À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Sandra Lehalle et Mélissa Beaulieu, « Le  »rôle » de mères de détenus : une maternité confrontée aux contraintes carcérales et aux attaques sociales », publié en 2019, dans Criminologie, vol. 52, n° 1, p. 135-156.

  • Faits saillants

  • Les mères d’adultes détenus s’inquiètent constamment pour le bien-être mental et physique de leur enfant, mais aussi pour son avenir et les défis qu’il traversera à sa sortie de prison.
  • Présence aux audiences, appui financier, visites, appels téléphoniques : le soutien que reçoivent les adultes incarcérés de leur mère peut prendre diverses formes. Souvent, elles se rendent disponibles jour et nuit pour répondre à leurs besoins, au détriment de leur propre bien-être.
  • En plus de se rejeter la faute sur elles-mêmes, les mères d’adultes incarcérés font souvent face au jugement de leur entourage.

« Ce qui est vraiment dur au début — et je l’ai souvent entendu répété par d’autres parents — c’est que pendant quatre ans, je n’ai pas pu serrer mon fils dans mes bras », raconte Diane. Depuis l’incarcération de son fils, elle ne peut lui manifester son soutien autant qu’elle le voudrait ou le visiter de manière spontanée. Elle se fait un sang d’encre pour lui : mange-t-il assez ? Est-il en sécurité ? Comme Diane, plusieurs mères d’adultes détenus tentent tant bien que mal d’être présentes pour leur enfant, mais font face aux contraintes du milieu correctionnel et, parfois, au jugement de leurs proches.

Sandra Lehalle, professeure en criminologie, et Mélissa Beaulieu, candidate à la maîtrise en criminologie à l’Université d’Ottawa, donnent la parole à seize proches de personnes incarcérées, dont neuf mères, afin de comprendre les répercussions de l’incarcération sur leur vie. Les chercheuses se penchent spécifiquement sur le vécu des mères. Avoir un enfant détenu : comment cette situation affecte-t-elle leur expérience de la maternité ? L’étude s’articule autour de trois thématiques : le rôle de mère de détenu, le jugement auquel elles se heurtent et les difficultés liées au milieu correctionnel.

Se ronger les sangs : une nouvelle habitude de vie

Une fois passé le choc , les mères réalisent rapidement l’ampleur des privations imposées en prison. Le bien-être de leur enfant devient alors une préoccupation constante : reçoit-il les soins nécessaires ? A-t-il des idées noires ? Elles craignent avant tout pour sa santé mentale et physique.

« Il y a aussi, comme, une terrible, une terrible peur. Une peur incroyable. […] J’ai fait beaucoup de cauchemars dans lesquels il était mort et que je le regardais se faire tuer encore et encore. Parce que je n’ai vraiment aucune illusion : il n’est pas en sécurité. »

– Inès, participante

À cela s’ajoutent des inquiétudes quant à son avenir et aux obstacles qui ne manqueront pas de se dresser une fois qu’il sera libre. Créer une entreprise pour lui offrir un emploi à sa sortie, retarder le moment de la retraite, lui prévoir un hébergement : ce ne sont pas les espoirs chéris par ces adultes dans leur cellule, mais bien les stratégies mises en place par les mères pour faciliter leur futur.

« Je ressens le besoin d’économiser, d’économiser, d’économiser, d’économiser. Que je travaille encore et que mon mari travaille encore, ainsi quand nous mourrons, ça ira ! Nous allons laisser assez d’argent. »

– Érika

Maintenir le lien, coûte que coûte !

Frais juridiques et liés à l’éducation en détention, dépôts d’argent au compte de leur enfant… pour les mères d’enfants incarcérés, la facture est salée ! Le simple fait de garder contact s’avère coûteux : les factures téléphoniques mensuelles des participantes oscillent entre 350 et 800 $, sans compter les coûts relatifs aux visites dans les établissements souvent éloignés.

« Nous avons déclaré faillite il y a quelques années… Ce n’est pas ce que j’avais planifié… Je pense que pour tout le monde, c’est une marche arrière financièrement… parce que ça coûte cher d’avoir un enfant en prison. »

– Kim, participante

Les procédures carcérales freinent également les contacts mères-enfants. Face à des impératifs sécuritaires qui leur semblent disproportionnés et injustifiés (ex. : fouilles intrusives, impossibilité de serrer son enfant dans ses bras, etc.), les mères ont de la misère à ne pas se laisser submerger par l’impuissance. Elles ne peuvent pas manifester leur soutien comme elles le voudraient, et doivent donc faire le deuil de l’implication qu’elles espéraient conserver pendant l’incarcération.

Être là, jour et nuit

Face à ces contraintes qui limitent les possibilités d’interagir avec leur enfant, les mères exploitent au maximum les moyens de contact autorisés (ex. : lettres, appels téléphoniques). Présence aux audiences, appui financier, visites : leur soutien peut aussi prendre d’autres formes. Certaines participantes mettent littéralement leur vie entre parenthèses pour se dédier entièrement à leur enfant.

« Parfois il téléphone et a juste besoin de ventiler. Et devinez quoi ? Je suis le sac de boxe. Et il va se fâcher et il sera frustré et il hurlerait et des choses comme ça… Mais l’appel téléphonique est leur seul lien vers l’extérieur et je sais que je suis la seule qui peut le calmer. »

– Kim, participante

Concrètement, leurs besoins passent au second plan, parfois au détriment de leur bien-être, de leur vie sociale ou de leur carrière.

« Un mauvais jour pour mon fils, c’est six appels, c’est deux heures de ma journée. Les jours ne sont pas si longs. […] Et les ambitions de ce que je pensais que je pourrais faire de ma vie ; j’ai, en quelque sorte, mis cela en veilleuse. »

– Kim, participante

L’impression de ne jamais être « assez bonne »

Les mères, partiellement responsables des mauvais comportements de leur enfant ? Cette idée reçue, quoique dépassée, hante pourtant plusieurs d’entre elles. Résultat ? Elles se sentent coupables au point de remettre en question leurs aptitudes. Cette culpabilisation prend de multiples facettes : sentiments d’inadéquation, de colère envers elles-mêmes, voire de responsabilité envers le délit commis.

« Vous vous blâmez. Je ne peux pas dire à quel point en tant que mère, vous vous blâmez. Vous regardez en arrière sur chaque expérience qu’ils ont eue comme enfants.  »Comment ai-je géré cela ? Étais-je trop dure ? N’étais-je pas assez dure ? Est-ce que je leur ai donné assez de temps et d’amour ?’‘ »

– Érika, participante

Un jugement aux multiples visages

Qu’en est-il de leurs proches ? S’ils sont généralement disposés à leur offrir de l’aide matérielle ou du soutien émotionnel, il arrive aussi qu’ils émettent des remarques et des conseils définitivement non sollicités.

« J’ai un ami qui m’a dit :  »Eh bien, tu devrais juste lui tourner le dos. » Quelqu’un m’a dit :  »Jette l’éponge si tu veux minimiser tes pertes. Tu as deux autres enfants.’‘ »

– Kim, participante

Un jugement sévère qui trouve aussi un écho du côté du personnel carcéral, enclin à traiter ces mères aussi durement que si elles étaient elles-mêmes des criminelles !

« Vous avez l’impression d’être traitée comme si vous étiez une criminelle. Ils vous regardent avec des regards désapprobateurs. Ils vous parlent rudement. […] La majorité d’entre eux sont vraiment mal aimables. »

– Gina, participante

Pas étonnant alors qu’elles transposent cette crainte du jugement dans les milieux sociaux qu’elles fréquentent au quotidien (ex. : travail, voisinage, communauté religieuse, etc.). Plusieurs évitent donc de divulguer l’incarcération de leur enfant pour échapper aux regards lourds de sens…

Les groupes de soutien : un espace sécuritaire

Trop souvent incomprises ou critiquées, certaines participantes choisissent de fréquenter des groupes de soutien. Pour elles, ce sont de vrais espaces sécuritaires dans lesquels elles peuvent ventiler et échanger avec d’autres membres de familles de détenus.

« Il n’y a pas de jugement ici. Nous sommes toutes dans le même bateau. Nous n’avons pas à continuer à porter le faux masque de  »Je vais bien ». Nous pouvons vivre notre souffrance et la gérer ensemble. »

– Fanny, participante

Ces rencontres en personne sont non seulement l’occasion de partager leurs émotions, mais aussi de donner un sens à leur expérience en épaulant d’autres mères.

« La faute de sa mère » : pour en finir avec les préjugés

Dire qu’avoir un enfant en prison a un lourd impact sur la vie des mères est un euphémisme pour ces femmes qui doivent faire de nombreux sacrifices sur les plans social, professionnel et économique. À la fois blâmées pour le comportement de leur enfant et pour leur choix de le soutenir, elles subissent de vives critiques, tant pour leur maternité passée que présente.

Face à ces résultats, les auteures invitent à « rompre avec les préjugés persistants quant aux mauvaises mères d’adultes délinquants ». Comment ? Notamment en véhiculant dans les médias un discours qui va à l’encontre des idées préconçues sur les mères d’adultes incarcérés, et en offrant une formation appropriée au personnel correctionnel. Autant de pistes qui pourraient permettre de briser les obstacles auxquels se heurtent ces femmes et de respecter leurs choix… envers et contre tous.