À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume le rapport de Pierre-Luc Lupien, « Entre mer et déboires : Précarité résidentielle en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine à partir du vécu des personnes et de la pratique des intervenants », publié en 2016, par le Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable (CIRADD), 106 pages.

  • Faits saillants

  • En Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, les logements de qualité sont rares et sont souvent dispendieux, ce qui plonge de nombreux locataires et propriétaires dans une situation précaire.
  • Certaines populations, comme les mères monoparentales et les bénéficiaires de l’aide sociale, sont plus susceptibles de vivre de la discrimination et de se retrouver confinés dans des milieux problématiques.
  • La location d’une maison unifamiliale, hors de la saison touristique, est une option privilégiée par certains locataires. Cependant, ils trouvent difficile de déménager fréquemment et de ne jamais se sentir pleinement chez eux.

La Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, un petit coin de paradis? Pas toujours! Du moins pour plusieurs habitants de la région, qui sont confrontés à un grave problème de logements. Près de la moitié des logements privés de cette région nécessitent des réparations (44 %) alors que c’est le cas d’environ le tiers (35 %) des logements québécois[1].

La sévérité de la situation a poussé un chercheur à mettre sur pied une enquête pour étudier les réalités de l’habitation de la région. Il a mené des groupes de discussion avec une quarantaine d’intervenants et a interviewé quinze résidants (onze femmes et quatre hommes) vivant ou ayant vécu des situations de précarité résidentielle. Douze d’entre eux sont locataires d’appartements ou de maisons unifamiliales, alors que les trois autres sont propriétaires.

Des logements rares et dispendieux

La majorité des participants évoquent la rareté des logements pour expliquer la précarité de leur situation. Les choix étant restreint, ils doivent demeurer dans un appartement en mauvais état ou, bien souvent, trop dispendieux. Certains participants dépensent plus de la moitié de leurs revenus sur le loyer! Dans ces conditions, il en reste bien peu pour nourrir une famille…

Ghettoïsation, femmes et harcèlement

Certaines populations, comme les bénéficiaires de l’aide sociale, les personnes souffrant de problèmes de santé mentale et les mères monoparentales, sont particulièrement vulnérables. Ces personnes n’ont souvent d’autres choix que d’habiter des milieux de vie difficiles, caractérisés, notamment, par de graves problèmes d’insalubrité et de sécurité. Les intervenants rencontrés parlent d’un phénomène de « ghettoïsation », soit la concentration des personnes marginalisées en un même lieu.

Plusieurs participantes évoquent la difficulté de trouver un logement quand on a des enfants et peu de revenus; l’une d’entre elles dit même avoir vu des affiches « Pas d’enfants, pas d’animaux! » placardées sur des immeubles locatifs.

D’autres femmes mentionnent le risque de vivre du harcèlement ou des agressions dans certains milieux de vie.

« Des propriétaires qui ont la patte molle, des fois, le concierge. […] Il a réussi avec une. Il ne lui a pas chargé son loyer. Je dois faire attention. […] On n’a pas besoin de ça dans ce monde-ci! »

– Sylvie, 70 ans, locataire d’un appartement.

Quand on n’a pas de réseau…

Dans de petits milieux où bien des ressources (logis, emplois, etc.) sont principalement accessibles par le bouche-à-oreille, un faible réseau social rime avec de moins bonnes possibilités de se trouver un logement. C’est particulièrement vrai pour les personnes qui viennent d’arriver dans la région.

« J’emménage dans la MRC pour travailler. Je finissais ma maîtrise. J’étais ouverte à tout. J’aime bien les régions. […] Dans cette communauté, on ne voulait pas me louer, parce qu’on ne venait pas de la place. »

– Mélissa, néo-Gaspésienne, locataire d’une maison.

C’est aussi vrai pour les jeunes ayant été pris en charge par la protection de la jeunesse, qui peuvent difficilement compter sur du soutien social, notamment de leur famille. Ces jeunes vivent beaucoup de discrimination dans leur recherche de logement.

« Puis, la plupart du temps, je pognais des taudis, des appartements qui n’ont pas d’allure, c’est que justement, quand tu appelles pour un logement, quand tu as 18, 19, 20, 21 ans. La plupart des propriétaires ne veulent pas de jeunes. »

– Annick, 23 ans, mère monoparentale en logement social.

Entre insalubrité et conflits

En plus d’être rares, certains logements offerts en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine seraient particulièrement en mauvais état. Plusieurs participants disent avoir vécu dans des appartements insalubres ou nécessitant d’importantes réparations : moisissures, planchers pourris, problèmes d’aération ou d’isolation, etc.

Cette situation peut avoir des répercussions sur la santé et la sécurité des locataires. C’est le cas de la fille de Jeanne, mère monoparentale de deux enfants, qui est tombée malade à cause de la présence de moisissures. Une autre participante raconte que le système d’aération de son immeuble ne fonctionnait plus depuis près d’un an.

« Un inspecteur m’a dit que j’aurais pu passer au feu n’importe quand. Il n’avait pas été nettoyé depuis 40 ans. »

– Annick, 23 ans, mère monoparentale en logement social.

Le mauvais état des appartements est souvent au cœur des conflits entre locataires et propriétaires. Certains participants ont l’impression de devoir se battre pour obtenir le moindre service de la part de leur propriétaire. Les changements demandés se font attendre plusieurs semaines ou plusieurs mois, et n’arrivent parfois jamais.

Plusieurs locataires renoncent à porter plainte à la Régie du logement pour régler la situation, découragés par les contraintes financières (ex : coûts d’ouverture du dossier, frais de déplacement, etc.) ou par crainte de représailles (ex : menaces d’expulsion). Il n’existe d’ailleurs aucune association de défense des droits des locataires en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine.

Vivre dans sa maison, c’est mieux?

On pourrait croire que les propriétaires de maisons unifamiliales ont une situation plus enviable que les locataires d’appartements, mais ce n’est pas nécessairement le cas! Les propriétés sont parfois en piètre état et nécessitent des rénovations coûteuses. À cela s’ajoutent les coûts d’entretien, les taxes municipales, etc. Des frais qui peuvent être difficiles à assumer, notamment pour les personnes aînées qui vivent seules.

« Parce que quand mon mari était vivant, on avait, tu sais, 3200$, puis on tombe à 1300$. Je ne peux pas arriver puis payer une maison, l’Hydro, tout ce qui va avec. »

– Rose, propriétaire d’une maison unifamiliale.

Plusieurs propriétés, le plus souvent meublées, peuvent être louées en dehors de la saison estivale, alors que les touristes se font moins nombreux. Cette situation peut entraîner de la précarité chez les locataires, qui sont contraints de déménager fréquemment et qui doivent « vivre dans les affaires des autres ». C’est le cas de Mélissa, qui dit ne s’être jamais sentie pleinement chez elle dans la maison qu’elle loue. Cette mère d’enfants en bas âge doit constamment demeurer sur ses gardes de peur qu’ils ne brisent le mobilier.

La solution par le droit?

Bien que la situation soit critique, cette étude se concentre sur le vécu des gens en situation de précarité; elle n’est donc pas nécessairement représentative de la situation de tous les Gaspésiens et Madelinots. Par contre, la région compte le plus haut taux de chômage de la province et la pauvreté y est assez répandue.

Beaucoup reste à faire pour améliorer la situation résidentielle en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine. La question de l’habitation ne concerne pas seulement l’état des logements; elle touche aussi à des enjeux sociaux et légaux, tels que l’accès au logement (discrimination) et la défense des droits des locataires. Les populations les plus marginalisées ont souvent peu de ressources pour faire respecter leurs droits.

D’ailleurs, l’éloignement complexifie l’accès aux ressources. Certains locataires renoncent à faire valoir leurs droits parce que les bureaux de la Régie du logement sont situés à des centaines de kilomètres de leur domicile. Selon les participants de l’étude, la création d’un organisme de défense des droits des locataires dans la région pourrait améliorer les conditions de vie de plusieurs Gaspésiens et Madelinots.

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[1] Réseau solidaire pour le rayonnement des territoires Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (RESSORT-GÎM), 2013.

[2] Grameyer, 2010. « Approche sociologique des choix résidentiels », Élire domicile : la construction sociale des choix résidentiels.