À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Bernard Michallet, Francine Julien-Gauthier, Lyson Marcoux, Sophie Chesneau et Claire Dumont, « Être parent d’un enfant adulte ayant une déficience intellectuelle au Québec; une étude qualitative exploratoire », publié en 2020 dans la Revue de psychoéducation, volume 49, no 2.

  • Faits saillants

  • Être parent vieillissant d’un adulte avec une déficience intellectuelle amène plusieurs inquiétudes et exigences lourdes pour le moral.
  • Lorsqu’un enfant avec une déficience intellectuelle atteint sa majorité, le sentiment d’abandon des services publics, la lourdeur des démarches et le manque de ressources s’ajoutent au fardeau des parents.
  • En vieillissant, les parents d’un adulte avec une déficience intellectuelle constatent développer de meilleures capacités d’expression, de défense de leurs droits et d’empathie.

« Mon inquiétude, c’est que quand nous on ne sera plus là, comment lui il va vivre. » Cette crainte, elle trouve écho chez plusieurs parents dont l’enfant majeur vit avec une déficience intellectuelle (DI). Tandis que les services auxquels leur jeune a droit connaissent une baisse drastique à sa majorité, eux s’impliquent encore corps et âme pour son bien-être. Mais eux non plus ne rajeunissent pas! Entre épuisement et stress, ils ont le sentiment d’être laissés à eux-mêmes.

Un groupe de chercheurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université Laval tente de mieux comprendre la réalité des parents d’enfant adulte avec une DI sous l’invitation d’une équipe d’intervenants d’un centre intégré universitaire en santé et services sociaux (CIUSSS). Dans une recherche exploratoire, les chercheurs recueillent les témoignages de six parents à propos de leur vécu, du soutien formel et informel reçu, de même que de leur avenir et celui de leur enfant.

Manquer de temps et d’énergie

Qui ne s’est jamais inquiété pour son enfant? Un sentiment familier pour plusieurs parents, mais qui prend une couleur différente pour ceux élevant un enfant adulte vivant avec une DI. Pour eux, les craintes ne s’arrêtent pas au moment présent, mais concernent aussi le futur de leur jeune. Cette appréhension survient alors que les parents eux-mêmes commencent à ressentir l’effet de la vieillesse.

« Je me dis : ma vie va-t-elle être ça encore jusqu’à ce que j’aille 80-90 ans? Moi aussi le temps file pour moi, il m’en reste moins et j’aspire à autre chose » – Mère d’un homme de 25 ans

Prendre les rendez-vous, veiller sur son enfant, organiser son horaire : les exigences du quotidien sont de plus en plus pesantes. Certains se sentent prisonniers de ce cycle sans fin. D’autres expriment une grande fatigue d’où émerge parfois, une certaine culpabilité : celle de manquer d’énergie.

« Moi je n’ai pas toujours le goût d’avoir un autre enfant qui a une déficience intellectuelle qui vient jouer chez nous, il a 30 ans maintenant. Je suis rendu ailleurs dans ma vie. À chaque fois j’ai un sentiment de culpabilité́ et je me dis : “ah je devrais donc inviter un ami”, mais je n’ai plus le goût de faire ça. » – Père d’un homme de 25 ans

À la fatigue et l’inquiétude s’ajoutent d’innombrables petits deuils auxquels ils doivent faire face : perte d’autonomie de leur enfant, impossibilité pour lui de fonder une famille… Les déceptions et frustrations des enfants résonnent dans le cœur des parents qui, pris dans cet amalgame d’émotions, se mettent à broyer du noir. 

De l’aide? Quelle aide?

Déçus, floués, abandonnés : les parents ne sont pas tendres envers les services de santé et de services sociaux. Leur sentiment? Tous les efforts investis pour stimuler et développer l’autonomie de leur enfant sont mis aux oubliettes dès lors que ce dernier devient adulte. Par exemple, cette mère d’un homme de 30 ans sent que, peu importe ses efforts, l’avenir de son fils sera le même une fois qu’elle ne sera plus en mesure de s’en occuper :

« Maintenant qu’il est adulte, c’est quoi qu’il a devant lui? Rien. La société n’a pas suivi et tout le discours des intervenants qu’il faut le stimuler au maximum pour qu’il soit le plus autonome… Et là il arrive quoi? Ça va être la famille d’accueil. Moi je me sens flouée un peu dans ça. C’est comme un double discours qui me déçoit. »

Avec des intervenants qui changent constamment, difficile de créer et maintenir un lien de confiance. Devant l’incertitude de la prise en charge de son enfant, l’angoisse monte d’un cran pour ce père quand il pense que lui et sa femme ne seront pas toujours là :

« Tout ce qu’on fait pour lui, même voir à sa sécurité, est-ce que quelqu’un d’autre va faire la même chose? » 

Les services reçus semblent inégaux dans le réseau public : certains apprécient les interventions, d’autres les trouvent mal adaptés ou trop axés sur le court terme. C’est sans compter la lourdeur du processus administratif qui pèse sur leurs épaules. Quant aux services de soutien aux parents, ils ne sont même pas dans l’équation. Leurs solutions à ce stade : le privé, ou rien!

« Ça m’a fait avancer beaucoup dans ma vie »

Avec l’âge viennent les craintes, mais aussi une certaine sagesse devant le chemin parcouru. Malgré les embûches, celui des parents avec un enfant atteint d’une DI s’illumine. Ils développent de nombreuses capacités, comme l’expression de soi, la défense de ses droits et l’empathie. Des compétences essentielles lorsqu’il faut affronter un système de santé difficile à naviguer. 

« Ça m’a aidé à m’exprimer parce qu’avant je n’étais pas capable. J’écoutais, j’étais bonne pour écouter les problèmes des autres, mais parler des miens était impossible. Mais maintenant c’est un côté positif. » – Mère d’un homme de 50 ans 

Plusieurs ont revu leurs priorités, ce qu’ils voient d’un œil plutôt positif. Par exemple, une mère raconte avoir changé de perspective sur la pression de performance vis-à-vis de son enfant. Une forme de lâcher-prise qui l’a aussi aidée dans sa profession d’enseignante. D’autres constatent l’impact bénéfique de leur implication sur la sensibilisation et la compréhension de la DI auprès des personnes qu’ils rencontrent. Ils changent leur monde à leur échelle, un petit pas à la fois. 

Prendre soin tout le temps, pendant longtemps

L’équipe de recherche appréhende un nouvel obstacle pour ces parents vieillissants : déjà proches aidants de leur enfant, ils pourraient devoir soutenir un membre de leur entourage. L’augmentation de l’espérance de vie dans la population touche de plus en plus de familles, dont celles avec un proche présentant une déficience intellectuelle. Les parents déjà exténués pourraient-ils se retrouver au bout du rouleau? Pour les chercheurs, c’est signe que leurs besoins doivent être mieux connus afin de leur offrir des services vraiment adaptés.