À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Laurence Charton et Nong Zhu, « Inégalités de genre dans le partage des tâches domestiques au Canada : quelles influences sur le désir d’un (nouvel) enfant? », publié en 2017, dans Cahiers de recherche sociologique, volume 63.

  • Faits saillants

  • Partout au Canada, les femmes estiment qu’elles s’occupent davantage du travail domestique, tandis que les hommes trouvent la répartition plus égalitaire.
  • L’arrivée d’un enfant augmente l’inégalité du partage des tâches domestiques entre les hommes et les femmes, les mères en faisant davantage.
  • Devant le surplus de travail domestique des mères, ces dernières sont plus réticentes à avoir un nouvel enfant, alors que les pères en voudraient plus.

Mélanie finit à peine de travailler que la routine du soir est déjà commencée : courir à l’épicerie, démarrer le souper, partir une brassée, puis sauter sur la vaisselle, passer un dernier coup de linge, pendant que son conjoint couche leur enfant. Lorsqu’ils se retrouvent, son chéri la regarde, les yeux attendris. « Et si on avait un autre enfant? », lui demande-t-il. La réponse de sa partenaire pourrait le surprendre! Alors que les tâches domestiques sont toujours l’apanage des femmes, leurs conséquences sur le désir d’avoir un nouvel enfant commencent à se faire sentir.

Deux professeurs du centre Urbanisation, Culture, Société de l’INRS, Laurence Charton et Nong Zhu, décortiquent l’Enquête sociale générale de 2011 de Statistique Canada pour comprendre l’effet du partage des tâches domestiques sur le désir d’enfant des couples. Ils ont retenu les réponses de 5821 personnes (environ 45% d’hommes et 55% de femmes) pour l’ensemble des provinces canadiennes et ont mis l’accent sur cinq tâches considérées routinières : les repas, le ménage, la vaisselle, la lessive et l’épicerie. Les répondants se prononçaient sur la répartition des tâches, leur satisfaction face à cette répartition et leur désir d’avoir un enfant.

Maman a (encore) trop d’ouvrage

Les tâches domestiques se retrouvent toujours davantage dans la cour des femmes, selon les deux chercheurs. Une tendance qui s’observe partout au Canada, mais qui varie entre les provinces. Par exemple, dans les Prairies, les femmes disent prendre en charge l’ensemble des corvées, alors qu’au Québec et en Ontario, c’est « seulement » trois tâches : les repas, la lessive et le ménage.

Leur partenaire masculin voit la répartition au sein du couple d’un autre œil, et ce, partout au pays. S’ils concèdent que les tâches domestiques retombent peu sur leurs épaules, ils sont toutefois plus nombreux à considérer que l’arrangement est égalitaire. Par exemple, au Québec, la moitié des femmes ont l’impression qu’elles s’occupent seules des tâches reliées au ménage dans le foyer, alors que la moitié des hommes jugent plutôt que cette corvée incombe aux deux conjoints de façon équitable.

Graphique 1. Perception de la répartition de la tâche «ménage» selon les femmes et les hommes au Québec

Dans certaines provinces, les couples dont les conjoints ont entrepris des études supérieures et dans lesquels la femme travaille partagent plus équitablement les tâches domestiques. Pas de cela au Québec, en revanche! Les couples, particulièrement les femmes, devant une augmentation du revenu disponible pour la famille, délèguent plutôt les tâches une aide extérieure, comme un aide ménager ou un service de traiteur. Le partage des tâches n’est donc pas seulement une affaire de couple, mais peut aussi être une affaire de sous.

Un fossé qui se creuse à l’arrivée des enfants

Si les couples québécois sans enfant sont plus égalitaires dans le partage des tâches domestiques, le portrait s’assombrit lorsque la famille s’agrandit. Ce phénomène « entache » d’ailleurs toutes les provinces canadiennes. En bref : plus les couples ont d’enfants, plus les femmes s’occupent des tâches ménagères. L’arrivée de chaque enfant supplémentaire dans le foyer renforce cette inégalité.

Dans les provinces de l’Atlantique, les inégalités se manifestent dès le premier enfant, mais se stabilisent ensuite. Le scénario est similaire dans les Prairies et en Colombie-Britannique, mais pour le deuxième enfant cette fois. L’hypothèse des chercheurs? Comme les femmes sont encouragées à arrêter de travailler à la naissance de leur bébé, selon la mentalité et les politiques familiales provinciales en place, elles prennent aussi plus de tâches ménagères à leur charge bien souvent, dès le premier né.

Quant aux femmes du Québec et de l’Ontario, elles restent davantage en emploi, même après l’arrivée des enfants. Le changement s’y instaure donc plus graduellement. C’est surtout à partir du troisième enfant qu’elles endossent beaucoup plus de travail ménager.

La réaction des femmes? Vient un moment où elles en ont plein les bras, au propre comme au figuré. C’est particulièrement vrai au Québec, où le degré de satisfaction de l’équilibre entre emploi et vie familiale chute drastiquement avec l’arrivée d’un enfant, de 78% à 59%! Les hommes, eux, restent plutôt satisfaits de cet équilibre, peu importe le nombre d’enfants. Il faut dire que leur part de travail domestique reste stable, même que, selon les auteurs, il diminue à chaque nouvel enfant dans la maisonnée.

Un autre enfant? Hum… pas sûr!

Pendant longtemps, les couples avec une division des tâches plus traditionnelle, surtout les couples sans enfant, manifestaient un fort désir d’enfants. La situation est toutefois en train d’évoluer, chez les femmes en particulier. Les chercheurs constatent que, peu à peu, la charge des tâches ménagères diminue le désir d’enfant des femmes.

Chez les pères, c’est l’effet inverse. Les hommes dans les milieux où la femme s’occupe principalement des tâches domestiques sont ceux qui ont le plus fort désir d’enfants, voire d’une famille nombreuse. Les auteurs rappellent que ces derniers ont généralement le beau jeu : plus ils ont d’enfants, moins ils s’occupent des obligations domestiques.

La clé dans le congé parental?

Pour combler le fossé entre le désir d’enfants des hommes et celui des femmes, les chercheurs suggèrent de se tourner vers le congé parental. Si les parents divisent le congé entre les deux partenaires, les tâches ont plus de chance d’être mieux réparties, avancent-ils. La mère n’aura pas de facto à s’occuper des repas, du ménage, de la vaisselle, et de tout le tralala. Le Québec et le Canada ont pris des chemins différents à ce sujet. Le gouvernement québécois a récemment annoncé qu’il augmenterait de quatre semaines le congé parental partageable, si chacun des deux conjoints prend au minimum dix semaines de ce congé. Cette nouvelle mesure doit maintenant prouver qu’elle atteint le résultat escompté.