Préparer les repas, faire le ménage, amener les enfants jouer au parc, faire les devoirs et donner le bain… ces tâches quotidiennes, banales pour plusieurs parents, peuvent représenter une montagne à gravir pour ceux souffrant de troubles mentaux. Le manque d’énergie, la tristesse, les difficultés de concentration et l’anxiété sont autant de manifestations qui ont des conséquences sur leur capacité à répondre aux besoins de leurs enfants.
À quoi ressemble leur vécu ? Quelles stratégies mettent-ils en place pour surmonter les obstacles auxquels ils font face ? Même si de nombreux défis jalonnent leur quotidien, ils adoptent des stratégies d’adaptation pour être parents au-delà de leurs difficultés.
C’est ce que découvre une équipe de quatre chercheurs en psychosociologie et en service de social de l’Université du Québec à Rimouski et de l’Université Laval. Leur objectif : mieux comprendre les difficultés vécues par les parents atteints de troubles de santé mentale. Pour ce faire, ils interrogent 30 parents (20 femmes et 10 hommes) inscrits en clinique externe d’un service de psychiatrie dans la région de Montréal et ayant au moins un enfant mineur. Les participants ont été classés en trois catégories selon leur diagnostic principal : troubles de l’humeur, troubles psychotiques et trouble anxieux. La majorité d’entre eux présentent toutefois plus d’un trouble.
Plus qu’un symptôme, un handicap
La baisse d’énergie, l’anxiété, la tristesse et l’irritabilité sont parmi les symptômes qui rendent le rôle de parent plus difficile.
S’occuper d’un enfant nécessite une grande dose d’énergie pour tous les parents. Ceux qui sont aux prises avec un trouble de santé mentale peuvent s’essouffler plus rapidement. Leur stratégie ? Prioriser les besoins jugés essentiels (ex. : repas, hygiène, santé), quitte à laisser de côté d’autres tâches (ex. : supervision, activités éducatives).
« Je dirais le strict minimum, je fais à manger à mon garçon, je subviens aux besoins essentiels vraiment, je ne pouvais pas l’amener jouer au parc ou quelque chose comme ça. Il fallait qu’il s’occuper par lui-même. C’est un enfant qui écoute beaucoup la télévision, d’ailleurs. »
— Odile, atteinte d’un trouble de l’humeur.
Bien entendu, les parents souhaitent être au sommet de leur forme pour éviter que leur enfant ne subisse les contrecoups de leur état. Mais que faire quand l’enfant est lui-même une source de stress ? Ils peuvent chercher à l’éviter momentanément pour calmer leur anxiété.
« Je ne peux pas l’envoyer chez personne, donc quand je suis tannée, je m’isole un peu de lui. Je vais avoir tendance à souper seule et lui dire : ‘’Soupe dans ton coin‘’. Lui dire de s’arranger un peu plus avec lui-même. »
— Christine, atteinte d’un trouble anxieux.
La tristesse et l’irritabilité peuvent aussi les conduire à s’isoler et à se montrer moins disponibles. Cet évitement est-il synonyme d’indifférence ou d’incapacité à être un bon parent ? Loin de là ! Pour plusieurs, il s’agit plutôt d’une manière de protéger leur enfant et de l’empêcher d’être témoin de leur état.
Préparer, déléguer, expliquer : des stratégies éprouvées !
Préparer les repas à l’avance en prévision des moments où ils ne seront pas en mesure de cuisiner, expliquer la situation à l’enfant et lui rappeler qu’il n’en est pas responsable, déléguer des tâches aux proches : développées par les parents, ces stratégies passent le test pour garantir le bien-être des enfants… et leur propre apaisement !
Faire garder l’enfant par leur entourage ou le laisser un peu plus longtemps à la garderie leur permet aussi de garder la tête hors de l’eau lors de périodes plus difficiles.
« Je garde mon énergie pour les enfants le soir. … J’attends avant d’aller les chercher, donc 18 h pour aller les chercher. Puis là, en arrivant, c’est le branle-bas de combat : le souper, les bains, la préparation au dodo, les histoires… Mais j’essaie de donner quand même une certaine qualité de vie aux enfants quand je suis là. »
— Marie-Josée, atteinte d’un trouble anxieux.
Implication des proches : de l’aide au jugement
Sans surprise, le soutien de l’autre parent et des proches est essentiel au bien-être des personnes participantes et de leurs enfants. Cette aide peut prendre diverses formes : écoute, soutien financier, participation aux tâches ménagères, etc.
« J’ai ma mère qui vient à la maison une fois de temps en temps quand je ne vais pas bien [et qui me dit] : »Bon ! Je m’en vais faire le ménage ». »
— Marie-Josée, atteinte d’un trouble anxieux.
En revanche, certains proches font preuve d’incompréhension à l’égard du problème de santé mentale et attribuent les difficultés vécues à une faiblesse ou à de l’incompétence, ce qui n’aide en rien l’estime des parents.
Et les enfants dans tout ça ? S’ils acceptent généralement la situation que vit leur parent, certains composent plus difficilement avec ses incapacités, ce qui peut mener à une escalade des conflits.
« J’avais des difficultés à m’occuper de mon enfant et puis comme je »feelais » pas, bien ça faisait boule de neige. Lui le ressentait, puis là il se mettait à être malcommode. […] Comme ça là, mon fils me faisait toujours de crises. Ça pouvait durer une heure de temps. Je ne savais pas quoi faire avec ça. Je n’étais plus capable de supporter ces crises-là. »
— Marie, atteinte d’un trouble psychotique.
Les services de soutien : oui, mais où ?
Le premier pas vers la recherche de services ? Reconnaître la présence du trouble mental. Le désir de protéger l’enfant est un autre facteur qui motive les parents à solliciter de l’aide et à adhérer à un traitement. Ils font face ici à leur plus grande crainte : perdre la garde.
« Quand j’ai senti que je pouvais faire du mal à mon fils, c’est là que j’ai cherché de l’aide. »
— Christine, atteinte d’un trouble anxieux.
Les parents participants sont heureux de pouvoir compter sur une personne stable, sur des rencontres régulières et sur des intervenants disponibles en situation d’urgence. En plus de faciliter leur rétablissement, l’intervention psychologique et la médication réduisent les risques de négligence parentale. Cependant, ils doivent s’armer de patience, puisque trouver des services de soutien adaptés s’apparente souvent à un parcours du combattant.
« J’étais jamais capable d’avoir accès au système de santé. Je ne savais pas où aller. Puis moi j’ai été pognée avec mon problème et puis si je ne rentrais pas travailler le lendemain matin ben… J’étais pas bien là. »
— Anne-Laure, atteinte d’un trouble psychotique.
Un dur coup sur le portefeuille
Concilier famille et travail, un défi de taille pour bon nombre de parents québécois, mais encore plus pour ceux vivant avec un trouble mental. La majorité rapporte donc que leur situation financière est problématique ou qu’elle l’a été lors de périodes où ils allaient moins bien. À cela s’ajoutent les coûts de la médication, qui grimpent rapidement même en présence d’une assurance-médicaments.
Bien sûr, des mesures de soutien financier existent, mais encore faut-il pouvoir y accéder ! Les démarches pour obtenir des prestations peuvent être longues et épuisantes, notamment en raison des critères stricts des programmes d’aide financière. Plusieurs peinent à joindre les deux bouts :
« Passé un certain temps, bon tu n’es plus à 70 % du salaire, tu es à 50 %, donc tu as encore une perte supplémentaire. Donc, plus ça dure longtemps, plus la crise »financière s’accentue ». »
— Marie-Josée, atteinte d’un trouble anxieux.
Faciliter le quotidien des parents : mission possible ?
À ce jour, peu d’études ont porté sur l’impact des troubles mentaux sur les capacités parentales. Si les manifestations du trouble rendent le rôle de parent plus difficile, le soutien des proches et des professionnels en atténue grandement les conséquences. D’ailleurs, comme le soulignent les chercheurs, même si les parents vont moins bien en période de crise, leurs compétences parentales ne sont pas nécessairement mises en jeu. Comment les aider à aller mieux ? Notamment en leur fournissant un encadrement adapté lors de moments plus difficiles et en sensibilisant les professionnels de la santé et des services sociaux à leur situation particulière.
Et du côté des employeurs ? En 2020, le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) a publié un manuel pour aider les entreprises à s’attaquer aux problèmes de santé mentale en milieu de travail. Les auteurs proposent notamment de mettre en place des formations pour sensibiliser les employeurs à ce sujet et de créer des programmes de retour au travail post-congé pour minimiser les risques de rechute. Une piste de solution à envisager pour favoriser le maintien ou le retour en emploi des parents atteints de troubles mentaux.