À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marilyne Caouette, « L’affaire Daigle contre Tremblay : le temps comme moteur du débat social au Québec à la fin des années 1980 », publié en 2019 dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, volume 72, n. 3. 

  • Faits saillants

  • Le procès de Daigle contre Tremblay (1989) ravive le débat sur l’avortement à la suite de l’adoption de l’arrêt Morgentaler (1988), qui lui, le décriminalise.
  • Les arguments présentés pour justifier l’injonction contre l’avortement de Daigle portent sur le droit naturel du père et sur le droit à la vie du fœtus.
  • Dans le procès Daigle c. Tremblay, le droit des personnes enceintes est relégué au second plan au détriment des droits du père et du fœtus.
  • La Cour suprême du Canada donne finalement raison à Chantal Daigle et renverse l’injonction contre l’interruption de grossesse autorisée par la Cour supérieure et d’appel du Québec.

28 janvier 1988 : Arrêt Morgentaler, décriminalisation de l’avortement. Cet événement est une grande avancée pour les droits reproductifs. À la genèse de l’histoire des droits reproductifs se trouve également l’affaire Daigle, qui a tenu le Québec en haleine à l’été 1989. Durant ce procès historique, « coup de théâtre » : Chantal Daigle a eu recours à un avortement aux États-Unis. Mais la question demeure : les arguments présentés par Jean-Guy Tremblay pour justifier l’injonction sont-ils valides? 8 août 1989 : rejet de l’injonction par la Cour suprême du Canada, avortement autorisé.  

Marilyne Caouette, diplômée à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, se penche sur cette saga judiciaire, afin d’en relater la couverture médiatique. Pour ce faire, elle recense plus de 600 articles qui couvrent de près ou de loin le procès entre Chantal Daigle et Jean-Guy Tremblay. Ces articles publiés entre le 7 juillet et le 17 août 1989 proviennent principalement de journaux francophones (Le Devoir, La Presse, Le Journal de Montréal, L’écho Abitibien et Le Nouvelliste), mais aussi anglophones (The Gazette et The Globe and Mail).  

L’histoire de Daigle et Tremblay : après l’amour vient la haine 

Trois minutes. C’est le temps qu’il a fallu à Chantal Daigle pour connaître le résultat du test de grossesse qui changera sa vie et qui marquera le Québec à jamais. À l’issue de cette attente interminable : positif! Dans les semaines qui suivent, la jeune femme prend deux décisions importantes. Premièrement, elle quitte la relation amoureuse toxique qu’elle entretient avec Jean-Guy Tremblay et, deuxièmement, elle décide de ne pas poursuivre sa grossesse. Surprise! Son ex-partenaire obtient une injonction provisoire de la Cour qui lui interdit de se faire avorter, au risque de s’exposer à une peine de 2 ans de prison et d’une amende de 50 000$1. C’est ici que s’amorce le début d’un procès bref, intense et, surtout, hautement médiatisé entre les deux parties.  

Figure 1. Présentation des jugements au cours du procès Daigle contre Tremblay

Être père : droit naturel versus autorité parentale

L’avortement, l’affaire du père? C’est en tout cas ce qu’avance Maître Robert Francis, l’un des avocats de Jean-Guy Tremblay. Les juristes qui représentent ce dernier affirment que leur client, en tant que père du fœtus, a un droit de regard sur la décision de mettre ou non un terme à la grossesse. Bien qu’irréaliste en 2022, cet argument n’est pas sans appui. À l’époque, les mouvements masculinistes font leur apparition et prennent de l’ampleur dans le paysage québécois. Leur principale revendication? Lutter contre la perte de pouvoir des hommes engendrée par les mouvements féministes qui revendiquent l’égalité hommes-femmes. Le droit du père offre donc un levier dans leur combat. Or, les changements juridiques du Code civil de 1970 mettent au même niveau les parents d’un enfant. La « puissance paternelle » autrefois reconnue est depuis partagée et devient l’« autorité parentale ». Autrement dit, l’argument sur le droit du père de Tremblay tombe à l’eau.

« Le fœtus est-il un être humain ? »

Le principal argument du juge Viens de la Cour supérieure du Québec pour forcer Chantal Daigle à poursuivre sa grossesse tient en deux mots : être humain. Les torts vécus par Daigle – violence conjugale et grossesse non désirée – ne sont pas considérés comme suffisamment importants pour autoriser l’avortement, et ce, malgré l’arrêt Morgentaler qui décriminalise la pratique. La décision de la Cour supérieure du Québec, suivie de celle de la Cour d’appel du Québec, donne des munitions aux groupes religieux et pro-vie, dont Campagne Québec-Vie. Pour ces groupes de pression, défendre le droit à la vie du fœtus est primordial, puisque selon eux, l’avortement est comparable à un meurtre.

« [l]es droits de l’enfant existent avant l’existence des féministes entêtées » (J. Clément Rainville, prêtre du Grand Séminaire de Montréal)

Conclusion? Le droit du fœtus est considéré comme un argument valable par la Cour supérieure et la Cour d’appel pour maintenir l’injonction contre l’avortement de Daigle. Pourtant, en 1988, la Cour suprême du Canada affirme qu’obliger la poursuite d’une grossesse contre la volonté de la personne qui porte le fœtus brime ses droits. La balle est alors dans le camp de la Cour suprême du Canada.

Père, fœtus, et la personne enceinte dans tout ça?

La Cour d’appel et la Cour supérieure du Québec se heurtent à des adversaires de taille. De nombreux groupes de femmes, pro-choix et féministes descendent dans les rues pour contester les décisions. Munis de symboles forts, cintres, aiguilles à tricoter et pancartes, les militantes et les militants inondent les rues devant le palais de justice en soutien à Daigle. Bien que ces groupes soient loin d’être un bloc homogène avec une opinion unanime sur la question, plusieurs affirment que l’autonomie reproductive est en danger! La victoire de Tremblay permettrait à quiconque muni d’une injonction d’empêcher l’avortement aux personnes enceintes. Aussi facile que de crier ciseaux!

C’est alors que le verdict tombe : la Cour suprême du Canada rejette l’injonction émise pour empêcher l’avortement de Daigle! Les droits du père et du fœtus évoqués par les avocats de Tremblay pour justifier l’injonction portent atteinte à la décriminalisation de l’avortement acquis par l’arrêt Morgentaler.

Malgré cette victoire, un constat amer émerge : la Cour suprême du Canada ainsi que les cours du Québec relèguent le droit des personnes enceintes au second plan. De plus, à aucun moment dans la saga Daigle contre Tremblay, la violence conjugale subite n’a été prise en considération.  

Peut-on vraiment crier victoire?

Le procès de Daigle c. Tremblay se conclut par une victoire timide pour le droit à l’avortement. Le flou entourant le droit du fœtus et de la personne qui le porte est une épée de Damoclès toujours présente au Canada. Rien ne dit que les récents changements juridiques sur le droit à l’avortement chez nos voisins et voisines du Sud ne raviveront pas les débats sur cette question. Encore aujourd’hui, des groupes anti-avortement au Canada luttent pour la réglementation de ce droit en mettant de l’avant les arguments employés par Jean-Guy Tremblay.

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[1] Ces informations proviennent de l’article Dans les coulisses de la cause Tremblay c. Daigle publié par Le Devoir, le 17 juillet 2019, https://www.ledevoir.com/societe/558823/dans-les-coulisses-de-l-affaire-chantal-daigle