À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Maude Pugliese, Prisca Benoit, Mamadou Diallo et Diana Peña Ruiz, « The Gender Wealth Gap in Québec », publié en 2023 dans Canadian Studies in Population, volume 50, n° 7.

  • Faits saillants

  • Sans grande surprise, les écarts de richesse individuelle entre les hommes et les femmes demeurent très présents au Québec.
  • Cette inégalité de richesse individuelle entre les genres est présente au sein de tous les types de statuts conjugaux.
  • Être parmi les mieux nanti·e·s de la société ne protège pas les femmes des inégalités de genre sur le plan économique.
  • L'écart de revenu est un facteur parmi d’autres pour expliquer les écarts de richesse individuelle entre les genres.

Pour consulter notre infographie en format PDF.

Année après année, les études rapportent des inégalités économiques entre les hommes et les femmes. Souvent centrées sur le revenu total des ménages, elles ne permettent pas d’éclairer les nombreux angles morts entourant cet enjeu… Pour sortir de l’impasse, pourquoi ne pas se pencher directement sur la richesse individuelle des personnes? Une équipe de recherche s’est tout récemment attelée à cette tâche. Pour la première fois au Québec, une recherche fait la lumière sur la relation entre le patrimoine individuel et le genre – indépendamment du revenu total du ménage. Ainsi, elle ouvre la voie à une meilleure compréhension des écarts de richesses entre les hommes et les femmes.

Les données présentées dans l’article de Maude Pugliese, chercheuse au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique, et son équipe de recherche, proviennent de l’Enquête sur l’endettement parmi les ménages québécois (EEMQ). Entre janvier et février 2022, ce sont 4 816 adultes résidant au Québec qui ont été interrogés sur leur situation financière – au téléphone et en ligne – par une firme de sondage bien connue.

En se penchant sur le patrimoine individuel, l’équipe de recherche constate que l’inégalité de richesse entre les genres est présente au sein de tous les types de statuts conjugaux.

Être un couple marié ou qui cohabite, une même réalité?

Pas tout à fait… Les chiffres sont clairs : les inégalités de richesse individuelle sont plus présentes chez les hommes et les femmes en couple marié ou qui cohabite que chez ceux et celles qui sont divorcé·e·s, séparé·e·s, veufs, veuves ou célibataires. Parmi les personnes en couple moyennement fortunées1, les femmes mariées sont moins confrontées à une disparité de richesse que les femmes en couple qui cohabitent. La richesse individuelle de ces dernières est 2,39 fois inférieure à celle des hommes en couple qui cohabitent, alors que pour les femmes mariées, elle est 1,46 fois inférieure aux hommes mariés. Autrement dit, les chiffres mettent en évidence l’existence d’inégalités au sein des personnes d’un même statut conjugal et d’un même niveau de richesse – à l’avantage des hommes.

Plus les femmes sont riches… plus l’écart se creuse

Plus le patrimoine individuel est situé haut sur l’échelle de richesse, plus l’écart entre les hommes et les femmes s’accentue! Si tout en bas de l’échelle, pour les célibataires, un mince écart de richesse favorise les femmes, le vent tourne rapidement. L’écart se creuse alors à l’avantage des hommes et s’accentue de façon importante. Selon le statut conjugal et le positionnement sur l’échelle de richesse individuelle des personnes interrogées dans cette étude, la richesse des hommes est 1,4 à 2,4 fois supérieure à celle des femmes. Et parmi les plus riches2? Elle est presque le double de celle de leurs homologues féminins.

Le statut conjugal tire les ficelles de la richesse individuelle

Mais qu’en est-il des écarts de richesse selon les différents statuts conjugaux? Parmi les mieux nanti·e·s, la richesse individuelle des hommes mariés est 1,53 fois plus élevée que celle des femmes mariées3. Cette disparité s’accentue chez les femmes en couple qui cohabitent : leur richesse est 1,65 fois moins élevée que les hommes en couple qui cohabitent4. De leur côté, les femmes séparées, divorcées ou veuves sont 2,23 fois moins riches que les hommes ayant les mêmes statuts conjugaux. Toutefois, chez ces dernières, cet écart de richesse individuelle marqué apparaît uniquement chez les très fortunées5.

Et les célibataires dans tout ça? La disparité des richesses individuelles entre les hommes et les femmes célibataires est inférieure à celle des autres statuts conjugaux; les hommes célibataires étant 1,47 fois plus riches que les femmes célibataires6.

Constat : le statut conjugal reste révélateur d’inégalité quant à la richesse individuelle et, ce, surtout si on est loin du seuil de la pauvreté.

Le revenu est-il le principal coupable?

Les différences de revenus individuels entre les hommes et les femmes sont souvent pointées du doigt lorsque vient le temps d’expliquer les écarts de richesses… avec raison, mais partiellement! Chez les personnes les plus fortunées7, le revenu expliquerait entre 59,4 à 62,4% de l’écart de richesse entre les hommes et les femmes. Ce qui est loin d’être négligeable!

Mais, outre le revenu, comment expliquer ces écarts de patrimoine individuel considérables parmi les mieux nanti·e·s? Notamment par la possession d’actifs et plus particulièrement d’actifs immobiliers, autres que la résidence principale. En effet, l’équipe de recherche souligne que l’écart des femmes dans l’acquisition immobilière, autre que la résidence principale, expliquerait entre 24,2 à 38,8% de l’écart de richesse entre les genres.

Si le revenu et la possession d’actifs éclairent en partie l’écart de richesses individuelle entre les hommes et les femmes, une proportion importante de cette disparité financière reste toujours à expliquer.

Inégalités financières, loin d’être une chose du passé…

La présente étude innove en présentant une première estimation des écarts de patrimoine individuel entre les hommes et les femmes selon le statut conjugal. Considérant qu’en 2021 au Québec, 42% des personnes vivant en couple sont en union libre et 58% sont mariées8, s’interroger sur le rôle du statut conjugal sur la richesse individuelle est essentiel. De plus, en s’attardant au patrimoine individuel de chacun·e·s, plutôt qu’à la richesse commune des ménages, cette recherche permet de reconnaître que les hommes et les femmes ayant les mêmes statuts conjugaux ne partagent pas les mêmes réalités et dynamiques économiques. Ce constat, parmi d’autres, ouvre la voie aux réflexions sur les inégalités genrées de richesse au Québec au-delà du revenu total du ménage. Ainsi, on défriche de nouveaux terrains de recherche : comprendre des arrangements conjugaux entourant la richesse individuelle, saisir de la situation financière des personnes vieillissantes en couple ou non, analyser le fonctionnement de la transmission intergénérationnelle, etc. Les avenues de recherches inexplorées sur les interactions entre la finance, le patrimoine, la famille et le couple sont nombreuses.


  1. Dont le montant de richesse individuelle se retrouve dans le 50e percentile des personnes interrogées par l’équipe de recherche. ↩︎
  2. Se situant dans le 99e percentile des personnes interrogées. ↩︎
  3. Se situant au 90e percentile des personnes interrogées. ↩︎
  4. Se situant au 90e percentile des personnes interrogées. ↩︎
  5. Se situant au 99e percentile des personnes interrogées. ↩︎
  6. Se situant au 90e percentile des personnes interrogées. ↩︎
  7. Se situant du 70e au 90e percentile des personnes interrogées. ↩︎
  8. Cette information est tirée de « Faits saillants tirés du Bilan démographique du Québec. Édition 2023 » de l’Institut de la statistique du Québec, consulté le 8 janvier 2024 à : https://statistique.quebec.ca/fr/document/le-bilan-demographique-du-quebec/publication/mariages-situation-conjugale-bilan-demographique ↩︎