À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de David Pelletier «Accéder au meilleur quartier possible : types de famille et ségrégation résidentielle croisée à Montréal»,  publiée en 2012 dans les Cahiers québécois de démographie, vol. 41, n° 2, p. 257-298.

  • Faits saillants

  • Les familles montréalaises de même structure (monoparentales, avec conjoints mariés ou en union de fait) sont concentrées dans les même quartiers.
  • À Montréal, les familles avec conjoints en union libre se retrouvent davantage dans les banlieues alors que les familles avec conjoints mariés sont plus susceptibles d’habiter le centre-ville. Cette situation est plutôt surprenante en comparaison avec ce qui se passe ailleurs en Amérique du Nord.
  • À Montréal, la répartition spatiale des familles s'explique surtout par leur niveau de revenu et leur profil ethnoculturel.

La ségrégation résidentielle des familles montréalaises : une question socioéconomique et culturelle

Une répartition spatiale inégale, aussi appelée ségrégation, peut être causée autant par des facteurs structurels que par de la discrimination ou des préférences personnelles. Certains types de ségrégation sont facilement perceptibles dans l’espace montréalais, par exemple, les ségrégations basées sur la langue, l’ethnicité ou le revenu. D’autres formes de ségrégation sont plus discrètes. L’une de celles-ci, qui nous a semblé particulièrement intéressante, est la ségrégation basée sur la structure de la famille, c’est-à-dire la ségrégation des familles selon qu’elles ont à leur tête un couple marié, un couple en union libre, une mère seule ou un père seul.

Pour mieux comprendre la dynamique des ségrégations dans la métropole, nous avons eu recours aux données du recensement canadien de 2006. Nous avons d’abord cartographié la répartition spatiale de ces types de familles, puis nous nous sommes intéressés à l’impact de la structure familiale et de l’appartenance ethnoculturelle, grossièrement définie, sur le niveau de richesse des quartiers où résident les familles.

Répartition spatiale et structure familiale: une réalité surprenante pour les familles montréalaises dont les conjoints sont mariés et en union libre

La première carte présente la distribution géographique des familles monoparentales dans la région métropolitaine de Montréal. Dans les quartiers en rouge, ces familles sont proportionnellement plus nombreuses que dans le reste de l’agglomération; dans les quartiers en bleu, elles sont moins nombreuses et dans ceux en gris, leur proportion est similaire à la moyenne de l’agglomération. On remarque sur cette carte que les familles monoparentales sont concentrées principalement dans les parties sud-ouest et est de l’île de Montréal, mais aussi dans certaines villes de banlieue, telles que Longueuil, Saint-Jérôme ou Sainte-Thérèse.

Carte 1: Proportion de familles monoparentales dans le quartier par rapport à la proportion dans l'ensemble de la région métropolitaine

Carte 1: Proportion de familles monoparentales dans le quartier par rapport à la proportion dans l’ensemble de la région métropolitaine

Sur la seconde carte, qui emploie les mêmes codes de couleurs, est représentée la situation des familles dont les conjoints sont mariés. On constate que ces familles sont surreprésentées dans des quartiers situés assez près du centre-ville alors qu’elles sont sous-représentées dans les quartiers les plus éloignés. La répartition est complètement inversée chez les familles dont les conjoints sont en union libre (carte 3). Cette situation est assez rare en Amérique du Nord, où l’on retrouve habituellement davantage de familles mariées en banlieue et de familles monoparentales ou en union libre au centre.

Carte 2 : Proportion de familles à couple marié dans le quartier par rapport à la proportion dans l’ensemble de la région métropolitaine

Carte 2 : Proportion de familles à couple marié dans le quartier par rapport à la proportion dans l’ensemble de la région métropolitaine

Carte 3 : Proportion de familles à couple en union libre dans le quartier par rapport à la proportion dans l’ensemble de la région métropolitaine

Carte 3 : Proportion de familles à couple en union libre dans le quartier par rapport à la proportion dans l’ensemble de la région métropolitaine

Le revenu et le profil ethnoculturel comme déterminants de la répartition spatiale des familles

Bien que surprenante au premier regard, la répartition inversée des familles dont le couple est marié ou en union libre dans la région métropolitaine de Montréal peut s’expliquer par leur profil ethnoculturel respectif. Le tableau 1 montre en effet que, dans 75 % des familles dont le couple est en union libre, les deux parents sont francophones, non immigrants et blancs. Seulement le tiers des familles dirigées par un couple marié sont dans la même situation. De nombreuses études ont déjà montré que, beaucoup, plus souvent que les autres Canadiens, les francophones du Québec forment leur famille en dehors des liens du mariage. C’est cette réalité qui transparaît ici. Si les couples en union libre avec enfants sont proportionnellement plus nombreux en banlieue, c’est donc surtout parce que les jeunes familles francophones vont souvent s’y installer, alors que les anglophones et les allophones demeurent plus volontiers sur l’île. Malgré leurs différentes répartitions et leurs profils ethnoculturels contrastés, les deux types de familles biparentales ont en moyenne un revenu familial similaire et, surtout, habitent des quartiers où le niveau de richesse (c.-à-d. le revenu médian des ménages du quartier) est pratiquement identique, soit environ 58 000 $ par an.

Les familles monoparentales, qu’elles soient dirigées par une femme ou un homme, ont en moyenne un revenu inférieur à celui des familles biparentales. Elles sont aussi beaucoup moins susceptibles d’être propriétaires de leur logement. Ceci est très important pour la répartition spatiale dans l’agglomération de Montréal. En effet, certains quartiers sont composés essentiellement de maisons unifamiliales qu’il faut acheter pour habiter, alors que d’autres ne comptent pratiquement que des appartements en location. Une grande partie des familles monoparentales sont locataires, elles ne peuvent donc emménager que dans les quartiers où dominent les logements locatifs. Enfin, puisque les quartiers de locataires sont généralement plus défavorisés que les quartiers de propriétaires, les familles monoparentales habitent en moyenne dans des quartiers où le niveau de richesse est plus faible.

On constate aussi au tableau 1 que le profil ethnoculturel des familles monoparentales se situe entre celui des deux types de familles biparentales. Elles comptent, par exemple, plus de francophones non immigrants blancs que les familles dont les conjoints sont mariés, mais moins que les familles dont le couple vit en union libre. De même, il y a proportionnellement, dans ces familles, plus de parents seuls qui sont des immigrants récents appartenant à un groupe de minorité visible que dans les familles dont le couple vit en union libre, mais moins que dans les familles dont les conjoints sont mariés

Tableau 1: Caractéristiques des familles de la région métropolitaine de Montréal (2006) selon la structure de la famille

Tableau 1: Caractéristiques des familles de la région métropolitaine de Montréal (2006) selon la structure de la famille

Niveau de richesse de quartier: les groupes ethnoculturels habitent dans des quartiers plus pauvres.

Comme on l’a vu dans la section précédente, la structure familiale, le mode d’occupation du logement, le groupe ethnoculturel, le revenu familial et le revenu du quartier sont des variables intimement liées entre elles et il est difficile d’isoler l’effet propre de chacune d’elles dans un simple tableau. Pour cette raison, nous avons eu recours à une régression multiple pour dégager l’effet net de la structure familiale sur le niveau de richesse du quartier de résidence. Plus concrètement, nous nous sommes demandé si deux familles de structure différente (par exemple, une famille monoparentale et une famille dont les conjoints sont mariés), mais ayant le même mode d’occupation, appartenant au même groupe ethnoculturel et ayant des revenus identiques habitaient dans des quartiers dont le revenu médian des ménages était similaire ou non. Nous avons procédé de la même manière pour identifier l’effet propre du groupe ethnoculturel (structure familiale, mode d’occupation et revenu familial identiques, mais groupes ethnoculturels différents).

Nous avons ainsi déterminé que, à quelques exceptions près, les inégalités de quartier sont faibles entre les familles ayant des structures différentes. Par exemple, le fait que les familles monoparentales habitent des quartiers en moyenne plus pauvres que les familles biparentales (voir tableau 1) s’explique presque entièrement par le fait qu’elles sont plus rarement propriétaires et qu’elles ont un revenu familial inférieur.

Il n’en est cependant pas de même pour les différences entre groupes ethnoculturels. Comme dans la plupart des grandes villes nord-américaines, il existe à Montréal des écarts importants entre les quartiers où les membres de ces groupes résident. En effet, les familles immigrantes, surtout celles arrivées récemment et appartenant à un groupe de minorité visible, sont désavantagées dans l’espace urbain. Même à revenu égal, elles habitent des quartiers en moyenne plus pauvres que les familles des autres groupes. Chez les familles natives du Canada, on observe aussi des différences significatives. Toujours à revenu égal, les familles de francophones blancs habitent des quartiers en moyenne plus riches que les familles appartenant à un groupe de minorité visible (quelle que soit leur langue maternelle), mais plus pauvres que les familles d’anglophones blancs.

Conclusion

Il existe donc bel et bien une certaine ségrégation résidentielle des familles avec enfants dans la région métropolitaine de Montréal. Mais bien que les cartes ci-dessus montrent que les familles ayant des structures différentes sont inégalement réparties sur le territoire, cette situation est principalement le résultat de différences socioéconomiques et ethnoculturelles et non pas le fruit d’une réelle discrimination basée sur le type de famille. Les inégalités de quartier entre les familles des différents groupes ethnoculturels sont par contre beaucoup plus évidentes.

En somme, les familles dirigées par un couple marié, un couple en union libre, une mère seule ou un père seul se distinguent les unes des autres par beaucoup plus que leur simple structure familiale : elles ont des profils ethnoculturels et socioéconomiques fort distincts. En grande partie à cause de ces distinctions, les familles ayant des structures différentes font face à des défis résidentiels particuliers et n’ont pas toutes accès à des espaces également favorisés.