À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Johanna Caldwell et Vandna Sinha, “(Re) Conceptualizing Neglect : Considering the Overrepresentation of Indigenous Children in Child Welfare Systems in Canada”, publié en 2020 dans Child Indicators Research, 13(2), 481‑512.

  • Faits saillants

  • Une conception trop étroite de la négligence contribue à la surreprésentation des enfants autochtones dans les signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).
  • En mettant l’accent sur l’exercice des responsabilités parentales, la DPJ ne reconnait pas les pratiques familiales propres aux cultures autochtones.
  • Des alternatives possibles? Oui! Celles-ci passeraient par la valorisation du bien-être de l’enfant et la création des services de protection de la jeunesse sécuritaires pour les cultures autochtones.

La surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de la jeunesse (DPJ) n’est pas une nouveauté au Québec. En 2020, pour répondre à ce problème persistant, le gouvernement canadien légifère pour permettre à chaque communauté autochtone du pays d’adopter ses propres lois sur la protection de l’enfance.[1] Alors, qu’est-ce qui ne va pas dans le système québécois actuel? Une définition de la « négligence » qui ne respecte et ne reflète pas la culture des familles autochtones. 

C’est la conclusion de l’étude de Johanna Caldwell et Vandna Sinha, respectivement candidate à la maîtrise en travail social à l’Université de Montréal et professeure de travail social à l’Université McGill. Comme en témoignent les statistiques, les enfants autochtones du Québec sont jusqu’à six fois plus signalés, cinq fois plus pris en charge et huit fois plus placés en foyer d’accueil que les enfants non-autochtones. 

La négligence : deux poids pour une seule mesure

La négligence, ou le « risque sérieux » de négligence, bien plus qu’une question de responsabilité parentale! Pour la DPJ, la négligence, c’est l’échec des parents à subvenir aux besoins de leurs enfants. Pour estimer le risque de négligence, les intervenants utilisent l’Inventaire concernant le bien-être de l’enfant en relation avec l’exercice des responsabilités parentales (ICBE). Mais encore? L’ICBE permet d’évaluer les facteurs de risque de maltraitance à partir d’échelles qui mesurent surtout les forces et faiblesses du milieu parental. 

Le problème? Une définition trop étroite et restrictive, selon les autrices. En mettant uniquement l’accent sur les responsabilités parentales, elle occulte les valeurs des familles autochtones et fait fi de leurs conditions de vie difficiles. À leurs yeux, valoriser la culture de l’enfant et la manière dont les peuples autochtones définissent les responsabilités familiales devraient être au cœur du débat. Par exemple, les outils de la DPJ ne reconnaissent pas toujours le rôle de la famille élargie dans le soin et l’éducation des enfants autochtones. Si plusieurs membres de la famille vivent sous le même toit, les parents peuvent compter sur eux pour répondre aux besoins de l’enfant. Lorsqu’il est inconnu ou incompris, ce comportement pourtant naturel et normal a vite fait d’éveiller les soupçons pour une personne allochtone.

Sous un autre angle, l’histoire est là pour nous rappeler les effets de la colonisation sur les peuples autochtones. Les politiques d’exploitation, de déplacements forcés et de violences perpétrées durant des siècles ont des répercussions réelles sur leurs conditions de vie actuelles. Accès réduit à l’éducation et à l’emploi, haut taux de pauvreté infantile et conditions de logement et de santé plus précaires : on est loin de la question des seules habiletés parentales!

Respect et confiance pour conjuguer solution avec collaboration 

Valoriser le bien-être de l’enfant, et bâtir un lien de confiance entre les peuples autochtones et les services publics :  voilà, selon les autrices, les ingrédients pour que les politiques de protection de l’enfance respectent les réalités autochtones.  

L’évaluation du bien-être vise à vérifier si les besoins et les aspirations des enfants, des familles et des communautés sont remplis, affirment les chercheuses. Relations familiales, rapport à la culture, aux ancêtres, au territoire, ou sentiment d’appartenance : nombreux sont les facteurs qui y contribuent. 

Comment créer un environnement sécuritaire et accueillant sur les plans culturel et identitaire pour les peuples autochtones au sein de la DPJ? Les autrices proposent deux pistes de réflexion pour réformer les politiques de protection de la jeunesse. En premier lieu, en misant sur une collaboration juste et équitable avec les peuples autochtones pour toutes les questions de développement, prestation et d’évaluation des services en matière de protection de la jeunesse. Elle doit également adopter des pratiques qui respectent leurs valeurs, cultures et réalités. En deuxième lieu, en reconnaissant les effets de la colonisation et des traumatismes et comprendre les obstacles actuels auxquels les peuples autochtones font face au sein de la DPJ et de la société. 

S’engager pour l’autonomie des peuples autochtones 

C’est en s’engageant à assurer l’autonomie des Premiers Peuples que la surreprésentation des enfants autochtones au sein du système de protection de la jeunesse pourra diminuer, concluent les autrices de l’étude. 

La présente recherche s’inscrit dans l’une des conclusions de la Commission Viens, qui montre l’échec de l’intervention allochtone auprès des peuples autochtones. En outre, selon le rapport de la Commission, la Loi sur la protection de la jeunesse serait fondée sur une conception occidentale de la famille qui a des effets discriminatoires lorsqu’elle est appliquée auprès des Premiers Peuples. La communauté Atikamekw possède d’ailleurs déjà son propre régime de protection de la jeunesse, le système d’intervention d’autorité atikamekw, qu’elle considère mieux adapté à ses besoins, valeurs et à sa structure sociale.

La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (C-92), entrée en vigueur le 1er janvier 2020, est un pas vers la reconnaissance de l’autorité et de la capacité des peuples à prendre des décisions qui les concernent. Une loi qui facilitera peut-être le chemin d’autres communautés du Québec qui – à l’instar des Atikamekw – leur permettra de créer leur propre service de protection de la jeunesse. 


[1]Adoption de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (C-92).