À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation scientifique est tiré de l’article de Christine Gervais, Isabel Côté, Sophie Lampron-de Souza et Kristel Tardif-Grenier, « Famille et migration : perspectives d’enfants sur leurs relations familiales du pays d’origine au pays d’accueil », publié en 2021 dans Service social, vol. 67, no 1, p. 71-84.

  • Faits saillants

  • Malgré les changements entraînés par l’immigration, la mère demeure la principale donneuse de soins et de soutien des enfants, avant et après le processus.
  • Les enfants migrants de l’étude rapportent des changements positifs dans les interactions avec leur père après leur arrivée au Québec : par exemple, plus d’activités avec lui et une plus grande implication de sa part dans l’aide aux devoirs.
  • Les ajustements que doivent faire les parents suite au processus migratoire peuvent aussi être la source de ruptures. Certains enfants se sentent plus loin de leur père depuis leur arrivée au Québec parce que leurs parents sont maintenant séparés, alors que d’autres déplorent une coupure complète du lien avec lui.
  • Une majorité d’enfants nomment des modifications dans leurs relations avec leurs frères et sœurs à la suite du processus migratoire. Alors que ce dernier semble affecter plus négativement les relations que les enfants entretiennent avec leur fratrie adolescente, il semble plutôt consolider les liens entre ceux qui sont du même âge ou plus jeunes.

Si l’immigration est synonyme de bouleversement pour les adultes, que représente-t-elle pour les enfants? Perte de repères, rupture de liens, adaptation à un nouvel environnement physique et social, nouveaux apprentissages notamment de la langue, des normes et des valeurs du pays d’accueil : ces changements peuvent nécessiter des ajustements au sein de la famille et pousser les parents à repenser leurs rôles et redéfinir les tâches et responsabilités. Dans de tels cas, les dynamiques familiales s’en retrouvent inévitablement touchées. Alors que certains membres se rapprochent, d’autres s’éloignent. Comment les familles s’adaptent-elles? Comment ce chamboulement modifie-t-il leurs relations? Nombreuses sont les études qui portent sur le point de vue des adultes. Que peuvent nous dire les plus petit·e·s à propos des impacts de cette transition sur leurs relations avec papa, maman, leurs frères et leurs sœurs?

Christine Gervais et ses collègues de l’Université du Québec en Outaouais et de l’Université de Montréal s’intéressent à l’expérience qu’ont les enfants du processus migratoire. Elles cherchent à savoir comment ils conçoivent leurs relations avec les membres de leur famille et à comprendre comment l’immigration influence ces relations. À l’aide d’une carte en forme de cercle, les chercheuses leur demandent de classer les gens qui font partie de leur vie selon trois catégories : la famille, les ami·e·s et les autres personnes puis de choisir entre « j’aime beaucoup », j’aime » ou « j’aime un peu » cette personne. Chaque enfant réalise deux cartes. L’une qui représente sa vie dans son pays d’origine et une autre, qui raconte sa vie ici. Les cartes servent de base pour l’entretien au cours duquel les chercheuses interrogent les enfants en fonction de ce qu’elles observent sur celles-ci.

Avec maman, c’est plutôt constant

Où se retrouvent les mamans? Tous les enfants positionnent leur mère dans la zone la plus près d’eux sur leur carte circulaire. Si quelques enfants (3) omettent de mettre son nom dans leur schéma, c’est parce qu’ils ne jugent pas nécessaire de le faire; c’est une évidence que leur mère est toujours proche! Dans le pays d’origine comme dans le pays d’accueil, la mère est la donneuse de soins et de soutien principale.

« Ben c’est ma mère, elle est tout le temps là pour moi. Quand je pleure, elle pleure avec moi, quand je ris, elle rit avec moi, elle est tout le temps là pour moi. »

– Naïma, 12 ans

Les changements qui ont lieu dans cette relation semblent davantage liés à l’adaptation au nouveau contexte. Au Québec comme dans leur pays d’origine, les enfants font des activités avec leur mère, mais depuis l’immigration, les activités sont plus diversifiées. Les enfants disent faire des jeux structurés, rire avec elle, faire des blagues, faire des sorties pour découvrir le nouveau quartier, etc. Certains enfants mentionnent passer plus de temps avec elle depuis leur arrivée au Québec et éprouver plus de plaisir.

Depuis que la famille a immigré, la relation entre certains enfants et leur maman gagne en réciprocité. Un échange s’installe et les enfants aident davantage avec les tâches ménagères et les soins de leurs frères et sœurs plus jeunes. Ils la soutiennent aussi dans son apprentissage du français.

« Mais maman elle apprenait aussi le français avec moi […] c’est plus moi qui l’aide, on a comme inversé les rôles. »

– Zélia, 13 ans

Avec papa, c’est différent

Les enfants expriment davantage de changements dans la relation avec leur père. Alors que certains s’en éloignent, d’autres se sentent plus près de lui depuis l’arrivée de la famille au Québec. Des enfants racontent qu’avant l’immigration, ils faisaient surtout des sorties avec leur père, mais que depuis leur arrivée ici, des périodes de jeux et de sport avec lui se sont ajoutées.

Les pères de certains enfants les soutiennent davantage, depuis l’immigration, dans leurs apprentissages scolaires, principalement dans leurs devoirs, mais aussi dans certaines activités sportives. Pourquoi cette nouvelle participation des papas? La réussite scolaire est au cœur du projet migratoire pour plusieurs familles. Mais au-delà de toute la valeur accordée aux études, il semble que les pères soient en mesure de passer plus de temps avec leurs enfants depuis qu’ils sont au Québec. Ils ont moins de travail ou sont de retour aux études, ce qui les amène à être plus disponibles. Bien que ce changement de statut puisse être vécu difficilement par les pères, les enfants semblent le percevoir de façon positive, puisqu’ils peuvent partager plus de moments avec papa dans une période importante de transition. Mais cette plus grande contribution des pères peut aussi traduire une plus grande flexibilité en ce qui a trait aux rôles qui leur sont traditionnellement associés.

Les ajustements que doivent faire les parents à la suite du processus migratoire peuvent aussi entraîner des ruptures. Des enfants se sentent plus loin de leur père parce que leurs parents sont maintenant séparés, d’autres ont vécu une coupure complète avec lui. Confrontés à une double adaptation – le nouveau pays et l’absence d’un de leurs parents – certains parviennent à raconter la coupure, d’autres refusent d’en parler. Pour les chercheuses, cette dernière réaction sous-entend une grande souffrance liée à cet abandon.

Avec ma sœur on joue plus, avec mon frère on se chicane souvent

Et la fratrie? Comment ça se passe entre les enfants? Des facteurs bien précis semblent rapprocher ou éloigner les enfants de leurs frères et sœurs depuis leur arrivée au Québec. Dans ce qui les rapproche, jouer ensemble arrive au premier plan.

« Ma sœur elle est toujours gentille avec moi, je lui demande si elle veut venir au parc avec moi et elle dit toujours oui »

– Mathilde, 8 ans

À l’inverse, ne pas partager d’activités et se disputer, notamment par rapport aux jouets, au partage de l’espace ou au sujet des règles à la maison, créent une distance entre les frères et sœurs.

« Mon frère, je l’ai mis dans « J’aime » parce qu’ici, à la maison, on est comme des ennemis. On ne joue jamais ensemble. »

– Jérémie, 12 ans

Un nouvel aspect fait son apparition dans la relation qui existe entre les enfants après l’immigration : l’entraide. Les aînés prennent maintenant soin des plus jeunes en les aidant au moment des repas et des devoirs, par exemple.

« Ma mère m’aide à préparer mon déjeuner… puis des fois c’est ma grande sœur Julia, et des fois c’est Angèle ou des fois encore c’est Natalia. »

– Ximena, 8 ans

L’immigration semble affecter plus négativement les relations qu’ont les enfants avec des frères et sœurs plus âgé·e·s. Certains enjeux de l’adolescence et le fait que les enfants plus grands aient certaines responsabilités envers les plus jeunes pourraient expliquer une part des changements dans les relations. De l’autre côté, pour les enfants d’âges similaires ou plus jeunes, les liens semblent se consolider. Il est possible que des différences culturelles amènent certains enfants immigrants à se sentir plus loin de ceux du pays d’accueil, et qu’ils et elles préfèrent donc jouer avec leurs frères et sœurs pour cette raison. Si un peu moins de 50 % des enfants mentionnent des changements dans leur relation avec leur fratrie, il demeure difficile de savoir si ces changements proviennent du processus migratoire lui-même, de l’âge des enfants ou de différents enjeux développementaux.

Jeux, interactions positives, présence et disponibilité

Donner la parole aux enfants démontre qu’ils ne semblent pas détecter les difficultés vécues par les parents et les adolescent·e·s migrant·e·s dont font état plusieurs études, ni vivre de tensions. En effet, les enfants plus âgés remettent parfois en question les normes familiales une fois dans le pays d’accueil et peuvent chercher à se distancier de leurs pères et mères, ce qui crée certaines résistances. Du fait de leur jeune âge, les enfants interrogés s’identifient encore à leurs parents, ce qui peut expliquer qu’ils décrivent majoritairement des interactions positives qui témoignent d’une grande proximité.

Alors que certaines familles immigrent par choix, d’autres sont forcées de quitter parce que la situation dans leur pays est trop précaire ou que leur sécurité est compromise. La multitude des parcours et des expériences génère un nombre incalculable de réalités familiales. Il est donc plus ou moins facile, pour les parents migrants, de conjuguer avec toutes les exigences du processus en fonction de leur situation. Le jeu, les interactions positives, la présence et la disponibilité des membres de la famille sont des éléments déterminants pour l’adaptation des enfants en contexte migratoire. Mais l’existence de plusieurs facteurs de stress liés au contexte peut venir affecter le niveau de présence et de disponibilité de certains parents qui se retrouvent face à des difficultés. Des organismes offrent de l’aide à ceux et celles qui ressentent le besoin d’être soutenu·e·s. Plusieurs ont pour mandat d’accompagner les personnes nouvellement arrivées aux Québec dans diverses démarches et processus. Une liste de ces ressources, par services et régions, est disponible sur le site du gouvernement du Québec.