À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Karine Tremblay et Geneviève Pagé, « Quand cogner à plusieurs portes n’entraîne pas l’aide espérée aux parents adoptant un enfant ayant d’importantes difficultés comportementales et relationnelles », publié en 2024 dans Enfances Familles Générations [en ligne], no 45.

  • Faits saillants

  • Les enfants qui sont orientés vers le programme Banque mixte de la protection de la jeunesse sont ceux jugés à haut risque d’abandon. Ce programme permet de poursuivre deux projets de vie de façon simultanée; le retour dans le milieu familial et l’adoption par une famille d’accueil.
  • Les enfants placés dans le cadre du programme Banque mixte sont orientés, dès le début, dans des familles qui s’engagent à les adopter si un retrait permanent de leur milieu d’origine était jugé dans leur meilleur intérêt.
  • Certains enfants adoptés par le biais du programme Banque mixte présentent différentes problématiques : trouble sévère de comportement, trouble d’attachement et d’apprentissage, troubles neurodéveloppementaux, etc. Une fois dans leur milieu d’accueil, ces difficultés peuvent persister, s’aggraver ou se cumuler.
  • Les parents adoptifs interrogés dans le cadre de cette étude, et dont l’enfant présente d’importantes problématiques comportementales et d’attachement, disent devoir composer seuls avec les difficultés de ce dernier. En effet, qu’ils se tournent vers le CLSC, Urgence sociale ou la police, ils reçoivent rarement l’aide adaptée dont ils auraient besoin.

Les enfants adoptés au Québec par le biais du programme Banque mixte de la protection de la jeunesse sont majoritairement retirés de leur milieu pour des motifs de négligence. Cette période plus ou moins longue au cours de laquelle les adultes ont manqué de répondre à leurs besoins n’est pas sans répercussions. Ces enfants sont souvent aux prises avec plusieurs difficultés : anxiété, trouble du sommeil et de l’alimentation, hyperactivité, opposition, provocation, harcèlement, comportements agressifs, etc. Ces problématiques peuvent persister pendant des années, s’aggraver ou se cumuler. Certaines familles adoptantes font ainsi face à de nombreux besoins. Pour y répondre, elles cherchent de l’aide, mais en trouvent difficilement. Les services post-adoption sont rares, voire inexistants. Cela laisse certaines d’entre elles seules avec les problèmes de comportement et d’attachement importants de leur enfant. Cette situation n’est évidemment pas sans impacts sur la santé mentale, physique et affective des parents. C’est alors que leurs besoins s’additionnent à ceux de leur enfant, rendant le quotidien difficile et souffrant. Vers qui vont-ils pour de l’aide et quels types de réponses obtiennent-ils? 

Une équipe de recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université du Québec en Outaouais étudie le vécu de familles adoptantes. Les chercheuses s’intéressent d’abord aux démarches d’aide entamées par les parents, dont l’enfant adopté par le biais du programme Banque mixte présente de grandes difficultés comportementales et relationnelles, puis à l’aide qu’ils ont obtenue. 

Programme Banque mixte :  stabilité pour l’enfant, incertitudes pour les parents 

Pourquoi un enfant est-il dirigé vers le programme Banque mixte et l’autre, non?  Parce qu’il est jugé à haut risque d’abandon. Ce programme permet de poursuivre deux projets de vie de façon simultanée : le retour dans le milieu familial et l’adoption par une famille d’accueil. Ainsi, les enfants placés dans ce contexte sont orientés, dès le début, dans des familles qui s’engagent à les adopter si un retrait permanent de leur milieu d’origine était jugé dans leur meilleur intérêt. 

Cette façon de faire est favorable pour les enfants qui peuvent ainsi avoir accès à une plus grande stabilité, mais elle vient aussi avec son lot d’incertitudes pour les parents d’accueil. La possibilité que l’enfant retourne dans son milieu d’origine peut devenir une grande source de préoccupation ou d’angoisse, et entraîner des frustrations et un sentiment d’impuissance chez ces derniers. 

Quand les difficultés s’additionnent et … s’intensifient 

Trouble sévère de comportement, trouble d’attachement, du déficit de l’attention, d’apprentissage ou d’anxiété, troubles neurodéveloppementaux, etc. Qu’un diagnostic ait été établi ou non, les enfants composent avec plusieurs défis. Les parents mentionnent la présence de problématiques liées au sommeil et à l’alimentation, de crises interminables, d’opposition, d’automutilation, de provocation et de harcèlement. La particularité liée au vécu des dix parents participants? Ils doivent composer avec de nombreuses agressions physiques (cracher, mordre, frapper, détruire des biens ou des pièces dans la maison, etc.) ou psychologiques.

Les difficultés qu’éprouvent les enfants à être en relation se manifestent dans toutes les sphères de leur vie : à la maison, avec les ami·e·s et les adultes à la garderie, à l’école, dans les activités parascolaires, etc. Les parents remarquent également une aggravation des différentes problématiques présentes chez leur enfant au moment de l’adolescence.

Pour de l’aide, services publics, privés ou communautaires? 

Vers qui les parents interrogés se tournent-ils lorsqu’ils se sentent dépassés? D’abord, les services publics de première ligne, comme le CLSC ou un·e médecin de famille. Ils y constatent toutefois une absence de services spécialisés sur des sujets comme l’adoption, l’attachement, le trauma complexe et la santé mentale chez les enfants. Lorsqu’ils rencontrent un·e intervenant·e du réseau public, il est fréquent que cette personne ne sache pas comment répondre à leurs besoins. Le manque d’outils et de connaissances des intervenant·e·s relatives aux enjeux vécus par les parents adoptifs et leur enfant augmente leur détresse. À cela s’ajoute le manque de ressources de gardiennage ou de répit adaptés aux problématiques de leur enfant, un temps d’attente trop long pour accéder à du soutien, puis une durée trop courte de services. Les parents avouent craindre que l’amélioration du comportement de leur enfant ne soit que temporaire et anticipent de se retrouver à nouveau seuls. D’autres mentionnent que la gravité des difficultés de l’enfant ne semble pas prise au sérieux par la personne rencontrée.

Ces lacunes dans les services publics poussent certains parents à se tourner vers le secteur privé, malgré son coût très élevé. Ils y ont recours pour du soutien psychosocial, des services d’orthopédagogie, d’orthophonie et de tutorat, par exemple. Certains y découvrent des professionnel·le·s de l’intervention psychosociale mieux formé·e·s pour leur venir en aide. Finalement, des parents reconnaissent que les groupes de soutien en milieu communautaire sont aidants et bénéfiques, lorsque des solutions émergent des discussions.

Quand une intervention d’urgence est nécessaire

Que faire en cas de crises et de désorganisations importantes? Dans ces situations, les parents interrogés ont recours à trois types de ressources : l’accueil psychosocial, la police et le placement volontaire en protection de la jeunesse. Des parents se présentent au CLSC avec leur enfant en mentionnant l’urgence de la situation. Même s’ils hésitent à le faire, d’autres appellent la police lorsque les agressions sont trop importantes. Leur hésitation vient du fait qu’ils ne désirent pas judiciariser la situation. Ils veulent seulement obtenir de l’aide pour arrêter les comportements agressifs de l’enfant.

Parfois, des circonstances poussent certains parents adoptifs à demander un placement d’urgence à la protection de la jeunesse. Leur expérience passée avec les services et les tensions préexistantes entre eux et les intervenant·e·s influencent leur décision et complique le recours à cette option. Plusieurs déplorent un manque de suivi après le placement de l’enfant dans leur famille et le sentiment d’avoir été laissés à eux-mêmes. Le lien entre les parents d’accueil et l’intervenant·e de la protection de la jeunesse est complexe. Cette complexité vient du fait qu’on travaille simultanément sur deux objectifs : le retour possible de l’enfant dans sa famille d’origine et son adaptation à une nouvelle vie dans la famille d’accueil. Faire appel, des années plus tard, aux services de la protection de la jeunesse peut raviver cette tension et replacer les parents dans une grande vulnérabilité. Trois d’entre eux ont toutefois dû demander le placement temporaire de leur enfant en centre de réadaptation ou hospitalier. Et un s’est vu refuser le placement puisque son enfant était presque majeur. Il a dû chercher lui-même une ressource d’hébergement capable de le recevoir.

Manque de services et épuisement des parents

Si les parents de la présente étude cherchent activement de l’aide pour leur enfant, ils en demandent rarement pour eux-mêmes. Ils disent préférer investir argent, temps et énergie dans la recherche de soins pour leur petit·e. Puis identifier le type d’aide dont ils auraient besoin est difficile pour eux; leur épuisement est trop grand. Mais les impacts de cette situation et du manque de services sont bien réels: colère, tristesse, culpabilité, peur, sentiment d’usure, perte d’espoir, niveau de stress et d’hypervigilance élevé, apparition ou aggravation de problème de santé. Certains vont vers des professionnel·le·s pour obtenir de l’aide, mais disent ne pas se sentir accueillis au moment de raconter ce qu’ils vivent, ce qui les pousse à mettre fin au suivi. Ils affirment se sentir impuissants devant le jugement des gens (intervenant·e·s, policiers, avocat·e·s, juges, etc.) et des instances (garderie, école, cliniques, etc.) qui ne reconnaissent pas leur souffrance. Les pratiques et méthodes des parents dont l’enfant est sans diagnostic sont souvent critiquées. Ces derniers affirment qu’on les tient responsables de la persistance de ses difficultés, que l’on associe à leur incompétence parentale.

Former, soutenir, prévenir

Si l’expérience de ces dix parents adoptifs met de l’avant quelque chose, c’est bien la difficulté d’accès aux services d’aide adaptés à leur réalité. Le partage de leur vécu permet de mieux comprendre leur situation difficile et les défis qui accompagnent leur quotidien avec un enfant ayant d’importantes difficultés comportementales et relationnelles. Les besoins de ces familles sont nombreux, complexes et les parents rencontrés disent sentir que leur souffrance est ignorée.

Les parents interrogés ont confié avoir reçu peu ou pas de formation préparatoire lors du processus pour devenir famille d’accueil. De ce fait, la mise en place de formations durables et offertes dans toutes les régions se présente comme une première piste de solution importante. Sensibiliser l’entourage aux réalités vécues par ces familles en est une deuxième. Une meilleure connaissance des enjeux relatifs à cette réalité pourrait réduire les risques de jugement et permettre aux parents de recevoir un meilleur soutien. Enseigner, aux parents adoptants, des techniques d’intervention de crise afin qu’ils développent les compétences nécessaires pour désamorcer et prévenir les agressions figure également parmi les solutions proposées par l’équipe.