Depuis quelques mois, faire l’amour n’est plus synonyme de plaisir, mais bien de souffrance pour Megan. Chaque relation sexuelle entraîne une douleur fulgurante à l’entrée du vagin, rendant toute pénétration impossible. Son cas est loin d’être isolé : comme 12 à 15 % des femmes, elle souffre de vestibulodynie provoquée, la forme la plus fréquente de douleurs génito-pelviennes.
Cette douleur, décrite comme une sensation de brûlure ou de coupure, peut sérieusement compromettre les activités sexuelles et l’harmonie du couple. Un sentiment d’injustice peut alors naître chez les deux partenaires et affecter leur santé mentale de manière similaire, alors que les effets sur le bien-être sexuel varient selon le sexe.
C’est l’un des constats de l’étude menée par une équipe de six chercheuses en psychologie et en obstétrique-gynécologie de l’Université de Montréal et de l’Université Dalhousie. L’objectif ? Déterminer comment le sentiment d’injustice affecte la santé mentale et sexuelle des couples aux prises avec des douleurs sexuelles, un sujet jusque-là peu exploré. Pour ce faire, elles interrogent 50 femmes âgées de 18 à 45 ans souffrant de vestibulodynie provoquée depuis au moins six mois, ainsi que leurs conjoints.
« Pourquoi nous ? » : le sentiment d’injustice décortiqué
Même si elle affecte plus d’une femme sur dix, les professionnels de la santé ont tendance à sous-diagnostiquer la vestibulodynie provoquée. Près de la moitié des femmes qui cherchent de l’aide médicale ressortent bredouilles de la clinique, sans en savoir davantage sur la cause de leur douleur.
Sachant que la sexualité est un aspect central dans la vie des jeunes couples et que la vestibulodynie provoquée les concerne plus souvent, ils peuvent avoir l’impression que leur situation est injuste puisqu’elle les empêche d’avoir une vie sexuelle « normale ». Bien souvent, en plus de s’inquiéter des impacts de leur douleur sur elles-mêmes, les femmes s’inquiètent aussi de ses répercussions sur leur partenaire. Leur détresse ne fait alors qu’augmenter.
Une douleur physique, une détresse psychologique
Sans surprise, les femmes et les hommes qui ont un sentiment d’injustice plus grand rapportent davantage de « détresse sexuelle ». Qu’entend-on par-là ? Il s’agit d’émotions négatives, comme la culpabilité, la frustration ou la honte.
Un phénomène qui se retrouve aussi du côté de la santé mentale : plus les couples ont l’impression que leur situation est injuste, plus ils développent de symptômes dépressifs. Incapables d’avoir des relations sexuelles non douloureuses, certains couples se sentent impuissants et perdent espoir. Les femmes, de leur côté, ont l’impression d’être inadéquates et d’échouer dans l’épanouissement de leur sexualité. Résultat : elles en viennent parfois à porter le blâme de leur condition sur leurs épaules.
La douleur des femmes, l’insatisfaction des hommes
Si le sentiment d’injustice affecte la détresse sexuelle chez les femmes comme chez les hommes, une nuance s’impose du côté de la satisfaction sexuelle. Cette dernière correspond plutôt à l’impression d’avoir une sexualité épanouie, tant sur le plan de la qualité que de la fréquence des rapports.
Sentiment d’injustice égale-t-il insatisfaction sexuelle ? En fait, cela dépend du sexe des partenaires. Plus leur sentiment d’injustice est grand, moins les hommes ont l’impression d’avoir une vie sexuelle satisfaisante ; une tendance qui ne s’observe pas chez les femmes. Comment l’expliquer ? Dans certains cas, les femmes touchées par la vestibulodynie provoquée évitent d’avoir des relations sexuelles pour limiter leur souffrance. Comme le soulignent les auteures, les hommes semblent accorder plus d’importance à la fréquence des rapports sexuels que les femmes, ce qui explique pourquoi ils se disent plus insatisfaits sexuellement. De leur côté, les femmes aux prises avec cette affection auraient parfois tendance à prioriser le côté émotionnel de la sexualité. Pour elles, avoir des relations serait davantage une façon de se rapprocher de leur partenaire que de satisfaire un besoin intrinsèque.
Souffrir en silence
Le sentiment d’injustice exacerbe-t-il l’intensité de la douleur ressentie par les femmes ? Pas nécessairement. Fait surprenant : les femmes qui présentent un sentiment d’injustice plus grand ne rapportent pas plus de douleurs que les autres. Ce résultat contraste avec ceux d’autres études menées auprès de personnes atteintes de douleurs chroniques, qui ont démontré que le sentiment d’injustice tend à empirer leurs maux. D’après les auteures, ces femmes s’inquiètent davantage des conséquences de leur douleur sur leur partenaire, mettant ainsi de côté leur propre souffrance.
L’acceptation, un premier pas vers le rétablissement
La sexualité occupe un rôle central dans la vie de la majorité des couples. Mais lorsque le plaisir n’est plus au rendez-vous, un sentiment d’injustice peut s’installer et ternir le bien-être psychologique et conjugal. Il peut aussi pousser les femmes à prendre l’entière responsabilité de la situation. Par ailleurs, puisque les symptômes sont peu, voire pas visibles, elles consultent souvent de nombreux spécialistes avant d’obtenir un diagnostic, ce qui leur laisse un goût amer quant au sérieux accordé à leur mal-être.
Comment leur venir en aide ? Comme le soulignent les auteures, les professionnels devraient prioriser un traitement basé sur l’acceptation, notamment en les encourageant à s’engager dans des activités qui favorisent l’intimité (ex. : activités sexuelles non douloureuses). D’autres options de traitement existent, comme des séances de physiothérapie basées sur des exercices de contrôle des muscles du plancher pelvien et des étirements. D’après de récentes études, un type de thérapie (cognitivocomportementale) pourrait également améliorer le bien-être des femmes souffrant de douleurs sexuelles [1]. Une nouvelle avenue prometteuse, mais encore peu répandue à l’heure actuelle.
[1] Bergeron, S., Khalifé, S., Dupuis, M.-J., & McDuff, P. (2016). «A Randomized Clinical Trial Comparing Group Cognitive-Behavioral Therapy and A Topical Steroid for Women with Dyspareunia», Journal of Consulting and Clinical Psychology, vol. 84, p. 259-268.