À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Lise Goulet, Francine Descarries, Catherine des Rivières-Pigeons et Louise Séguin, « Travailler ou ne pas travailler… Le désir d’emploi des nouvelles mères et la dépression postnatale », paru en 2003 dans la revue Recherches féministes, vol. 16, no 2, p. 35-71.

  • Faits saillants

  • Les nouvelles mères courent plus de risques de souffrir de dépression postnatale si elles sont insatisfaites de leur situation d’emploi.
  • Ce sont les mères au foyer et celles en recherche d’emploi qui présentent les plus hauts taux d’insatisfaction face à leur situation d’emploi.
  • Un paradoxe : 31 % des mères au foyer considèrent leur vie incomplète sans emploi, mais 91 % d’entre elles affirment qu’elles préfèrent rester à la maison.

La dépression postnatale atteint près de 15 % des nouvelles mères. Une triste réalité qui fait l’objet de nombreuses études en santé. Toutefois, peu de chercheurs se sont intéressés à ce sujet sous l’angle sociologique. Les femmes assument souvent une double-tâche et peinent à concilier leurs rôles de mère et de travailleuse, ce qui peut parfois affecter la santé mentale. Il est donc pertinent de se questionner sur les liens entre la dépression postnatale et le désir d’emploi des nouvelles mères. La situation vécue correspond-t-elle à leur souhait? Lorsqu’elles sont insatisfaites de leur statut d’emploi, sont-elles plus à risque d’une dépression postnatale?

Un groupe de quatre chercheures (Lise Goulet et Louise Séguin, professeures au département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal; Francine Descarries et Catherine des Rivières-Pigeon, professeures au département de sociologie de l’UQAM) ont voulu évaluer l’impact du désir d’emploi sur la présence de symptômes de dépression chez les nouvelles mères. Elles s’interrogent aussi sur la perception des femmes à l’endroit du travail et de la maternité, en prenant en compte leurs conditions de vie. Pour ce faire, elles utilisent les données récoltées auprès de 447 nouvelles mères par le biais de différents questionnaires soumis six mois après l’accouchement. Un des questionnaires portait exclusivement sur l’état de santé mentale des mères, alors que d’autres questionnaires abordaient la situation d’emploi et les conditions de vie des femmes.

Caractéristiques des femmes

Les auteures classent les 447 mères en quatre catégories :

  1. celles qui ont repris le travail (142);
  2. celles en congé parental ou en vacances (165);
  3. celles qui se décrivent comme étant « au foyer » (112);
  4. celles qui sont en recherche d’emploi (30).

Sur les 447 femmes, 100 ont mentionné être insatisfaites de leur situation d’emploi.

La situation d’emploi

Les données montrent que la situation d’emploi a un grand impact sur le risque de dépression postnatale. Chez celles qui vivent une situation d’emploi insatisfaisante, que les auteures désignent comme une « situation d’inadéquation désir-situation », la présence de symptômes dépressifs est près de trois fois plus élevée que chez celles qui sont satisfaites de leur situation, soit 32 % contre 11,5 %. Ce sont les femmes au foyer et les femmes en recherche d’emploi qui courent le plus grand risque de dépression postnatale.

Des conditions de vie difficiles

L’insatisfaction à l’égard de la situation d’emploi n’est pas la seule variable à prendre en compte. Chez les femmes qui se disent insatisfaites, le risque de présenter des symptômes de dépression est encore plus grand lorsqu’il est conjugué à des conditions de vie difficiles. Une faible scolarisation, un stress intense et un manque de soutien provenant des proches sont aussi fortement associés au développement de la dépression postnatale.

Le paradoxe des femmes au foyer

Chez les femmes insatisfaites, les mères au foyer se distinguent clairement des trois autres groupes par leur perception de la maternité et du travail. Près du tiers (31 %) des femmes au foyer se disent d’accord avec l’affirmation Ma vie serait incomplète sans un emploi. Pourtant, plus de 90 % (92,9 %) d’entre elles sont aussi en accord avec l’affirmation Si j’avais à choisir […] je resterais à la maison.

Tableau 1. Attitude des femmes en fonction de l’emploi (% en accord avec l’affirmation suivante)

Un important paradoxe, que les auteures décrivent comme un « double attachement des femmes au travail et à la maternité ».

« La situation […] est paradoxale. D’une part, l’attitude des mères, toutes situations confondues, est très favorable au séjour à la maison. D’autre part, les femmes se trouvant dans cette situation, soit les femmes au foyer, sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses à souhaiter modifier leur rapport à l’emploi. De plus, celles qui expriment ce souhait présentent un taux particulièrement élevé de symptômes dépressifs. »

Les chercheures répartissent les femmes au foyer en deux groupes bien distincts : celles qui sont au foyer par choix et celles qui souhaiteraient retourner sur le marché du travail. La prévalence de symptômes dépressifs chez les femmes au foyer serait donc liée à cette inadéquation plutôt qu’à la situation elle-même.

Du discours et de la pratique

Tel qu’indiqué dans le tableau, les femmes interrogées sont presque unanimes par rapport à l’importance de l’expérience de la maternité et de la présence auprès des enfants. Mais elles sont aussi très nombreuses à valoriser l’existence d’une vie professionnelle. Les chercheures constatent une « distance qui sépare souvent leurs discours et aspiration de leur pratique ».

Une insatisfaction qui se conjugue

Le fait d’être insatisfaite de sa situation d’emploi est donc un facteur de risque de dépression important pour les femmes qui viennent de mettre un enfant au monde. C’est encore plus vrai pour les femmes au foyer, dans la mesure où ce n’est pas leur choix. Lorsque cette insatisfaction est conjuguée à de mauvaises conditions de vie (pauvreté, réseau de soutien inexistant), elle se transforme en un cocktail dangereux pour la santé mentale des femmes.

La création des centres à la petite enfance (CPE), il y a plus de vingt ans, a facilité l’accès des mères au marché du travail. Mais il est clair, d’après les données de cette étude, que les nouvelles mamans bénéficieraient d’autres mesures favorisant leurs santé et qualité de vie. De plus en plus de jeunes familles revendiquent aujourd’hui une politique familiale prenant en compte, non seulement l’intégration des femmes au marché de l’emploi, mais le bien-être lui-même des femmes et des familles, qui passe par un véritable équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle.