À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de la conférence d’Anne-Marie Piché, « Quelques enjeux pour la recherche des origines et les contacts en adoption en contexte des récentes ouvertures législatives au Québec », présentée dans le cadre du colloque Dans l’ombre du droit de la famille : les pluriparentalités et la recherche des origines organisé par le partenariat de recherche Familles en mouvance, en collaboration avec l’Observatoire des réalités familiales du Québec, le 31 mai 2024

Un carnet de colloque illustré a été réalisé à la suite de cet événement. Le présent texte y est présenté aux pages 33 à 37 (format PDF).

  • Faits saillants

  • En 2017, le Québec a entrepris une ouverture de l’accès à l’information pour les personnes adoptées. Depuis 2024, un projet de loi permet aux personnes qui en font la demande d’avoir accès à l’identité de leur(s) parent(s) biologique(s).
  • Depuis juin 2024, la divulgation automatique de l’identité des parents biologiques aux personnes adoptées est autorisée par le projet de loi 2. Malgré cette progression législative, des tensions demeurent entre le droit des personnes adoptées de connaître leurs origines et le droit des parents biologiques de préserver leur anonymat.
  • Bien que les personnes adoptées aient accès à davantage d’informations, il est possible que la qualité, la quantité et la fiabilité des renseignements contenus dans leur dossier d’adoption ne permettent pas de répondre à leurs questions.

En 2017, le Québec a amorcé une ouverture en accordant aux personnes adoptées un droit d’accès aux informations contenues dans leur dossier d’adoption. Depuis juin 2024, le projet de loi 2 permet aux personnes qui en font la demande d’obtenir l’identité de leurs parents biologiques, sans que ces derniers puissent refuser. Ces changements sont appuyés par l’avancement des connaissances qui soutiennent aujourd’hui que la recherche de ses racines est un besoin légitime et normal qui fait partie du développement identitaire. Ils reflètent également une certaine évolution du discours social sur l’importance pour les personnes adoptées de connaître leurs origines familiales et culturelles. Que traduit cette ouverture progressive? Qu’il n’y a pas de honte, pour un enfant, d’avoir été adopté ou conçu hors des liens du mariage à une certaine époque, ou pour un parent biologique, d’avoir confié son enfant en adoption.

Afin d’en apprendre davantage sur les enjeux et les besoins des personnes adoptées dans la recherche de leurs origines, le déploiement de ces nouvelles mesures législatives a été examiné. L’analyse de témoignages de personnes adoptées et d’intervenant·e·s qui œuvrent à leurs côtés permet de relever des tensions qui persistent malgré les changements. Lesquelles? Notamment celles qui existent entre le droit à l’identité pour la personne adoptée et le droit de garder l’anonymat pour les parents biologiques.

L’identité des personnes adoptées toujours protégée

Ce qui va pour les parents ne va pas pour les enfants. Bien que, sous la nouvelle loi, l’identité des parents biologiques ne soit plus protégée, celle des personnes adoptées, elle, l’est toujours. Ainsi, tout parent ayant confié un enfant en adoption dans le passé peut avoir accès à l’identité de la personne adoptée seulement si cette dernière y a consenti. L’identité de la personne adoptée demeure donc protégée de plein droit à moins qu’elle consente à sa divulgation auprès de sa famille d’origine en ayant fait la demande. 

Un anonymat qu’on avait promis de préserver

Les changements apportés par la nouvelle loi créent une tension importante entre le droit à la connaissance des origines reconnu en faveur des personnes adoptées et la protection de la confidentialité qui avait, jusqu’à présent, été garantie aux parents biologiques.

La divulgation automatique de l’identité des parents biologiques représente un enjeu particulier pour les « filles-mères » qui ont confié un enfant en adoption dans le contexte social particulier aux années 1930 à 1970. Ces jeunes femmes se sont fait promettre la confidentialité pour toujours. Aujourd’hui, elles sont inquiètes, en colère et nerveuses face à ces demandes qui surviennent 50 ans plus tard. Certaines vont jusqu’à prétendre ne pas être la mère de la personne adoptée, même si les services d’intervention l’ont bien identifiée, localisée et ont relevé son identité. D’autres acceptent le lien avec leur enfant, qu’on divulgue leur identité ou qu’on entre en contact avec elles alors que d’autres sont ambivalentes. Quelques-unes changent de posture après avoir été rassurées et décident de transmettre certaines informations sur elles, de dévoiler une partie de l’histoire sans accepter d’être en contact, ou d’entretenir ce lien.

Quand qualité, quantité et fiabilité manquent à l’appel

Même si les personnes adoptées ont maintenant accès à davantage d’informations, la quantité et la qualité des données sont loin d’être garanties. Parce que plusieurs facteurs peuvent entrer en ligne de compte, un écart peut exister entre l’offre d’accès à l’information et ce que la personne parvient réellement à savoir. Cette situation peut entraîner de la frustration ou générer le sentiment de ne pas pouvoir accéder à son histoire malgré la nouvelle loi. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet écart :

  • La quantité d’informations que l’on trouve dans les dossiers est influencée par la grande variabilité de leur qualité et de leur archivage. Ceux datant d’avant 1970 sont particulièrement touchés.
  • Les informations peuvent être difficiles à comprendre en raison des termes employés au moment de la rédaction.
  • La fiabilité de certaines informations consignées dans les dossiers est variable. Certains faits peuvent avoir été transformés en raison des tabous sociaux de l’époque.
  • Certains dossiers demeurent introuvables malgré des mois de recherche.

Produire un résumé fidèle au dossier – pouvant comporter plusieurs pièces – n’est pas chose facile. Déterminer ce qui sera conservé, ce qui est suffisamment fidèle et ce qui ne l’est pas, ce qui sera dit et comment le transmettre pour que ce soit recevable par la personne adoptée constitue un défi en soi. Il existe donc une variabilité dans la communication des informations par rapport au sommaire du dossier.

Démarches formelles ou informelles… ou les deux?

Entamer ses recherches par voies formelles ou informelles? L’une ou l’autre, les deux : tout se peut! Quel chemin emprunter?

Pour entreprendre des recherches formelles, les personnes adoptées peuvent avoir recours aux établissements publics. Plusieurs avantages sont associés à cette voie, d’abord celui d’une démarche structurée, officielle et rigoureuse. Elle offre également un accompagnement par une tierce personne, l’intervenant·e, qui procède à la mise en contact et qui offre un soutien. Cette personne peut agir comme une intermédiaire rassurante entre les deux parties, guider les retrouvailles s’il y a lieu, et agir comme médiatrice. Des variabilités existent cependant dans l’offre, l’étendue, la fréquence et la durée des services selon les différentes régions du Québec et les établissements.

Puis il y a la voie informelle. Les personnes adoptées peuvent entreprendre des recherches par le biais des réseaux sociaux, des sites de généalogies, des tests d’ADN commerciaux, etc. Les gens semblent recourir de plus en plus à des services externes, en complémentarité de leur démarche formelle auprès d’un établissement ou en remplacement lorsqu’ils la jugent trop compliquée ou trop longue.

Réseaux sociaux et tests d’ADN, qu’en est-il du refus de contact?

Le droit de veto qui permettait aux parents biologiques de garder confidentielle leur identité a été levé, mais le refus de contact, lui, demeure effectif. Ainsi, la possibilité d’entamer ses propres recherches par le biais des réseaux sociaux ou de test d’ADN commercial peut entraîner le non-respect de certains refus de contact enregistrés auprès d’un établissement du réseau de la santé et des services sociaux. Les établissements ne peuvent pas interdire aux personnes intéressées d’en savoir plus, ou d’entrer en contact avec leur(s) parent(s), d’effectuer des recherches. Peu de personnes sont au fait que des pénalités peuvent être encourues sur le plan juridique si un refus enregistré auprès de l’établissement du réseau n’est pas respecté.

Des tensions qui perdurent

Nous le savons maintenant, l’accès aux origines favorise le développement identitaire des personnes adoptées. Or, la réception de ces informations peut chambouler le récit personnel et engendrer de nombreuses répercussions sur le plan émotionnel. Pour ces raisons, les établissements ont réfléchi à certains principes déontologiques afin de guider leurs pratiques. Ces principes ou valeurs incluent le respect de l’autonomie des décisions, la flexibilité, la tolérance et la neutralité entre les parties. Chaque situation étant unique, des tensions peuvent tout de même perdurer entre les valeurs qui sont véhiculées. On observe, par exemple, une opposition entre le droit à l’identité de la personne adoptée et le droit à l’anonymat des parents biologiques. Ainsi, une attention égale doit être apportée à toutes les personnes impliquées dans ce processus de recherche.