À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Sarah Nogues et Diane-Gabrielle Tremblay, « La conciliation travail-famille-soins : analyse des besoins et du soutien organisationnel », publié en 2018, dans Nouvelles pratiques sociales, volume 29, n° 2.

  • Faits saillants

  • Pour demander une conciliation travail-soins, le premier réflexe d’un proche aidant consiste à se tourner vers son supérieur immédiat.
  • Plusieurs proches aidants qui ont accès à des mesures de conciliation au travail se trouvent « chanceux » : ils considèrent ces mesures comme un privilège, et non un droit.
  • Les mesures gouvernementales de conciliation travail-soins sont peu connues, insuffisantes et comportent des risques d’appauvrissement et d’isolement pour les proches aidants.
  • Pour aider leurs employés proches aidants, les employeurs pourraient créer des mesures de conciliation travail-famille et mieux informer leur équipe.

Andrée travaille dans le même bureau depuis 20 ans. Cela fait plusieurs années qu’elle prend soin de son père malade. Sa patronne est très compréhensive : elle lui permet souvent de quitter plus tôt pour accompagner son père à ses rendez-vous. Mais la nouvelle tombe : elle aura un nouveau supérieur dans les prochaines semaines. Qu’adviendra-t-il de ces petits ajustements qui lui permettaient d’être présente pour son père tout en travaillant?

Si les congés de maladie et les congés parentaux sont bien connus des employeurs, une ligne de conduite claire fait défaut pour les proches aidants. Ils doivent s’en remettre au bon vouloir de leur supérieur immédiat pour demander des mesures de conciliation travail-soins. Ces mesures, si anodines soient-elles, font une grande différence dans la vie des proches aidants. Si elles disparaissent, la situation peut devenir plus qu’incertaine. Pour en arriver à une entente, pas le choix d’avoir une bonne relation avec son supérieur.

Les deux chercheures de la TELUQ spécialisées dans les enjeux de conciliation travail-famille, Sarah Nogues et Diane-Gabrielle Tremblay, veulent comprendre ce qui régit l’accès aux mesures de conciliation travail-soins. Pour ce faire, elles ont interrogé 22 proches aidants, dont 20 femmes, sur les accommodements dont ils ont bénéficié pour les aider dans leur situation de proche aidance. Les participants étaient en emploi ou retraités, mais tous avaient travaillé tout en prenant soin d’un proche, comme un parent, un conjoint ou un enfant.

Des accommodements à la bonne franquette

Le supérieur immédiat – et non l’organisation employeur – a le dernier mot sur les mesures accordées pour s’occuper d’un proche. Du moins, c’est ce que perçoivent plusieurs proches aidants. Les deux parties s’arrangent souvent de façon informelle, l’entente se traduisant par un petit passe-droit à l’amiable. Plusieurs proches aidants se considèrent « chanceux » d’avoir accès à ces mesures, comme si la conciliation travail-soins était une faveur qu’on leur accordait.

Qu’en est-il des employés nouvellement engagés ou moins hauts placés dans la hiérarchie de l’entreprise? Ils peuvent trouver difficile de formuler une telle demande. Par exemple, un nouvel employé pourrait craindre de demander un congé pour s’occuper de son parent malade, de peur d’être mal vu.

« Ça fait 16 ans que je travaille avec la même gestionnaire. […] Je considère que si ça faisait six mois que je travaillais ici puis que j’avais demandé ces arrangements-là, je sais pas si la réponse aurait été la même. »

– Rosalie, 56 ans

Au cœur de la conciliation travail-soins? La relation avec le supérieur immédiat et la confiance réciproque entre lui et l’employé. Ce lien crucial encourage le proche aidant à rester au travail, et facilite la compréhension face à la situation vécue.

Dans les mains du patron

Les accommodements, même ceux prévus par le gouvernement, sont perçus comme des privilèges et non comme des droits pour les employés proche aidants. Plusieurs pensent qu’ils doivent nécessairement recevoir l’approbation de leur supérieur pour y avoir droit. En outre, peu d’employeurs sont au fait des possibilités offertes par les gouvernements pour les proches aidants. Bien souvent, ils laissent le soin au gestionnaire de décider des mesures avec son équipe. Et dans une vision plus large, les entreprises ne disposent généralement pas d’un volet consacré aux proches aidants dans leur guide de l’employé.

Parmi les arrangements possibles, plusieurs employés décident de travailler de la maison, afin d’économiser du temps de transport et de maximiser leur présence auprès de leur proche. D’autres demandent plutôt une réduction de leurs heures de travail. Mais pour être vraiment efficace, l’employé doit pouvoir avoir un horaire assez flexible pour s’adapter aux besoins de la personne aidée.

« J’ai eu des employeurs qui m’ont facilité les choses. T’sais parfois de réaménager mon horaire, parce que j’avais un rendez-vous… Alors au lieu d’y aller le matin, je pouvais faire l’après-midi. »

– Amélie, 69 ans

Certains employés ont besoin de prendre un congé plus ou moins long pour s’occuper d’un proche. Le gouvernement du Canada permet entre autres de prendre un « congé de compassion » de 26 semaines, rémunéré à 55% de son salaire, pour accompagner un proche en fin de vie. Au Québec, le congé de maladie sans solde peut être utilisé pour s’occuper d’un proche plutôt que pour soi. Mais attention! Ces mesures sont à double tranchant, avec des conséquences peu connues et difficiles pour les proches aidants, comme l’appauvrissement, du stress ou une fatigue grandissante.

Il faut tout un village…

Au-delà de leur supérieur immédiat, les auteures soutiennent que les proches aidants auraient besoin de sentir l’appui de tout leur milieu de travail. Ainsi, la relation avec leurs collègues, leur soutien et l’ambiance au travail sont tout aussi importants pour concilier idéalement soins et emploi.

Selon les auteurs, les employeurs doivent aussi prendre le temps de s’informer sur la réalité des membres de leur équipe qui prennent soin d’un proche. Si les aidants apprécient la compréhension dont ils peuvent bénéficier sur leur lieu de travail, un manque de connaissance sur ce qu’implique la proche aidance peut engendrer des tensions entre employés. Par exemple, certains pourraient se questionner sur les retards réguliers de leur collègue, qui s’occupe pourtant de son enfant handicapé. De manière générale, les auteures déplorent de profondes lacunes sur les obligations du proche aidant et des impacts sur sa vie.

« J’ai pas été à mon travail, mais j’ai travaillé pareil, j’ai fait autre chose. La fatigue, elle est là quand même […]. Reprendre du temps [au travail], ça veut dire que je passe quand même mes 35 heures, plus mes parents. »

– Fiona, 44 ans

2020 : une meilleure année pour les proches aidants en emploi?

Dans un marché du travail où les contrats se précarisent, faire reposer la conciliation travail-soins sur les seules épaules d’un supérieur est discutable. Ne serait-il pas mieux d’avoir des mesures standardisées, et bonifiées? La question est dans l’air du temps, alors que le gouvernement québécois a consulté des associations et organismes publics sur l’élaboration d’une politique nationale des proches aidants. Outre la question de l’emploi, c’est toute la reconnaissance de la proche aidance sur laquelle il faudra se pencher, plusieurs personnes ne réalisant toujours pas qu’elles sont elles-mêmes proches aidantes.