« J’avais 5 semaines de congé parental, mais pour avoir le plus de temps possible à la maison, j’ai attendu que ma conjointe retourne au travail pour les prendre ». La situation de Sébastien est semblable à celles d’un grand nombre de papas au Québec qui, malgré le généreux congé parental québécois, retourneront au travail durant les premières semaines de la vie de leur enfant. Pourtant, les avantages à rester à la maison avec la conjointe sont bien réels.
En effet, l’étude d’Erin Rehel sur le congé parental des pères démontre que leur présence et leur implication lors des premières semaines de vie de l’enfant préparent les pères et les rendent plus autonomes dans les soins aux enfants. Plus à l’aise dans la sphère domestique et conscients des difficultés, ils sont plus à même de s’inscrire dans une logique de coparentalité active plutôt que de se contenter d’un rôle plus passif dans une dynamique «gérant-aidant» (manager-helper).
Les mères plus investies dans les soins aux enfants
Alors qu’il est courant pour les mères de prendre du temps après la grossesse pour se remettre de la naissance et s’ajuster à leur nouveau rôle, cette pratique est bien moins courante chez les pères. La parentalité est ainsi vécue selon des trajectoires structurelles très différentes, ce qui influence la manière de la concevoir et de la mettre en scène. Sans surprise, de nombreuses études font état d’une forte division genrée du travail, les femmes se chargeant davantage des tâches non rémunérées, particulièrement celles liées aux soins des enfants. On constate cette division même chez les couples dont la relation, avant la venue des enfants, était relativement égalitaire. La période initiale d’adaptation à l’enfant est le moment où les mères développent le sentiment de responsabilité associé à leur rôle de premier répondant aux besoins de l’enfant. Les patterns parentaux s’établissent durant cette période et sont d’autant plus difficiles à discerner et à déconstruire qu’ils se « naturalisent » avec le temps. La question est donc de voir si le congé parental des pères leur permet de développer un style parental similaire à celui typiquement développé par les mères.
Une étude comparative entre le Québec, l’Ontario et les États-Unis
Pour les besoins de cette étude, 85 entrevues semi-dirigées ont été conduites auprès de 50 hommes et de 35 de leurs conjointes. Les pères interrogés étaient tous employés par la même entreprise, ils travaillaient dans les bureaux de Chicago, Toronto et Montréal. La culture organisationnelle étant la même, la composante « employeur » dans le choix de prendre un congé parental pouvait être contrôlée pour mieux laisser paraître l’influence du choix personnel des répondants et celle des politiques familiales propres à chaque région. Aux États-Unis, l’État ne reconnaît aucune obligation aux entreprises de fournir des congés suite à la naissance d’un enfant. Au Canada, les parents doivent se partager 32 semaines de congé en plus de 18 semaines accordées à la mère. La politique québécoise a la particularité d’accorder cinq semaines de congé au père, non transférables à la conjointe. De plus, la politique québécoise propose un meilleur salaire lors du congé (55 à 70% du salaire habituel) et est ouverte à plus de types d’emploi.
Dans cette étude, les répondants ayant pris plus de 3 semaines de congé sont considérés comme ayant pris un « long » congé étant donné que, passé cette période, le soutien du réseau social diminue et que les parents ont pu développer une certaine routine dans les soins à l’enfant.
Les politiques québécoises favorisent le congé paternel
Le premier constat qui émerge des entretiens est que les politiques familiales ont une forte influence sur le choix des pères de prendre ou non un congé suite à la naissance d’un enfant. Les attitudes personnelles envers le travail, la famille et la parentalité influencent aussi la décision des parents, mais elles semblent moins décisives. Au Québec, par exemple, plusieurs pères mentionnent avoir pris le congé parental parce qu’il était offert, sans vraiment penser qu’il était nécessaire. Les pères de l’Ontario sont moins nombreux à prendre un long congé (plus de 3 semaines), beaucoup préférant laisser ces congés à leur conjointe, comme le permet la loi. À Chicago, peu de pères avaient pris un congé parental supérieur à une semaine, la plupart, outre l’obstacle financier, s’inquiétaient du jugement négatif de leurs supérieurs, de leurs collègues et de leurs clients face à cette pratique. Il apparaît évident qu’au Québec les pères qui prennent un congé de plus de 3 semaines sont peu stigmatisés comparativement aux deux autres régions où la pratique n’est pas banalisée.
Un congé payant! Des pères plus conscientisés et impliqués dans les soins aux enfants
La perception de la parentalité change pour les pères qui ont pris un congé de plus de 3 semaines. Plutôt que du repos et du temps personnel, que plusieurs croyaient avoir, ils sont confrontés aux constantes préoccupations liées aux soins à l’enfant. Plus que les techniques de soin, c’est la prise de conscience de ce que recouvre le rôle de parent qui permet aux pères de s’engager de manière autonome dans la parentalité, de développer un sens des responsabilités et de l’initiative. En partageant les tâches, mais aussi les responsabilités (coparenting), les parents peuvent devenir plus égalitaires que dans la configuration où un seul partenaire gère et désigne à l’autre ce qui est à faire (configuration manager-helper). Les répondants soulignent aussi que la conscientisation, le soutien et les pratiques parentales des pères ayant pris un congé se maintiennent dans le temps, même une fois le congé terminé. Les parents ont alors eu le temps de développer des techniques à deux pour les soins de l’enfant et les tâches domestiques.
Le retour rapide des pères au travail et la reproduction des inégalités genrées
Le vécu des pères ayant pris plus de 3 semaines de congé contraste grandement avec celui des pères ayant pris peu ou pas de congé parental. En plus de la crainte du jugement des collègues et supérieurs, ces derniers mentionnent ne pas avoir pris de congé car ils ne le croyaient pas nécessaire. N’ayant pas fait l’expérience d’une cohabitation intensive avec un nouveau-né et des soins qu’il requiert, ces pères n’ont pas changé leur perception du rôle de parent qu’ils continuent de concevoir comme peu demandant. Ainsi, dès la naissance de l’enfant, l’expérience différente des deux parents mène à une division genrée du travail. Le manque de connaissance sur la parentalité initiale fait en sorte que le parent aura de la difficulté, par la suite, à apprendre de nouvelles tâches et développer un sens de l’initiative.
Les congés paternels du Québec favorisent un meilleur partage des responsabilités parentales
Les résultats de la recherche illustrent que le fait de structurer l’expérience initiale de la paternité d’une manière plus similaire à celle de la maternité contribue à distribuer plus équitablement la responsabilité des soins à l’enfant entre les partenaires. En plus de partager les tâches, ces parents partagent un sens de responsabilité par rapport à l’enfant, ce sens des responsabilités restant relativement invisible et incompris des pères qui n’y ont pas été confrontés dès la naissance, lorsque se constituent les rôles parentaux. Les mesures de politiques familiales favorisant la prise de congé paternel sont donc un pas important vers une division plus équitable des tâches domestiques, particulièrement des soins aux enfants, et de l’égalité entre les genres en général.
Erin Rehel mentionne que cette étude a été conduite auprès d’une population confortablement installée dans la classe moyenne, elle recommande de la reproduire auprès de couples dont les ressources financières sont plus faibles et qui bénéficient de moins de support de l’État. Elle suggère aussi de poursuivre les études auprès de couples partageant plus équitablement leur congé parental afin de comprendre quels facteurs mènent à cet arrangement, comment s’organise le congé et quels sont ses effets sur la manière dont chaque partenaire exerce son rôle de parent.