À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Madeline Lamboley, Estibaliz Jimenez, Marie-Marthe Cousineau et Maud Pintel : « L’approche intersectionnelle pour mieux comprendre le mariage forcé de femmes immigrantes à Montréal », publiée en 2014 dans Nouvelles pratiques sociales, vol. 26, n° 2, p. 127-141.

  • Faits saillants

  • Les femmes immigrantes mariées de force (ou menacées de l’être) sont extrêmement vulnérables. Elles sont souvent peu scolarisées et soumises à leur famille.
  • Une dynamique familiale caractérisée par la domination du père peut constituer un indice permettant d’entrevoir un risque de mariage forcé.
  • Il est important que les services d’aide tiennent compte de la multiplicité des expériences vécues par ces femmes et du contexte multiculturel dans lequel elles évoluent.

Au Québec, le mariage forcé de femmes immigrantes est de plus en plus préoccupant. Malheureusement, il s’agit d’un phénomène très difficile à étudier, parce qu’il reste confiné à la sphère familiale. Le mariage forcé désigne la situation d’une personne (souvent une jeune femme) qui est mariée contre sa volonté. Il prend place dans un environnement abusif et peut avoir des conséquences dramatiques.

Cette étude a pour objectif de relever des indices permettant d’entrevoir un risque de mariage forcé ou de danger lié au mariage forcé (exploitation, violence) chez les femmes immigrantes du Québec. Le fait de distinguer ces indices pourrait faciliter la création de services d’aide adaptés à leur situation.

Les chercheures ont interrogé 11 femmes de 18 à 50 ans, provenant de 7 pays, qui avaient immigré au Québec et étaient mariées de force, l’avaient été ou étaient menacées de l’être. Les chercheures ont aussi mené 17 entrevues auprès d’intervenants issus de différents milieux (universitaire, policier, judiciaire, social et communautaire).

Des femmes particulièrement vulnérables

Les chercheures prennent en considération les différentes formes de vulnérabilité dont peuvent souffrir les femmes immigrantes mariées de force ou menacées de l’être. Elles évitent ainsi d’envisager le mariage forcé comme une expérience unique, vécue de la même manière par toutes les femmes, et le voient plutôt comme un problème aux dimensions multiples.

Elles se fondent sur plusieurs recherches pour montrer comment certains éléments s’articulent de manière à rendre ces femmes particulièrement vulnérables. En effet, les victimes de mariage forcé sont généralement mariées très jeunes à des hommes beaucoup plus vieux qu’elles et sont, par conséquent, peu scolarisées et facilement manipulables. Elles sont aussi, pour la plupart, originaires de pays où le respect des traditions et de la hiérarchie familiale est très important : leur famille peut garder un contrôle serré sur leur vie sociale. Et lorsqu’elles sont immigrantes, elles se trouvent, par surcroît, confrontées à une culture différente de la leur et n’ont parfois personne sur qui compter.

Famille abusive et violence psychologique

Chez les femmes interrogées, les chercheures remarquent d’autres éléments qui s’ajoutent à ceux déjà énumérés et qui augmentent encore davantage leur vulnérabilité. Par exemple, ces femmes s’inscrivent souvent dans une dynamique familiale caractérisée par la domination du père. De plus, celles qui s’opposent à leur mariage, ou n’agissent pas conformément aux attentes de leur famille ou de leur communauté, risquent d’être victimes de violence psychologique. Elles peuvent être menacées de déportation vers leur pays d’origine, notamment, ou de séquestration. Enfin, des sentiments de honte, de culpabilité et de crainte reviennent fréquemment chez elles.

Un lien de confiance solide

Les chercheures soulignent qu’à l’heure actuelle, au Québec, il n’existe pas véritablement de service d’aide adapté aux femmes immigrantes mariées de force ou menacées de l’être. Si de tels services étaient mis en place, il serait important qu’ils tiennent compte de la multiplicité des expériences vécues par les femmes et du contexte multiculturel dans lequel elles évoluent. Selon les chercheures, il serait même nécessaire que les intervenants suivent une formation particulière pour confronter leurs préjugés et être sensibles aux valeurs de ces femmes.

Les femmes qui échappent au mariage forcé ou tentent de le faire s’exposent à de graves dangers. Qui plus est, leur culture s’oppose, en règle générale, à ce qu’elles révèlent leurs problèmes personnels à une personne qui n’appartient pas à la famille. Il est donc crucial que les intervenants parviennent à tisser un lien de confiance solide avec elles.