À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré du chapitre « Entre inclusion et vulnérabilité : les expériences du droit et de la justice des parents séparés LGBTQ+ » de Émilie Biland, Joanie Bouchard, Kévin Lavoie, Isabel Côté et Michelle Giroux, publié en 2023 dans le livre La séparation parentale et la recomposition familiale dans la société québécoise, sous la direction de M.-C. Saint-Jacques et al., p. 387 à 408. Québec (Québec) : Presses de l’Université Laval.

  • Faits saillants

  • Les rapports de forces déjà existants au sein des couples sont exacerbés lors d’une séparation.
  • Le dévoilement d’une identité de genre ou d’une orientation sexuelle non connue de l’ex-partenaire et ayant lieu dans le cadre ou à la suite d'une séparation fragilise davantage le parent LGBTQ+.
  • Malgré les avancées en matière de reconnaissance des droits des personnes LGBTQ+, les institutions continuent de vulnérabiliser les parents qui font partie de ces communautés, en les questionnant sur leur identité de genre, leur orientation sexuelle ou leurs compétences parentales.
  • Lors de la séparation, les intervenant·e·s jouent un rôle crucial pour assurer le respect des droits des parents LGBTQ+.

Souvent pris en exemple en matière de droits et de reconnaissance des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre, la société canadienne n’est pas pour autant exempte de toute discrimination envers ces dernières, notamment au sein de ses institutions. Plus souvent qu’autrement, les réalités familiales et conjugales des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, et toutes autres personnes de la diversité sexuelle et de genres (LGBTQ+), ne sont pas pleinement reconnues ni comprises. En effet, lorsqu’il est question de conjugalité et de parentalité, la référence – sans égard à la diversité des orientations sexuelles et des identités de genre – demeure la norme implicite que toutes les personnes sont hétérosexuelles et que leur genre concorde avec le sexe qui leur est assigné à la naissance. Non-reconnaissance du genre d’un parent par un·e enseignant·e, rigidité des formulaires administratifs forçant l’inscription du nom des parents sous la mention père ou mère, commentaires parfois inappropriés du personnel médical envers des couples de femmes lors des démarches de reproduction assistée : ceci n’est qu’une courte liste des obstacles rencontrés par les personnes LGBTQ+. Mais, comment ce manque de reconnaissance s’exprime-t-il lors d’une séparation? Si les institutions ne sont pas nécessairement équitables envers les parents LGBTQ+, les ex-partenaires se mettent parfois aussi de la partie en utilisant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de leur coparent pour les discriminer et faire pencher la balance de la justice de leur côté.

Pour mieux cerner les réalités spécifiques aux personnes LGBTQ+ séparées, l’équipe du partenariat de recherche Séparation parentale, recomposition familiale interroge, en 2018 et 2019, 31 parents LGBTQ+. Elle observe l’expérience de couples hétérosexuels dont la séparation est liée au dévoilement d’une orientation sexuelle non attendue par l’un·e des conjoint·e·s, l’expérience de séparation de couples de même sexe ainsi que celle de couples dont un·e des conjoint·e·s a fait une transition identitaire impliquant des changements judiciaires récents. Pour compléter l’analyse, l’équipe rencontre également 4 nouveaux partenaires de parents LGBTQ+ participant à l’étude, et analyse 14 dossiers ou décisions judiciaires de séparation ou de divorce rendues par la Cour supérieure et la Cour d’appel entre 2003 et 2019.

L’égalité parentale : oui, mais non…

À première vue, les parents en couple de même sexe disent « oui » à l’égalité parentale alors que les institutions tendent vers le « pas si vite papillon »! Pour les premiers, cette égalité parentale se traduit notamment par une forte implication des partenaires dans leurs rôles parentaux. Cette valorisation de la parentalité transparait également lors de la séparation, où la grande majorité priorise la mise en place d’un temps parental partagé. Or, en cas de litiges, cette valeur si importante semble parfois être reléguée à l’arrière-plan lorsqu’il est question d’égalité juridique.

Dans cette étude, les mères de couples de même sexe qui ont porté l’enfant sont généralement plus fortunées que leur ex-conjointe. De ce fait, elles ont les moyens de solliciter des avocat·e·s pour défendre leurs revendications. Les mères qui n’ont pas porté l’enfant se butent donc à des obstacles entourant la reconnaissance de leur rôle parental. Priorisation du lien de sang par les institutions ou comparaison de leur rôle à celui du père, elles doivent jouer le jeu de l’hétéronormativité afin de prouver la légitimité de leur statut parental.

Quand le dévoilement devient outil de vengeance…

Homophobie, biphobie ou transphobie : il n’est pas rare qu’une orientation sexuelle ou une identité de genre non présumée par le ou la partenaire soient au cœur des séparations houleuses vécues par les personnes interrogées. En effet, cette information – en plus d’être souvent le déclencheur de la séparation – peut être utilisée par l’ex-partenaire (LGBTQ+ ou non) comme une « arme » et venir vulnérabiliser davantage le parent LGBTQ+.


« Il jouait gros dans la tête de M [la mère] en disant : « ‟ça n’a pas de bon sens d’être aux filles, que c’était dégueulasse, pis que le monde trouvait ça écœurant”. »

– Conjointe d’une mère de deux préadolescents

« [Les enfants] entendent leur mère dire que j’étais un gai, pis un fif. »

– Père de deux enfants

Pour ce père de famille, la situation avec son ex-conjointe s’aggrave lorsque cette dernière et son nouveau partenaire portent de fausses accusations de pédophilie à son encontre. En plus de ces accusations homophobes, il reçoit des attaques mesquines en lien avec son statut de classe et sa situation économique : « il est trop pauvre pour s’occuper de ses enfants, il vit dans un HLM, pis il a pas une éducation (sic) » (propos de l’ex-conjointe). En visant ainsi sur plusieurs fronts de discrimination, les ex-conjoint·e·s créent un récit de séparation à leur avantage.

Les institutions, complices de la discrimination envers les parents LGBTQ+

Loin d’être des exceptions, les ex-partenaires utilisent pour leur bénéfice les failles des institutions ou des professionnel·le·s dans le but de remporter leurs batailles juridiques en contexte de séparation. Au lieu de mettre un frein à ces comportements, les institutions les tolèrent, voire les endossent! De quelle façon? En autorisant la remise en question des compétences parentales en raison de l’absence de lien biologique avec l’enfant, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Pendant qu’un père gai, un parent trans et une mère n’ayant pas porté l’enfant doivent convaincre les représentant·e·s des institutions de leurs compétences parentales et de leur engagement envers leur(s) enfant(s), l’ex-partenaire voit ses compétences parentales assurées et sa vie privée protégée de facto. Autrement dit, comme le mentionne l’équipe de recherche, pour les parents LGBTQ+, « aller en cour, c’est devoir exposer, voire justifier sa vie privée ».

Réticences et faible enthousiasme envers les intervenant·e·s

Sans surprise, la confiance des parents LGBTQ+ envers les institutions et les intervenant·e·s est effritée par leurs expériences négatives passées. Résultat? Ils tendent à éviter d’institutionnaliser leur séparation par crainte de vivre davantage de discriminations telles que la perte du temps parental avec leurs enfants. Conséquences? Renoncer à une pension alimentaire ou à leurs valeurs devient parfois une avenue privilégiée pour faciliter le processus de séparation ou pour maintenir une certaine relation avec l’ex-partenaire.

« Au début, elle [ne] voulait pas que je ramasse les enfants à l’école alors fallait toujours que je me batte pour – juste pour être parent. […] Elle a souvent fait référence à l’hypersexualisation des personnes trans […] Ça s’est rendu compliqué, mais ça s’est gardé plutôt 60/40 : 60 pour elle, pis 40 pour moi. J’ai fait beaucoup de concessions – justement pour combattre cette transphobie. »

– Parent trans non binaire

Pourtant, le rôle des intervenant·e·s, lorsqu’exécuté sans discrimination, est justement d’assurer le respect des droits de tous les parents, peu importe leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.

« […] La première médiatrice familiale, psychologue, a ‟nourri la transphobie [de son ex-conjointe] au lieu de l’apaiser” en lui demandant si sa transition aurait ‟un impact sur le développement des enfants”. En revanche, elle se dit très satisfaite de la seconde médiatrice, une avocate, qui sait ‟que les droits des personnes LGBT ne peuvent pas être niés” et qui a interrompu son ex-conjointe lorsqu’elle tenait des propos transphobes. »

– Propos d’une personne trans non binaire cités par les auteur·e·s

Dans ce deuxième témoignage, grâce à l’intervention adéquate de l’avocate, la personne se sent alors comprise, soutenue et respectée dans le processus judiciaire qui a cours.

Intervenir pour un meilleur accès à la justice

L’orientation sexuelle ou l’identité de genre des parents LGBTQ+ demeure malheureusement une porte d’entrée pour la discrimination au sein des institutions canadiennes. Or, elles sont loin d’être les seuls points d’attaques lors du processus de séparation. Situation financière, niveau d’éducation, origine ethnoculturelle : parfois, pour les ex-conjoint·e·s, toutes les excuses sont bonnes pour arriver à leurs fins. Toutefois, avec un peu d’effort, les professionnel·le·s du droit ont la possibilité de limiter les inégalités et de tempérer les relations de pouvoir entre les ex-partenaires. De quelle façon? Par le recours à la formation sur les réalités familiales propres aux parents LGBTQ+ vivant au Québec, entre autres sur leurs besoins spécifiques, les préjugés qui subsistent à leur encontre et les obstacles auxquels ils sont confrontés. C’est d’ailleurs ce que propose la Coalition des familles LGBT+ des formations offertes aux futur·e·s professionnel·le·s et intervenant·e·s. Des actions en amont, pour mieux intervenir en contexte de séparation, face aux discriminations multiples auxquelles peuvent être confrontés les parents LGBTQ+.