À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Chantal Bayard, « Les représentations sociales de l’allaitement maternel : points de vue des femmes québécoises rencontrées durant leur grossesse », publiée en 2012 dans Lapierre, S. et Damant, D. (eds.) Regards critiques sur la maternité dans divers contextes sociaux, Québec: Presses de l’Université du Québec.

  • Faits saillants

  • Le discours de la santé publique sur l’allaitement maternel n’est pas moralement neutre, selon Bayard. En mettant l’accent sur les besoins de l’enfant, il ne permettrait pas aux femmes de faire un choix libre et éclairé.
  • Les mères interrogées partagent généralement la même vision que la santé publique, ce que l’auteure interprète comme le résultat des politiques gouvernementales en faveur de l’allaitement.
  • Dans le contexte actuel, les femmes qui ne désirent pas ou ne peuvent pas allaiter subissent une forte pression de la part des professionnels de la santé et des autres mères. Plusieurs d’entre elles disent ressentir de la culpabilité.

Allaiter ou ne pas allaiter ? Est-ce un véritable choix? Les mères sont-elles aussi libres qu’elles le devraient de choisir l’une ou l’autre de ces options?  Une analyse approfondie des représentations de l’allaitement de 11 futures mères âgées entre 28 et 33 ans démontre que le discours de santé publique en faveur de l’allaitement maternel a une grande influence sur la décision que prendront ces femmes d’allaiter ou non.

Un discours culpabilisant

Le discours de santé publique, tant national qu’international, fait la promotion de l’allaitement depuis plus de 30 ans. Au Québec, des objectifs nationaux ont été mis en place et sont soutenus par plusieurs mesures et programmes de santé. Dans les cours prénataux, par exemple, un atelier est consacré aux bienfaits de l’allaitement maternel pour l’enfant. Selon les répondantes, l’objectif de ces rencontres est de les convaincre d’allaiter plutôt que de les informer; certaines professionnelles de la santé allant jusqu’à exercer une pression sur les femmes ne désirant pas allaiter.

Mon bébé, mon lait

Selon la majorité des femmes rencontrées, la mère est la principale responsable de la santé physique et psychologique du nourrisson. Elle doit donc offrir « ce qu’il y a de mieux » à son rejeton, et ce « mieux » serait le lait maternel, jugé plus naturel, frais et santé que la formule commerciale. Pour être une « bonne » mère, on doit donc faire passer les besoins de l’enfant avant les siens. Plusieurs répondantes soulignent cependant que les besoins de la mère doivent aussi être pris en compte dans l’allaitement. Selon elles, l’allaitement peut s’avérer une expérience difficile, qui demande une grande disponibilité, aussi bien physique que mentale. Les mères qui allaitent peuvent se sentir restreintes dans leur mobilité, car elles doivent s’assurer d’être toujours à proximité de leur rejeton ou alors prévoir le boire de leur enfant si elles doivent s’absenter.

Même s’il demande une certaine adaptation, l’allaitement est perçu comme naturel, instinctif et « animal » par les futures mères. L’abandon de l’allaitement peut alors être vécu comme un échec et susciter un sentiment de culpabilité.

Le lait maternel est considéré comme un aliment santé, un « vaccin naturel », par les mères. Il est aussi perçu comme étant sécuritaire, car le fait qu’il soit produit par le corps plutôt qu’en usine atteste de sa fraîcheur, de ses qualités nutritives et de sa propreté. Toutefois, la chercheure explique que le lait maternel n’est pas toujours d’une pureté irréprochable, étant soumis aux substances nocives et polluantes qui se retrouvent dans l’environnement des mères (eau, air, sol, nourriture, meubles, etc.) et dans ce qu’elles consomment (médicaments, alcool, drogues, gras transgéniques, etc.).

Les femmes interrogées perçoivent l’allaitement comme une manière privilégiée de créer un lien affectif avec le nouveau-né. Selon la chercheure, plusieurs femmes pensent la relation mère-enfant comme un lien se tissant entre deux individus. Pour quelques-unes, cependant, la relation est vue comme plus symbiotique et fusionnelle et émerge de l’allaitement maternel. Sans surprise, l’allaitement sera très important pour ces dernières.

Plusieurs femmes associent le geste d’allaiter à la chaleur humaine, au calme et au coconnage alors que le geste de donner le biberon est plutôt synonyme de distance et de froideur.

Et la mère dans tout ça?

Bayard constate que les représentations de l’allaitement des femmes interrogées correspondent, en majeure partie, au discours pro-allaitement de la santé publique. Les difficultés de l’allaitement ainsi que les besoins de la mère – ses aspirations comme femme et comme mère – sont pratiquement absents du discours, créant un rapport inégal entre les besoins de la mère et ceux de l’enfant. En excluant la mère de l’équation, le lien mère-enfant est idéalisé, synonyme de connexion profonde et positive. Dans les faits, des études antérieures suggèrent plutôt qu’une majorité de femmes considèrent l’allaitement comme une expérience qui peut être dérangeante et, parfois, douloureuse, voire violente [1].

Le discours pro-allaitement met l’accent sur le devoir des mères envers leur enfant; le meilleur choix étant celui de l’allaitement maternel. Les femmes sont ainsi perçues comme un groupe unidimensionnel, naturellement capable et motivé à allaiter leur enfant. La littérature scientifique démontre plutôt que l’allaitement, pour qu’il soit profitable, dépend de différents facteurs, comme l’accès à une bonne alimentation, des conditions de vie favorables ainsi qu’une bonne santé mentale et physique chez la mère. Ces conditions sont parfois inaccessibles aux mères en situation de précarité économique.

De plus, la chercheure ajoute que l’allaitement n’est pas le seul moyen d’établir un lien affectif satisfaisant avec l’enfant. Les gestes liés au maternage – changements de couches, bains, habillement, jeux, etc. – sont tout aussi importants et permettent d’intégrer le père (ou un autre proche).

En quelques mots, la mère ressent une grande pression à faire un choix dit responsable et à oublier ses propres limites et besoins. Plusieurs éléments sont exclus du discours de la santé publique, selon l’auteure : les difficultés de l’allaitement, les conditions de vie idéales pour un allaitement réussi ainsi que la prise en compte des besoins de la mère, ce qui augmente la pression sur la mère et suscite l’émergence de sentiments de culpabilité et d’incompétence parentale.

En faveur d’un choix éclairé

Comme ce discours est partiel, il est impossible pour la future mère de prendre une décision éclairée sur l’allaitement maternel. À la lumière de cette étude, il serait pertinent d’ouvrir une discussion plus globale sur le rôle et le devoir des professionnels de la santé dans un contexte d’accompagnement des futures mères, de même que sur les politiques de santé publique actuelles en faveur de l’allaitement maternel.

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[1] Schmied, V. et D. Lupton (2001) “Blurring the boundaries: Breastfeeding and maternal subjectivity”, Sociology of Health and Illnes, Vol. 23, No. 2.