À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’essai de Muriel Mille et Hélène Zimmermann, « Des avocats et des parents. Demandes profanes et conseils juridiques pour la prise en charge des enfants au Québec », publié en 2017, dans Droit et Société, n°95.

  • Faits saillants

  • Lors d’une séparation de couple, dans les milieux défavorisés, la garde des enfants est généralement confiée aux mères. Dans les milieux plus aisés, les pères séparés demandent plus souvent la garde partagée.
  • Dans l’intérêt des enfants, les avocats souhaitent favoriser la coopération entre les ex-conjoints. On conseille souvent aux mères d’accepter la volonté du père au sujet de la garde, quel que soit son degré d’engagement auprès des enfants.
  • Les critères pour déterminer si un parent est apte à s’occuper de son enfant varient selon le genre. S’il y a conflit pour la garde, on ne demandera pas de prouver les mêmes choses à la mère ou au père.

Les parents de la petite Cynthia se séparent. Dorénavant, sa maman l’élèvera seule. C’est une situation courante : dans presque la moitié de cas de rupture, un seul des parents demande la garde, très souvent la mère. Les avocats qui travaillent auprès de couples en rupture essaient d’orienter leurs conseils et leurs décisions pour assurer le « meilleur intérêt de l’enfant » (MIE). Au nom du MIE, ils ont tendance à favoriser la coopération entre les parents séparés, ce qu’ils appellent « coparentalité ».

Dans les dernières années, la garde partagée est devenue un modèle de plus en plus populaire. Cependant, cette évolution concerne principalement les pères les plus aisés. Dans les milieux défavorisés, la garde reste quasi exclusivement la responsabilité de la mère. Selon à qui les avocats s’adressent, homme ou femme, riche ou pauvre, il semble que les conseils juridiques qu’ils prodiguent ne soient pas les mêmes pour tous!

Les chercheures ont observé l’attitude des avocats face aux pères et aux mères, en distinguant les classes moyennes et aisées des classes populaires précarisées[1].

Vingt-trois avocats et avocates ont participé à des entrevues et douze d’entre eux ont permis aux chercheures d’assister aux rendez-vous avec leurs clients. Trente-huit de ces rendez-vous ont eu lieu au sein des bureaux d’aide juridique, service public fourni par des professionnels salariés, ou des avocats volontaires issus du privé. Les autres avaient lieu dans des cabinets privés, fréquentés par une clientèle plus aisée.

On ne peut pas forcer un parent

Dans la grande majorité des cas observés, les mères issues de milieux populaires prennent l’initiative de demander la garde. Les avocats traitent ces nombreux rendez-vous comme du travail de routine et y consacrent peu de temps, soit moins de 20 minutes en moyenne.

Pour éviter d’envenimer la situation, ils découragent parfois leurs clientes d’insister pour que l’ex-conjoint soit plus engagé auprès des enfants. Ainsi, Marion Alfano, avocate à l’aide juridique, déconseille à une mère de demander la garde partagée :

« C’est plus facile de saisir son argent. C’est plus difficile de le condamner à voir ses enfants. […] Un juge ne va pas forcer un parent à s’occuper de ses enfants. Juridiquement, on peut pas forcer un parent. »

La rencontre se solde souvent par l’envoi d’une lettre type aux administrations compétentes, pour actualiser la demande d’aide sociale. Le document rédigé par les avocats est généralement considéré suffisant pour boucler le dossier et confirmer, par défaut, la garde à la mère. De fait, les mères les plus précaires sont souvent incitées à se débrouiller seules avec leurs enfants.

« Calmez-vous le pompon un petit peu! »

Dans les milieux plus aisés, les clientes sont également invitées par leurs avocats à être « raisonnables » et à ne pas « faire de chicanes » mais, cette fois, pour la raison inverse : ne pas empêcher le père de s’investir auprès des enfants! On leur conseille de ne pas demander de pension alimentaire excessive et de ne pas se montrer « possessives » envers leurs enfants.

Isabelle Hébert, avocate ayant une clientèle principalement aisée, raconte :

« Surtout quand les enfants sont plus jeunes, la mère peut arriver puis dire : “Il est allé chez McDo en fin de semaine !” Puis là, tu fais : “Calmez-vous le pompon un petit peu, il faut que tu le laisses vivre quand il a les enfants. À moins qu’ils soient en danger”. »

Prouver qu’on est un bon père

Lorsque le père demande la garde partagée, il doit prouver ses « capacités parentales » en montrant qu’il est disponible pour ses enfants. Leurs contraintes professionnelles ne doivent pas les empêcher d’organiser les repas, d’aller chercher leurs enfants à l’école, de participer à leurs activités ou de les aider avec leurs devoirs. On peut également leur demander de témoigner de leurs bonnes relations avec leurs enfants en montrant des photos, des messages, du courrier, etc. D’après les auteures, les avocats vont plus facilement remettre en question ces « capacités » chez les pères que chez les mères. L’objectif de « coparentalité » s’adresserait donc différemment selon le genre. En théorie, les experts tentent de favoriser la coopération, mais en pratique, les parents doivent répondre à des attentes différentes.

Le rôle du pourvoyeur

Aux yeux de plusieurs avocats, l’engagement « réel » des pères passe avant tout par une contribution financière destinée aux soins des enfants. Le statut de « pourvoyeur » semble occuper une place clé dans la définition du « bon père ».

Au Québec, pour calculer le montant des pensions alimentaires, on prend en compte le temps de garde des deux parents et leurs revenus respectifs. Toute augmentation du temps de garde, par des droits de visite élargis ou la garde partagée, diminue automatiquement le montant de la pension à verser au parent gardien.

Plusieurs avocats rencontrés par les chercheures ont évoqué des doutes quant aux motivations réelles de certains pères demandant la garde partagée. D’après eux, certains sont plus intéressés à faire des économies sur la pension alimentaire qu’à s’occuper de leurs enfants.

C’est ce que dit Hélène Marié, avocate spécialisée en droit familial :

« Quand [les pères] sont informés que les modalités de la garde ont une incidence sur le calcul de pension, c’est drôle comme ils veulent les enfants un peu plus souvent! »

Les mères « font avec »

Les attentes des experts envers les mères varient donc selon l’origine sociale de ces dernières. Celles qui se trouvent dans les situations les plus précaires ne sont pas encouragées à définir un partage plus égalitaire des tâches parentales. Quant aux femmes issues des classes moyennes et aisées, on leur demande, au contraire, de laisser plus de place aux pères. Dans tous les cas, elles doivent faire des compromis, pour éviter les disputes et favoriser la « coparentalité ».

D’après les chercheures, mêmes si les avocats prennent en compte l’évolution des modèles de garde et l’engagement croissant des pères, ils conservent une vision plutôt traditionnelle du « bon père » et de la « bonne mère ».

Pour favoriser la coopération et l’intérêt de l’enfant, il est nécessaire de comprendre les façons dont on détermine ce que sont de « bons parents », aux yeux de la justice. Cette étude montre que les attentes envers les parents changent selon leur genre et leur origine sociale.

À quel point les différences de traitement entre les hommes et les femmes, ou les pauvres et les riches peuvent-ils influencer l’évolution de la famille en général? Favoriser aveuglément la coparentalité et éviter les disputes à tout prix peut finalement participer à reproduire les inégalités de genre ou de classe, ce qui n’est pas nécessairement la meilleure façon d’assurer le meilleur intérêt de l’enfant!

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[1] Les auteures distinguent les « classes populaires précarisées » et  les « classes populaires stabilisées » en fonction de la stabilité économique des personnes. La première catégorie est constituée par des individus alternant emplois précaires et périodes de chômage, ou dont les revenus sont exclusivement issus des aides sociales. La seconde catégorie renvoie à ceux qui bénéficient d’un emploi stable, ce qui, face à l’accès aux services juridiques familiaux, les rapproche plutôt des classes moyennes.