À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Natalie Malak, Md Mahbubur Rahman et Terry Yip, « Baby Bonus, Anyone? Examining Heterogeneous Responses to a Pro-Natalist Policy », publié en 2016 sur le Social Science Research Network.

  • Faits saillants

  • De 1988 à 1997, le gouvernement québécois a créé d'importantes allocations à la naissance surnommées les « bébés bonus ». L’objectif? Pousser les parents à agrandir la famille.
  • Les bébés bonus ont augmenté la probabilité d’avoir un enfant, mais aussi d’avoir une plus grande famille.
  • Les bébés bonus ont surtout augmenté la fertilité dans les familles de classe moyenne.
  • Les femmes plus éduquées ont été plus sensibles aux bébés bonus, donnant ainsi naissance à davantage d’enfants.
  • Les bébés bonus ont outrepassé les préférences de genre dans la fratrie, incitant les parents de garçon à avoir plus d’enfants.

Auriez-vous un enfant de plus si l’on vous offrait 500$? Et 1000$? Et pourquoi pas 8000$? C’était le pari du gouvernement québécois pour faire augmenter le taux de natalité lors de l’instauration de sa première politique familiale, en 1988. Jusqu’en 1997, les familles ont eu droit à de généreuses allocations à la naissance, surnommées les « bébés bonus ». Les parents recevaient 500$ pour un premier enfant, jusqu’à 1000$ pour le second, puis jusqu’à 8000$ pour les enfants subséquents. Est-ce que l’appât du gain a vraiment fait augmenter la fertilité des familles québécoises? Il semblerait que l’impact de la mesure pourtant universelle varie d’une famille à l’autre.

Trois économistes diplômés de l’Université McMaster s’intéressent aux répercussions des allocations à la naissance sur la fertilité des familles québécoises. Ils utilisent les statistiques de l’état civil entre 1974 et 2011 pour comparer les taux de fertilité entre le Québec et l’Ontario. Ils comparent également les données des recensements de 1991 et 1996 des femmes mariées ou conjointes de fait de 15 à 34 ans de familles biparentales pour mesurer l’influence sur leur fertilité. La mesure semble effectivement alléchante… mais pour certaines familles seulement!

La classe moyenne veut plus d’enfants… et plus d’argent?

Nombreux sont les parents qui ont succombé à la tentation d’avoir un autre enfant en échange d’un gain financier. Les auteurs estiment que la probabilité d’avoir un enfant a augmenté d’un peu moins de 10 % avec les bébés bonus. Et plus la famille est grande, plus l’effet est grand : la probabilité d’avoir un troisième chérubin a carrément bondi de près de 25 %!

Les montants considérables tombent en plein dans les besoins de la classe moyenne : juste assez pour encourager une grossesse sans s’empêtrer dans les soucis financiers. Résultat? Près de 15 % des familles de classe moyenne voient la probabilité d’avoir un enfant supplémentaire se concrétiser.

À l’inverse, cette mesure n’a pas vraiment chamboulé les plans des deux extrêmes du spectre des revenus. Chez les familles moins nanties, les sommes ne sont pas assez importantes pour encourager les naissances : ces parents préfèrent dépenser l’aide financière reçue pour augmenter le bien-être des enfants qu’ils ont déjà. Et chez les plus riches, le gain n’est pas assez alléchant pour justifier l’ajout d’un petit être.

Regain des naissances chez les femmes éduquées 

Un écart de fertilité entre les femmes plus ou moins éduquées? Pas avec les primes aux bébés! Selon diverses études, en temps normal, les femmes qui restent plus longtemps sur les bancs d’école ont une moins grande famille que leurs consœurs, même si elles veulent plusieurs enfants. Or, dans les années 1990 au Québec, les bébés bonus ont changé la donne. 

Les chercheurs remarquent que plus le niveau d’éducation de la femme est élevé, plus l’effet des bébés bonus est fort. Ce que ça veut dire? Les femmes plus éduquées répondent mieux à la mesure : elles ont plus d’enfants qu’elles auraient eus en temps normal. Pour une éducation de niveau secondaire ou moins, la probabilité d’avoir un enfant en raison des bébés bonus augmente de 5 %. Ce chiffre double pour celles avec un diplôme postsecondaire, puis triple pour celles avec un baccalauréat et plus. Conclusion? Comme les femmes éduquées ont eu plus d’enfants avec les primes aux bébés, l’écart de fertilité entre elles et les autres femmes a diminué.

Un petit garçon? Une petite fille? Peu importe avec les bébés bonus

Les familles canadiennes ont un drôle de penchant : elles seraient plus nombreuses à vouloir un petit garçon. L’étude confirme cette préférence, mais montre aussi que les bébés bonus la minimisent. La mesure a bien fonctionné chez les familles avec des fils. Sans les bébés bonus, elles auraient arrêté d’agrandir leurs rangs, mais l’argent les a poussées à continuer. Chez celles avec des filles, la mesure a peu d’effet : elles auraient tout de même tenté d’agrandir la fratrie, bonus ou non. Les petits garçons sont donc les chouchous des parents et, sans allocations à la naissance, les familles avec un héritier masculin auraient été plus nombreuses à arrêter d’agrandir la fratrie.

Un succès à court terme seulement?

Alors ces bébés bonus, un succès? Si la mesure semble avoir porté fruit pendant un temps, son succès reste à demi-ton. Après un premier bond, son effet s’essouffle dans le temps. Un coup de pouce financier à la naissance, c’est bien, mais un enfant, c’est pour toute la vie. Le Secrétariat du Comité des priorités du Québec a même conclu en 1997 que la mesure ne répondait pas aux besoins des familles[1]. Les parents n’ont pas simplement besoin d’argent : c’est tout un réseau qui doit se mettre en branle pour soutenir les familles. Leur remplacement à la même époque par des allocations familiales, un réseau de services de garde éducatifs subventionnés, et des congés parentaux n’est donc pas si surprenant!


[1] Renée Dandurand, 2020.