À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Martine Guénette et Isabelle Chouinard, « Le déplacement en contexte de protection de l’enfance : Quels savoirs pratiques à l’œuvre chez les familles d’accueil québécoises ? » publiée en 2020 dans la revue Trabalho (En)Cena vol. 5, no 2.

  • Faits saillants

  • Les familles d’accueil développent un savoir-faire spécialisé, en lien avec les réalités et les émotions qu’elles développent lorsqu’elles accueillent des enfants.
  • Tout au long de leur cheminement, les familles d’accueil développent trois types de savoirs : lié à l’expérience, à l’action et le savoir théorique.
  • L’apport des familles d’accueil peine à être reconnu, autant dans la sphère sociale que politique.
  • Le manque de reconnaissance de l’expertise des familles d’accueil peut compliquer le déplacement d’un enfant, en plus de contribuer au problème de rétention de ces familles.

Dominique et Alex, famille d’accueil depuis six ans, parlent fièrement de leur expertise dans le domaine de la protection de la jeunesse, développée au fil des années. Dominique n’oublie jamais toutes ces petites choses qui font la différence, comme la peluche préférée dans le sac à dos, alors qu’Alex privilégie la transparence et le maintien du contact avec les parents biologiques. Ces réflexes représentent un savoir particulier qui peut être très précieux, notamment dans des moments plus difficiles. On peut penser à des moments critiques tels qu’un déplacement d’une famille d’accueil à une autre. Toutefois, le savoir des familles d’accueil n’est pas toujours reconnu, autant professionnellement que socialement. 

Martine Guénette et Isabelle Chouinard, deux professeures en travail social de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, veulent mettre en lumière le rôle des familles d’accueil dans le contexte d’un déplacement. Pour ce faire, elles rencontrent huit familles d’accueil, avec 19 ans d‘expérience en moyenne. Leurs constats? Le travail des familles d’accueil les amène à développer trois types de savoirs : le savoir théorique, le savoir d’action et le savoir d’expérience. 

Reconnaître le rôle de la famille d’accueil en période de bouleversement

Aussi valorisant que méconnu, le rôle des familles d’accueil est pourtant un savant mélange entre enseignement, soins et attachement. Si leur implication vise à veiller au bien-être de l’enfant et à permettre son retour dans sa famille biologique, leur investissement émotionnel est si fort qu’elles peuvent développer des relations très profondes avec les jeunes qu’elles accueillent. Sans remplacer les parents biologiques, ces familles font définitivement partie de leur vie.  

Le départ des jeunes peut être un véritable bouleversement pour elles, augmentant leurs niveaux de stress et créant même un sentiment de deuil. Conséquences désolantes? Elles peuvent même se blâmer ou se remettre en question sur leurs capacités. De leur côté, les enfants peuvent se sentir abandonnés, développer de la méfiance envers les adultes et présenter des difficultés dans le maintien de relations sociales saines. 

Malheureusement, la protection de la jeunesse ne discerne pas toujours les émotions négatives vécues par les familles d’accueil. Pourtant, selon les chercheuses, cette distinction pourrait faire une grande différence pour elles et les jeunes en facilitant les déplacements, ainsi qu’en contribuant à la visibilité de la valeur professionnelle de leur travail.  

Des savoirs riches, variés, mais inexploités

Les familles d’accueil : de véritables expertes! En effet, la pratique de leur profession les amène à développer trois types de savoirs pratiques propres à leur vocation : les savoirs d’expérience, d’action et théoriques. 

Leur savoir d’expérience amène la famille à réagir adéquatement à une situation, grâce aux réactions et émotions qu’elles ont pu déjà vivre dans un contexte similaire. Par exemple, dans un cas de déplacement, la plupart préconisent une bonne collaboration avec les parents biologiques. Résultat? Le déplacement est très bien vécu et laisse la possibilité de voir se développer des relations cordiales avec la nouvelle famille d’accueil ou la famille biologique. Ce savoir est également un bon moyen de réfléchir à deux fois avant de publier sa situation sur les réseaux sociaux : faire preuve de retenue permet notamment d’éviter les plaintes venant des parents biologiques.

La façon dont la famille d’accueil planifie le déplacement avant, pendant et après est appelée le savoir d’action. En amont, il implique souvent une bonne connaissance du comportement des parents biologiques (fréquence des visites, capacité à travailler sur ses problèmes, etc.). Le jour J, la famille soutient l’enfant, le rassure sur la possibilité de rester en contact et peut même lui offrir un souvenir, comme une peluche ou une photo. Après le déplacement, et si le contact est autorisé, elle peut continuer de prendre de ses nouvelles.

Les connaissances utilisées par les familles d’accueil dans le contexte de la protection de la jeunesse représentent le savoir théorique. On peut penser à ce qu’on lit dans les livres, aux connaissances documentées et vérifiées, ou encore aux pratiques et conseils d’experts. Grâce à ce savoir, la famille est en mesure d’utiliser les bons mots et la bonne attitude pour préparer l’enfant au déplacement, en plus de le soutenir émotionnellement selon ses besoins particuliers.

En dépit du rôle médiateur et éducatif qu’elles exercent, une grande incompréhension demeure chez les familles d’accueil, pouvant même dériver en une profonde frustration et détresse. Autre dommage collatéral de ce manque de communication et de valorisation ? Une remise en question de leur fonction et de leur capacité à vivre un nouveau déplacement, qui pourrait expliquer l’important problème de rétention des familles d’accueil dans la province.

Des savoirs à diffuser et à encourager

Tous les jours, plusieurs familles d’accueil québécoises comme celle de Dominique et Alex démontrent leurs savoirs spécialisés auprès d’enfants accueillis. Malheureusement, il demeure un manque de reconnaissance des enjeux particuliers aux familles d’accueil de la part des services de protection de la jeunesse et de la société en général. Que ce soit par manque de temps ou de moyens, leurs contributions dans les cas de déplacement sont rarement prises en compte, entraînant fatigue et lassitude pour ces familles, méfiance, sentiment d’abandon et difficultés relationnelles pour les enfants. 

Malgré le fait qu’elle ne soit pas exploitée à son plein potentiel, l’expertise des familles d’accueil peut servir à l’encadrement des jeunes. Une meilleure collaboration entre la protection de la jeunesse et les familles d’accueil, notamment en permettant à ces dernières de partager leurs expériences et leurs vécus, serait sans doute à encourager. La clé pour y parvenir? Une communication facilitée et une visibilité méritée pour leur travail si particulier. Les ressources offertes par des organismes comme la Fédération des familles d’accueil et ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ) œuvrent d’ailleurs en ce sens en défendant les intérêts et les droits des familles d’accueil ainsi qu’en les soutenant dans leur travail et dans l’avancement de leurs conditions de travail.