un enfant génétique ou à aller le chercher à l’autre bout du monde ? »

Papa québécois, 34 ans

Pour ces pères, transmettre leur bagage génétique n’est pas une priorité. Ils ne ressentent pas le besoin de se reconnaître physiquement à travers l’enfant pour s’attacher à lui et le considérer comme le leur. Même si l’adoption permet de choisir certaines caractéristiques de l’enfant, cette motivation est rarement prioritaire.

Choisir l’enfant à aimer? Plutôt aimer l’enfant à venir!

Alors que les pères ont le droit de spécifier les critères de l’enfant à accueillir, ils sont pourtant une faible proportion à se questionner sur cet aspect quand vient le temps d’imaginer le petit être dans leurs bras!

Dans le processus d’adoption banque mixte, l’origine ethnique de l’enfant joue peu dans la balance paternelle. Lorsque les pères formulent une éventuelle préférence, c’est pour un enfant blanc, et ce, pour deux principales raisons : pour que l’enfant leur ressemble physiquement et pour éviter une cause supplémentaire de discrimination. Selon eux, le fait d’avoir deux papas implique déjà que l’enfant sera pointé du doigt à l’école.

« Étant gais c’est sûr qu’on va être victime de discrimination peut-être à un moment ou à un autre […] Lui aurait pu être discriminé ou intimidé parce qu’il a des parents homosexuels, mais en plus parce qu’il vient d’une minorité ethnique. »

Papa québécois, 33 ans

Si la majorité des pères rencontrés n’exprime pas de préférences pour l’origine de l’enfant et ses caractéristiques, l’exception concerne son âge. Ces papas soutiennent qu’un enfant en bas âge aura été moins souvent et moins longtemps victime de négligence ou de maltraitance dans sa famille d’origine.

« Ce qu’on souhaitait c’est qu’il soit le plus jeune possible à notre arrivée, pour qu’il n’ait pas vécu trop de traumatismes. »

Papa québécois, 43 ans

De précédentes recherches sur l’adoption ont démontré que plus l’enfant est adopté tardivement, plus il présente de risques de difficultés dans son développement social et affectif.

En ce qui concerne le sexe de l’enfant, ceux qui entament un second projet d’adoption nomment parfois une préférence pour le sexe opposé. Pour les autres, leur choix se justifie en fonction de leur niveau d’aisance à élever l’un ou l’autre. Ceux qui préfèrent une fille mentionnent être entourés de femmes et de filles dans leur vie et se sentir plus confortables avec leur caractère calme et studieux. Ils craignent qu’un garçon ayant deux pères soit plus intimidé dans le milieu scolaire et de ce fait, ne se sentent pas suffisamment outillés pour l’accompagner. À l’opposé, ceux qui préfèrent un garçon s’imaginent avec lui sur le terrain de soccer et craignent pour leur part leur manque d’expérience face aux changements vécus lors de la puberté chez les adolescentes

« [L]a gestion de l’adolescence nous semblait peut-être plus complexe. On était moins bien outillés, on s’est dit tant que tant qu’à offrir un lieu de résidence et une famille à un enfant, aussi bien qu’on soit le plus outillé possible, donc, à choisir, on était plus utile pour élever un garçon qu’une fille. »

Papa québécois d’origine française, 40 ans

Alors qu’ils confrontent la norme hétérosexuelle dans leur rôle de pères gais, ces derniers ont tout de même vécu dans une société qui véhicule certains stéréotypes. Ainsi, une fille sera plus tranquille et un garçon sera plus sportif. Lorsqu’ils expliquent leur préférence pour le sexe de l’enfant qu’ils souhaitent adopter, ils contribuent parfois à les perpétuer.

Reconnaître l’homosexualité pour accepter la paternité

Cette étude met en lumière l’expérience des couples d’hommes avec le programme d’adoption Banque mixte, un sujet peu traité jusqu’ici dans le contexte québécois. Grâce au partage de leur expérience, ils nous apprennent que devenir papa suffit à leur bonheur, peu importe les caractéristiques de l’enfant adopté. Outre l’âge, peu de pères expriment de préférence, mais lorsqu’ils le font, ils semblent le justifier en raison de leur crainte que l’enfant soit victime d’intimidation. Cette peur peut être issue de leur propre vécu face à l’homophobie .

Pour soutenir les parents LGBT+ et leurs enfants, la Coalition des familles LGBT+1, un organisme communautaire qui vise la reconnaissance des familles issues de la diversité au Québec, propose des outils et des formations visant à défendre les droits de ces familles, à les informer sur les parcours possibles pour devenir parent et à sensibiliser le public à leur réalité.


  1. LGBT+ est un acronyme utilisé pour désigner les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans. Le « + » signifie que d’autres groupes de personnes dont l’orientation sexuelle n’est pas hétérosexuelle ou dont l’identité de genre n’est pas basée sur l’approche binaire homme/femme peuvent s’ajouter à l’acronyme. ↩︎