À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de la conférence de Marie-Christine Saint-Jacques, «La reconnaissance par le droit des familles recomposées : freins, pertinence et défis», présentée dans le cadre du colloque Dans l’ombre du droit de la famille : les pluriparentalités et la recherche des origines organisé par le partenariat de recherche Familles en mouvance, en collaboration avec l’Observatoire des réalités familiales du Québec, le 31 mai 2024.

Un carnet de colloque illustré a été réalisé à la suite de cet événement. Le présent texte y est présenté aux pages 23 à 27 (format PDF).

 

  • Faits saillants

  • De nombreuses familles sont recomposées au Canada. En effet, 12% de celles formées d’un couple avec enfants le sont. Le Québec en compte davantage, soit 15,5%.
  • La grande majorité (60%) des parents interrogés lors de L’Enquête longitudinale auprès des parents séparés et recomposés du Québec affirment qu’ils considèrent leur partenaire comme un beau-parent, une figure parentale pour leur(s) enfant(s).
  • Le lien qui existe entre l’enfant et son beau-parent évolue avec le temps. Les rôles et les relations se modifient par exemple, selon l’âge des enfants.
  • La grande diversité des réalités des familles recomposées complexifie la reconnaissance du statut de beau-parent.

Au Canada, ce sont 12% des familles formées d’un couple avec enfants qui sont recomposées1. Cette proportion est encore plus importante au Québec, où 15,4% des familles vivent selon ce modèle familial2. Combien d’enfants sont concernés? Si 28% d’entre eux ont déjà vécu au moins une expérience de recomposition familiale3 avant l’âge de 18 ans, en 2022, c’était près de 10% des enfants québécois âgés entre 6 mois et 17 ans qui vivaient avec un beau-parent4. Bien que cette réalité touche plusieurs familles québécoises, le statut des beaux-parents demeure non reconnu aux yeux de la loi. Deux obstacles importants semblent freiner leur reconnaissance : le contexte socioculturel actuel encourageant le modèle à deux parents et la grande diversité des réalités des familles recomposées.

La famille biparentale intacte a encore la cote

Indélogeable? Non, mais bien ancrée. La famille biparentale intacte s’est instaurée comme un idéal à atteindre, plaçant les autres configurations familiales en marge. En effet, l’idée qu’un enfant puisse avoir plus de deux figures parentales est encore souvent contestée. Cela laisse peu de place à la reconnaissance des familles recomposées et des beaux-parents par le droit5. Bien qu’elles se soient assouplies au courant des dernières années, les politiques sociales et publiques favorisent plus souvent le modèle à deux parents. Un effet sur les familles recomposées? Les belles-mères et beaux-pères qui accèdent à une reconnaissance juridique y parviennent majoritairement lorsqu’ils ou elles remplacent l’un des parents biologiques.

Beau-parent ou non? Les parents se prononcent sur le rôle de leur partenaire

Comment les parents qualifient-ils le rôle joué par leur partenaire auprès de leur(s) enfant(s)? Cette personne devrait-elle s’impliquer dans l’éducation des enfants? Prendre des décisions pour eux? Avoir des droits? L’Enquête longitudinale auprès des parents séparés et recomposés du Québec a permis d’interroger 1551 parents (798 mères et 753 pères) et d’obtenir leur point de vue sur le sujet. Les parents consultés étaient séparés depuis moins de 24 mois et avaient un enfant ou plus âgé de moins de 14 ans. Ils ont été interrogés à plusieurs reprises : 2 ans, 4 ans et 6 ans après la séparation. Certains d’entre eux étaient à nouveau en couple, 273 beaux-parents (161 belles-mères et 112 beaux-pères) ont donc également été questionné·e·s.

Lorsqu’on demande aux parents de définir le statut de leur conjoint·e auprès de leur(s) enfant(s), la grande majorité de ceux-ci (plus de 60%) répondent que leur partenaire est un beau-parent et qu’il ou elle incarne une figure parentale. Plusieurs affirment aussi que cette personne occupe un rôle de conseiller ou de guide pour l’enfant. D’autres la considèrent comme une personne qui les aide à élever leur(s) enfant(s). Toujours selon l’Enquête longitudinale auprès des parents séparés et recomposés du Québec, seulement 10% des parents interrogés stipulent que leur partenaire n’occupe aucune fonction particulière.

Et les partenaires? 82% disent se considérer comme des beaux-parents. Une implication dans l’éducation du ou des enfants de leur conjoint·e est-elle légitime? Qu’en est-il de la transmission de valeurs, de la participation aux moments importants, ou encore quand il est question de donner des conseils ou d’exercer de la discipline? De grandes différences d’opinion existent entre les parents issus des familles recomposées et ceux qui ne le sont pas. En effet, les premiers reconnaissent la légitimité du beau-parent dans une plus grande proportion. Ce qui semble laisser croire que le fait de vivre une situation de recomposition influence la perspective sur le rôle des belles-mères et des beaux-pères. Les beaux-parents sont, quant à eux, plus nombreux à se sentir justifiés de participer à l’éducation des enfants.

Fait intéressant?

Le point de vue des parents varie dans le temps. Au début de la relation, ils considèrent les beaux-parents comme étant légitimes dans une moins grande proportion que les beaux-parents eux-mêmes. Après 2 ou 3 années de vécu au sein de la famille, le point de vue des parents se modifie et leur perception se rapproche de celle de leur conjoint·e.

La recomposition familiale, des variations constantes

Les rôles des beaux-parents peuvent être différents d’une famille à l’autre et au sein d’une même famille à travers le temps. La place que ces derniers occupent peut changer et évoluer en fonction de l’âge des enfants ou de la durée de la recomposition. De la même façon, le lien beau-parent/enfant peut se consolider ou disparaître.

S’il est vrai que les beaux-parents s’impliquent généralement davantage lorsque les enfants sont plus jeunes, selon les familles, de nombreuses variations existent quant à leur degré d’investissement. Certains s’engagent de façon déterminante sur le plan relationnel, d’autres s’investissent minimalement, voire pas du tout auprès des enfants. Qu’est-ce qui peut expliquer une aussi grande fluctuation? La nature du projet familial.

Contrairement au parent adoptif ou au parent dont l’enfant est conçu par don, la recomposition familiale naît d’un projet conjugal et non d’un projet parental. Les partenaires tombent amoureux ou amoureuses et, si tel est le cas, composent avec le ou les enfants déjà présents de leur conjoint·e. Ce contexte multiplie les cas de figure. Les relations entre les enfants et le beau-parent peuvent être bonnes ou marquées par du rejet ou de l’indifférence. Le beau-parent peut se retrouver dans une position mitoyenne, être considéré comme un membre de la famille, un ami, un mentor, un conseiller, prendre soin du ou des enfants, mais sans être inclus dans la hiérarchie parentale. Dans ce dernier cas, il est reconnu comme faisant partie de la famille, sans statut parental. Il est aussi possible qu’il représente davantage, qu’on le conçoive comme une figure parentale, mais avec une différence toujours, celle de ne pas être « autant parent » que les parents d’origine.

La proximité que le ou les enfants développent avec le ou la partenaire de leur parent peut être grande, mais lorsqu’on observe la façon dont les décisions sont prises au sein des familles recomposées depuis moins de 6 ans, le parent demeure souvent le décisionnaire ultime lorsqu’il est question des enfants, et ce, peu importe le niveau d’engagement de son ou de sa partenaire. Cela dit, certaines familles attendent du beau-parent qu’il se comporte effectivement comme un parent biologique. Cette réalité nous amène à constater une diversité de cas de figure, allant de la non-implication à l’adoption du rôle de coparent.

Avant tout, ce sont les parents qui déterminent si le beau-parent peut ou non participer au système coparental. Lorsque ces derniers choisissent d’intégrer leur(s) partenaire(s), l’inclusion peut avoir deux visées. Dans la première, son apport est un ajout, il participe à la famille aux côtés des parents. Ces derniers peuvent alors former une triade ou un quatuor coparental. Dans la seconde, on cherche plutôt à remplacer l’absence d’une autre figure parentale. Le beau-parent se retrouve alors à jouer le rôle du parent absent ou, plus rarement, à compenser les difficultés de son ou de sa propre partenaire.

Vers une reconnaissance juridique du statut de beau-parent?

Une grande part d’enfants québécois vit ou a vécu dans un contexte de recomposition familiale. Comment reconnaître socialement et juridiquement le rôle des beaux-parents? Malgré une certaine unanimité des textes juridiques qui affirment la nécessité que des changements soient apportés à cet égard, des défis demeurent. La grande variété des réalités qui existent parmi les familles recomposées semble expliquer en partie la difficulté à légiférer. Ces enjeux et d’autres encore confirment l’importance et la pertinence de mieux comprendre comment ces familles évoluent.


  1. Statistique Canada, « État de l’union : Le Canada chef de file du G7 avec près du quart des couples vivant en union libre, en raison du Québec. », 2022. ↩︎
  2. Statistique Canada, consulté le 27 jan 2025, à https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/fogs-spg/page.cfm?lang=F&topic=4&dguid=2021A000224 ↩︎
  3. Institut de la statistique du Québec, Desrosiers et al., « Les trajectoires familiales diversifiées des jeunes nés au Québec à la fin des années 1990 », 2018. ↩︎
  4. Institut de la statistique du Québec, Enquête québécoise sur la parentalité, 2022. ↩︎
  5. Dominique Goubau et Martin Chabot, « Recomposition familiale et multiparentalité : un exemple du difficile arrimage du droit à la famille contemporaine », publié en 2018 dans Les Cahiers de droit, vol. 59, no 4, p. 889–927. ↩︎