Le Québec est un précurseur nord-américain en matière de droits de la communauté LGBT. En 2002, l’entrée en vigueur de la Loi instituant l’union civile et établissant les nouvelles règles de filiation permet aux couples homosexuels de s’unir légalement et d’être parents d’un même enfant. Malgré l’obtention de l’égalité juridique, les conjoints de même sexe vivent encore de nombreux défis, dont celui de fonder une famille. Les options qui s’offrent à ceux qui souhaitent devenir parents existent, mais sont loin d’être de tout repos.
C’est ce que constate Marie-Claude Francoeur, du ministère de la Famille, dans une revue de littérature portant sur le vécu parental des hommes gais et des femmes lesbiennes du Québec et d’ailleurs (Canada, États-Unis, Europe et Australie). L’auteure analyse une centaine d’ouvrages sur le sujet parus entre 2000 et 2015, et recensés sur diverses bases de données, dont la base documentaire québécoise Famili@. Bien que le rapport de recherche aborde de nombreuses thématiques entourant les familles homoparentales, cet article se concentre sur les moyens employés pour fonder une famille et les défis qui s’ensuivent.
Familles homoparentales recomposées : entre timing et coming out
Plusieurs familles homoparentales prennent forme à la suite d’une recomposition familiale, notamment lorsque les partenaires ont eu des enfants dans une ancienne relation hétérosexuelle. En plus de faire face aux défis propres aux familles recomposées, ces parents doivent composer avec des difficultés supplémentaires, comme la réaction négative de leur ex-conjoint face à l’homosexualité ou la divulgation de leur orientation sexuelle à leurs enfants. L’âge et la perception qu’ont les enfants de l’homosexualité influencent la décision des parents de divulguer, ou non, leur orientation sexuelle.
Les familles planifiées : place au « Gayby Boom » !
Grâce au développement des techniques de procréation assistée et aux changements législatifs, les couples de même sexe peuvent désormais planifier l’arrivée d’un enfant plus facilement. On assisterait d’ailleurs à ce que certains chercheurs appellent le « Gayby Boom » ! Pourtant, ce recours à la procréation assistée soulève de nombreux questionnements : qui sera le parent biologique ? Le donneur de sperme sera-t-il connu ou inconnu ?
L’élaboration d’un projet parental
Afin d’établir un lien de filiation avec l’enfant, les futurs parents doivent formuler un « projet parental », tel que défini par le Code civil.
« Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès qu’une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental. »
– Article 538 du Code civil du Québec
Autrement dit, un projet parental est la décision d’avoir un enfant en utilisant le sperme ou l’ovule d’une autre personne, que ce soit par insémination maison ou en clinique de fertilité. Pour l’instant, la seule manière pour deux hommes d’être légalement reconnus comme parents est de se tourner vers l’adoption.
L’insémination « amicalement » assistée : le choix du donneur compte !
L’insémination en contexte privé, aussi appelée « procréation amicalement assistée », se fait sans recours à l’aide médicale, c’est-à-dire par relation sexuelle ou par insémination maison. Un lien de filiation s’établit alors automatiquement avec les deux mères, puisque l’enfant a été conçu dans le cadre d’un projet parental. Mais attention : s’il y a eu relation sexuelle, et que le géniteur peut le prouver, il dispose d’un an pour réclamer la paternité de l’enfant.
La plupart du temps, le donneur est connu : il s’agit souvent d’un ami ou d’un membre de la famille de la conjointe qui ne portera pas l’enfant. Les femmes lesbiennes qui choisissent un donneur connu souhaitent notamment que leur enfant connaisse ses origines ou encore qu’il ait une figure masculine à laquelle se référer. D’autres font appel au même donneur pour chacun de leurs enfants afin de renforcer leur lien fraternel. La présence d’un homme dans leur entourage prêt à agir comme géniteur peut aussi influencer leur décision d’opter pour cette méthode.
L’insémination en clinique de fertilité : qui sera la mère biologique ?
Bien que la couverture publique de la procréation assistée ait pris fin en 2015, les couples de femmes qui en ont les moyens peuvent recourir à l’insémination en clinique de fertilité. Situation professionnelle, âge, santé : plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour choisir qui sera la mère biologique. Souvent, celles qui souhaitent vivre l’expérience de la grossesse et de l’accouchement, qui se sont projetées comme mères et qui ont plus souvent joué à des jeux de rôle typiquement féminins plus jeunes, désirent se lancer dans l’aventure.
Compenser l’absence de lien biologique avec l’autre maman est rendu possible grâce à diverses stratégies, comme donner le nom de la mère qui n’a pas porté l’enfant ou sélectionner un donneur qui a des caractéristiques physiques similaires à celle-ci (ex. : pays d’origine, couleur des yeux, etc.).
La gestation pour autrui : un pari risqué
Et les couples d’hommes gais dans tout ça ? Ils peuvent notamment faire appel à une mère porteuse, processus appelé « gestation pour autrui ». L’option est permise au Québec, mais attention ! L’entente entre le couple et la mère porteuse n’est pas reconnue sur le plan légal. Il ne permet donc pas aux couples de former un projet parental. Résultat : les deux conjoints ne sont pas automatiquement inscrits comme pères de l’enfant. La mère porteuse doit renoncer à ses droits parentaux pour que le conjoint qui n’a pas donné son sperme puisse être reconnu comme deuxième père.
Comment choisir qui sera le père biologique ? Certains choisissent le plus âgé des partenaires, ou encore celui qui a le plus grand désir d’enfant. Être géniteurs à tour de rôle afin que les deux conjoints puissent avoir un enfant biologique est aussi une solution envisagée.
Mais gare aux risques ! Comme la gestation pour autrui n’est pas valide aux yeux de la loi, les conjoints n’ont aucun recours si la mère biologique décide de garder l’enfant. Par ailleurs, les futurs parents peuvent changer d’avis à tout moment et refuser d’adopter l’enfant.
L’adoption au Québec : la Banque mixte a la cote !
Depuis 2002, les couples homosexuels québécois ont officiellement le droit d’adopter un enfant. L’adoption au Québec est gérée par les centres jeunesse, alors que l’adoption internationale est sous la responsabilité du Secrétariat à l’adoption internationale.
Outre l’adoption régulière, les partenaires peuvent aussi recourir à l’adoption par consentement spécial, qui consiste à adopter l’enfant d’un proche (ex. : conjoint, membre de la famille) ou de toute personne qui consent à donner son enfant en adoption.
Les hommes gais et les femmes lesbiennes peuvent également se tourner vers l’adoption en Banque mixte, en devenant famille d’accueil pour un enfant à haut risque d’abandon, et donc avec possibilité d’adoption. Ils n’ont cependant aucune garantie que l’enfant leur sera confié de façon définitive, puisqu’il peut réintégrer sa famille d’origine à tout moment si les parents biologiques sont de nouveau aptes à en prendre soin. Malgré tout, la majorité des couples de même sexe optent pour cette solution, notamment car la liste d’attente est moins longue (3 à 24 mois après évaluation contre 7 à 8 ans en adoption régulière).
L’adoption internationale : un choix restreint
Qu’en est-il de l’adoption à l’international ? La majorité des pays partenaires du Québec ne permettent pas l’adoption par les conjoints de même sexe. Seule exception à la règle : la Colombie, qui autorise l’adoption d’enfants de sept ans et plus ou présentant des besoins particuliers.
Certains couples choisissent tout de même d’adopter à l’étranger en tant que parents célibataires afin de dissimuler leur orientation sexuelle, mais peuvent vivre des tensions entre leurs valeurs personnelles et les exigences légales.
Homoparentalité : une reconnaissance en demi-teinte
Les changements législatifs et le développement des techniques de procréation assistée transforment le visage de l’homoparentalité. Jusqu’à tout récemment, les recherches ont surtout tenté de comparer les familles hétéroparentales et homoparentales, notamment sur le plan du développement des enfants. Elles ont toutefois mis de côté le vécu et le caractère unique de ces dernières. Si elles vivent des défis semblables, elles se heurtent à des obstacles bien différents, et ce, dès la formation d’un projet parental.
L’expérience des pères gais fait l’objet d’une moins grande documentation que celle des mères lesbiennes. Poursuivre le développement des connaissances sur le sujet afin de mieux connaître leur vécu lorsqu’ils choisissent d’adopter ou de faire appel à une mère porteuse, ou encore le fonctionnement des familles dirigées par des pères gais, sont autant de pistes qui gagneraient à être approfondies.