À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation scientifique est tiré de l’article de Camille Bandola, Marie-Ève Clément et Annie Bérubé, « La réponse aux besoins affectifs et cognitifs de l’enfant : Application du modèle cumulatif à la population générale », publié en 2022 dans La Revue canadienne de psychiatrie, vol. 67, n4, p. 251-259.

  • Faits saillants

  • Parmi les familles interrogées dans le cadre de la présente étude, un peu plus de 1 sur 5 (21,79 %) n’offre pas une réponse optimale aux besoins de leur enfant.
  • Plus il y a un nombre élevé de facteurs de risque dans une famille (symptômes dépressifs, faible soutien social, monoparentalité, nombre élevé d’enfants mineurs, etc.), moins celle-ci risque d’être en mesure de répondre de façon optimale aux besoins de l’enfant.
  • On observe au moins 2 facteurs de risque chez une majorité des familles de l’étude.
  • Les familles qui présentent entre 2 et 4 facteurs de risque ont 2 fois plus de risque de répondre de façon incomplète aux besoins affectifs et cognitifs de l’enfant.
  • Les familles qui présentent 5 facteurs de risque ou plus sont 4,33 fois plus à risque de répondre de façon incomplète aux besoins affectifs et cognitifs de l’enfant.

Mathis, 5 ans, et ses deux grandes sœurs de 7 et 9 ans — Sacha et Léonie — vivent seul·e·s avec leur mère depuis que leur père a quitté la maison. Le garçon n’aime pas les jours d’école. De tempérament plutôt anxieux, il fait des crises le soir et le matin. Sa maman Caroline est un peu dépassée et lui répète souvent qu’elle ne sait plus quoi faire avec lui. Arrimer la vie familiale et professionnelle est devenu un vrai casse-tête pour elle. En conséquence? Il lui arrive très souvent d’être en retard au service de garde pour les récupérer. Tout a basculé lors d’une conversation téléphonique avec l’enseignante de Léonie au cours de laquelle Caroline a explosé : « C’est possible que j’aie oublié quelques devoirs, je suis toute seule pour m’occuper des trois, madame, je suis épuisée, chaque jour est une montagne à escalader! »

Plusieurs facteurs de risque présents dans l’environnement familial de Mathis, Sacha et Léonie peuvent menacer la réponse à leurs besoins affectifs et cognitifs. Leur accumulation augmente-t-elle la probabilité d’une réponse insuffisante? Peut-on parler de négligence? Quels sont les impacts possibles sur le développement des enfants?

Trois chercheuses de l’Université du Québec en Outaouais s’intéressent à la présence de 10 facteurs de risque liés aux conduites négligentes dans la population générale. Elles se demandent si l’accumulation de plusieurs d’entre eux dans l’environnement familial permet de prédire une réponse incomplète aux besoins affectifs et cognitifs d’un enfant. Existe-t-il un nombre de facteurs à partir duquel le risque de réponse incomplète augmente? Par l’intermédiaire d’un sondage téléphonique, les chercheuses interrogent 1 102 figures maternelles d’enfants âgé·e·s de 5 et 9 ans vivant au Québec. Ce sondage concerne les 12 mois précédant l’étude et s’applique aux comportements de tous les adultes de la maison. Les résultats? Le nombre de facteurs de risque présents simultanément influence la réponse des adultes.

Répond-on aux besoins de l’enfant? Plus complexe que « oui » ou « non »

Qu’est-ce qu’une situation de négligence? Pour la Direction de la protection de la jeunesse, un enfant se trouve dans un environnement négligent lorsqu’elle constate « l’incapacité des adultes à la charge d’assurer les soins essentiels à son développement et à sa sécurité ».

Les impacts négatifs d’une réponse insuffisante aux besoins d’un enfant peuvent être nombreux. Ceux et celles victimes de négligence affective sont plus à risque de recevoir un diagnostic de dépression, d’anxiété, de stress post-traumatique ou de faire usage de substances. La négligence cognitive est associée, quant à elle, au développement de troubles émotionnels et de problèmes de comportements qui peuvent se manifester par des troubles des conduites, de l’agressivité et par de la délinquance[1].

Le nombre de critères utilisés pour déterminer si un enfant se trouve dans une situation de négligence peut varier en fonction du contexte, de l’objectif et du ou de la professionnelle — médecin, avocat·e, intervenant·e, etc. — qui évalue la situation. Il n’y a cependant que deux finalités possibles à cette évaluation : réponse adéquate ou inadéquate aux besoins. Une vision binaire qui oblige à classer les contextes familiaux en deux catégories, en oubliant de considérer toutes les situations familiales qui se trouvent entre ces extrêmes. En conséquence? On perçoit que cette catégorisation est plus ou moins réaliste étant donné que la réponse de l’environnement familial aux besoins de l’enfant se compare davantage à un continuum sur lequel se trouve un intervalle de réponses plus ou moins optimales.

Plusieurs enfants grandissent dans des familles où il existe un risque de négligence, mais où les facteurs n’atteignent pas un degré « suffisant » de gravité pour que la protection de la jeunesse intervienne. Comment éviter que ces environnements évoluent vers la négligence? En apprenant à mieux détecter les réponses incomplètes aux besoins de l’enfant.

Plus il y a de facteurs, moins la réponse risque d’être bonne

Quel rôle jouent les facteurs de risque? Comment influencent-ils la façon dont l’adulte répond aux besoins de l’enfant? En identifiant la présence ou l’absence de 10 facteurs individuels, familiaux et sociodémographiques, les chercheuses ont pu conclure que leur nombre avait un impact important sur le type de réponse que fournit l’adulte.

2 et 5, des chiffres à retenir

En combinant le nombre de facteurs de risque et l’intervalle de réponses possibles aux besoins cognitifs et affectifs de l’enfant, on obtient une image frappante; plus le nombre de facteurs présents dans l’environnement augmente, plus on s’approche d’une réponse insuffisante!

Premier chiffre important : le 2. Il représente le niveau d’obstacle auquel une majorité de familles est confrontée, alors que l’on observe l’existence de 2 facteurs de risque chez 60,8 % d’entre elles. Il s’agit également du seuil à partir duquel les probabilités d’une réponse incomplète sont augmentées. À partir de ce chiffre, les risques qu’on ne réponde pas de façon optimale aux besoins de l’enfant sont multipliés. Les résultats démontrent que 21,79 % des répondantes, soit un peu plus de 1 sur 5, offrent une réponse partielle aux besoins de leur enfant.

Et le chiffre 5? Des études concernant la négligence et la maltraitance ont déjà permis de reconnaître le seuil de 5 facteurs comme celui à partir duquel les risques qu’un enfant se retrouve dans l’une ou l’autre de ces situations augmentaient de façon importante. Les résultats obtenus par l’équipe sont en adéquation avec ceux des recherches précédentes. Celles-ci, réalisées auprès de populations en difficulté, visent cependant à identifier des situations familiales plus problématiques. Le nombre de facteurs nécessaires pour atteindre ce niveau de gravité est donc plus élevé. La mesure d’une réponse non optimale aux besoins de l’enfant permet de détecter plus tôt les situations qui nécessitent une attention, ce qui explique le seuil moins élevé de 2, observé pour la première fois par les chercheuses.

Identifier plus vite les risques de négligence, c’est prévenir les conséquences

Sachant qu’une réponse incomplète aux besoins peut être considérée comme une forme de négligence — particulièrement si elle persiste et se répète — et que les comportements négligents peuvent escalader et gagner en gravité, apprendre à mieux identifier les enfants à risque devient primordial.

Considérer la réponse non optimale permet d’identifier plus tôt les familles à risque d’adopter des conduites négligentes, d’éviter l’aggravation d’une situation familiale et de limiter les conséquences sur l’enfant. Pour un·e ami·e, un·e enseignant·e, un·e collègue, un·e membre de la famille élargie, un·e intervenant·e, etc., la présence simultanée de plusieurs facteurs est un drapeau rouge et indique qu’il est peut-être avisé, par exemple, de nommer au parent son inquiétude, de lui offrir du soutien et d’augmenter son niveau de disponibilité et d’écoute à l’enfant. Il peut être difficile de réaliser la présence de plusieurs de ces facteurs au sein de sa propre famille. Accepter d’aller chercher de l’aide demeure le meilleur moyen d’empêcher que la situation ne se détériore. Il existe diverses ressources pouvant accompagner les parents. Le Réseau pour un Québec Famille offre, dans la section « Organismes de soutien à la famille » de son site Internet, un répertoire des organismes, par région, pouvant venir en aide aux familles en fonction de leurs besoins.

C’est ainsi que, reconnaissant certaines difficultés et une détresse chez Caroline, l’enseignante de Léonie lui propose de parler avec l’une des intervenantes de l’école. Lors de leur rencontre, l’intervenante recommande à Caroline de contacter le CLSC afin d’obtenir des services, puis lui propose de l’accompagner dans sa démarche : un premier pas vers la création d’un filet de sécurité.


[1] Jaafar NRN, Iryani MDT, Salwina WIW, et al. « Externalizing and internalizing syndromes in relation to school truancy among adolescents in high-risk urban schools », Asia-Pacific Psychiatry, 2013, Vol. 5, S1, p. 27-34.