C’est un fait : être père est un défi en soi. Mais pour les papas dont le nouveau-né a vu le jour plus tôt que prévu, cette aventure prend une tout autre dimension. Non seulement ils doivent apprendre à naviguer dans l’univers de la paternité, mais ils doivent le faire entre les murs d’une unité néonatale, aux côtés d’un être parfois si petit qu’il vient bousculer leur conception de la fragilité.
Afin de donner une voix à ces papas qui vivent souvent cette expérience en retrait, un duo de chercheuses de l’Université du Québec à Trois-Rivières s’intéresse à un aspect important de leur séjour au sein de l’unité néonatale : le lien qu’ils bâtissent avec leur bébé malgré le contexte d’hospitalisation et la façon dont ils composent avec la vulnérabilité exacerbée qu’ils peuvent ressentir au vu de cette situation.
Pour y parvenir, les chercheuses analysent les données de deux recherches conduites en 2009-2010 et en 2013-2014 à l’unité néonatale du Centre Hospitalier Universitaire de la région métropolitaine de Montréal. Grâce à des entretiens semi-dirigés, les témoignages de 17 pères qui vivent l’expérience de la prématurité ont été recueillis, pour mieux comprendre leur perspective, leurs émotions et les défis qu’ils rencontrent dans la création d’un lien significatif avec leur nouveau-né au sein de l’unité néonatale.
Bébé prématuré, début de vie singulier
Lorsqu’un bébé voit le jour trop tôt, ses parents, déjà ébranlés par l’hospitalisation, doivent aussi déchiffrer ses réactions physiques et physiologiques dans le but de cerner ses besoins. À vrai dire, contrairement aux enfants nés à terme, les bébés prématurés sont confrontés à un éventail plus large de défis perceptifs. Au lieu de bénéficier du réconfort naturellement apporté par leur mère, ils s’éveillent dans un environnement inhospitalier rendu encore plus désagréable par les particularités sensorielles qui les caractérisent. En effet, pour les nouveau-nés dont le développement est incomplet, les sons, l’éclairage et les nombreuses manipulations dont ils font l’objet à l’unité néonatale s’avèrent particulièrement difficiles à gérer. Des sensations comme les odeurs, les saveurs, l’humidité de l’air et surtout la gravité constituent des obstacles pour les bébés prématurés dont le système nerveux est immature et l’état de santé instable.
La charge invisible du père
C’est dans ce contexte peu chaleureux que le père d’un bébé prématuré doit tenter de naviguer… seul. Dans les premières heures suivant l’accouchement, il est fréquent que les papas soient au chevet de leur enfant à l’unité néonatale, sans les mères qui essaient de reprendre des forces de leur côté. Bien que ce moment soit empreint de joie et de tendresse, il arrive aussi que des préoccupations remontent à la surface. En état de choc, beaucoup de papas doivent à la fois investir leur nouveau rôle, tenter d’établir un lien avec leur nouveau-né et composer avec la réalité d’une hospitalisation qui peut parfois s’étirer. Outre l’environnement impersonnel et la panoplie de personnes inconnues se relayant pour soigner l’enfant, ils se retrouvent face à plusieurs défis qui peuvent les empêcher d’être totalement présents. Les chercheuses constatent qu’une majorité est tiraillée entre le fait de rester au chevet du bambin et celui d’être auprès de la mère. Ceux dont l’enfant dépend d’équipements de soins néonatals évoquent également leur inquiétude par rapport aux séquelles de la prématurité qui pourraient apparaître plus tard dans sa vie.
(…) cette double préoccupation que vivent les pères peut contribuer à mettre leurs émotions, leurs besoins et le déploiement de leur rôle paternel en veilleuse.
– Marie-Josée Martel et Mariane Chiasson-Roussel, p. 140.
Les pères d’enfants prématurés sont donc exposés à toute une gamme de sentiments, oscillant entre la fierté de voir leur bébé évoluer malgré sa condition et la peur de potentielles complications. Ces émotions, combinées à l’incertitude et à l’impuissance ressenties, créent une vulnérabilité, qui peut avoir des conséquences à long terme sur leur relation père-enfant.
Engagement paternel : dans les coulisses de la paternité prématurée
Dans l’odyssée qu’est la paternité d’un enfant prématuré, l’engagement du père tient une place majeure. Les chercheuses retiennent trois actions clés qui définissent cet engagement: accompagner et protéger l’enfant, choisir ou non de participer aux soins et agir comme un porteur de nouvelles pour la mère. Malgré la complexité de la situation dans laquelle ils se trouvent, la majorité des pères se positionnent comme un relais entre la mère et l’enfant. Par ailleurs, dès sa naissance, le bébé prématuré est accompagné par son père qui sera son point d’ancrage de la salle d’accouchement jusqu’à l’unité néonatale. La mère pouvant difficilement se déplacer au chevet du nouveau-né, c’est le papa qui doit assurer une présence rassurante, et ce, dans les moments qui seront déterminants pour la suite.
Parallèlement à cela, il agit en messager, relayant les mises à jour sur l’état de santé du bout de chou à sa mère. Là où plusieurs pères marchent sur des œufs, c’est au moment d’administrer des soins au bébé. L’étude montre en effet que, lorsque la situation le permet, seule la moitié d’entre eux se porte volontaire pour participer aux soins. La raison de cette réticence? La volonté de prioriser le contact mère-enfant afin de respecter la relation préexistante établie durant la grossesse.
Véritable exercice d’équilibriste, cette tentative de définir sa place au sein du cocon familial peut certes rendre les pères vulnérables, mais c’est aussi ce qui façonne la relation singulière qu’ils entretiennent à partir du jour J avec leur nouveau-né.
L’implication des pères de bébés prématurés, un comportement à encourager!
Le présent chapitre met en lumière la place essentielle qu’occupe le père lorsqu’un enfant pointe le bout de son nez plus tôt que prévu. Or, dans ce contexte, chacun doit naviguer à travers un environnement inconnu et parfois effrayant pour établir une relation avec son bébé, tout en soutenant la mère, souvent éloignée physiquement dans les premières heures qui suivent l’accouchement. Loin de se cantonner à un rôle de spectateur, le père devient un acteur indispensable de cette aventure, son rôle allant bien au-delà du simple soutien. Il est une présence rassurante, un point d’ancrage pour le nouveau-né, un messager pour la mère et, parfois, un soignant. Malgré toute l’importance de leur rôle, les pères d’enfants prématurés peuvent ressentir une vulnérabilité émotionnelle exacerbée par le contexte d’hospitalisation de leur enfant. Devenir ou redevenir père dans ces conditions n’est pas une mince affaire, c’est une aventure qui peut bouleverser leur perception de la vie et de la paternité.
C’est pourquoi les autrices plaident pour que davantage de recherches soient faites sur les préoccupations des pères face à la prématurité. Quelle place souhaitent-ils occuper auprès de leur enfant? Comment veulent-ils équilibrer leur rôle avec celui de la mère? Quelles sont leurs croyances et comment influencent-elles leur expérience? L’étude de ces aspects pourrait éclairer la manière dont les pères appréhendent leur rôle dans le contexte de la prématurité et, ultimement, aider à développer des mesures de soutien plus adaptées à leurs besoins.