À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Sylvie Lévesque, Catherine Rousseau et Mélusine Dumerchat, « Influence of the Relational Context on Reproductive Coercion and the Associated Consequences », publié en 2021 dans Violence Against Women, vol. 27, n 6-7, p. 828-850.

  • Faits saillants

  • La coercition reproductive prend trois formes : le sabotage contraceptif, les pressions relatives à la grossesse et le contrôle de l’issue de la grossesse.
  • Les femmes en couple subissent généralement une plus grande variété de formes de coercition reproductive, alors que celles en relation « sans attache » rapportent uniquement le retrait non consensuel du condom.
  • Plusieurs victimes de coercition reproductive se sentent coupables de s’être mises dans une situation jugée « à risque ».
  • Les femmes en couple ont plus de difficulté à reconnaître la présence de coercition reproductive que celles qui sont en relation non-engagée.

« Il a enlevé le condom sans mon consentement, sans me demander la permission ni rien. Puis, il a continué comme si de rien n’était », raconte Amélie, 19 ans. Ce qu’elle a vécu porte un nom : la coercition reproductive, c’est-à-dire des comportements visant à contrôler ou forcer les choix contraceptifs et reproductifs de l’autre partenaire. Son cas est loin d’être isolé : près d’une jeune femme sur dix âgée de 16 à 29 ans en est victime. Ce type de violence se manifeste-t-il différemment dans les relations de couples comparativement à celles « sans attache » ? Il semblerait que les femmes en couple subissent un plus large éventail de comportements violents que leurs consœurs.

C’est l’un des constats d’une étude menée par Sylvie Lévesque, Catherine Rousseau et Mélusine Dumerchat de l’Université du Québec à Montréal. Les chercheuses s’entretiennent avec 21 femmes montréalaises âgées de 18 à 29 ans qui ont vécu cette forme de violence dans une relation intime avec un partenaire masculin. L’objectif ? Mieux comprendre ses manifestations selon le type de relation et ses conséquences sur la santé et le bien-être des victimes. 

Au-delà du retrait non consensuel du condom, la coercition reproductive peut prendre plusieurs formes : le sabotage contraceptif, les pressions relatives à la grossesse et la coercition lors de la grossesse.

En couple et à l’abri de la coercition reproductive ? Pas vraiment !

Les femmes en couple sont-elles plus à l’abri de la coercition reproductive que celles en relation non-engagée ? Non, au contraire ! Elles subissent une plus grande variété de formes de coercition reproductive, souvent accompagnées d’autres formes de violence (ex. : psychologique, sexuelle, économique). 

Outre le retrait non consensuel du condom, certaines subissent la pression de tomber enceintes, qui se traduit par du chantage émotif, des remarques fréquentes sur le fait d’avoir un enfant, ou encore le suivi de la période d’ovulation par leur partenaire. 

« C’était beaucoup de t’sais, « si tu m’aimais vraiment, tu voudrais un enfant. » » (Une participante)

« Une fois, il a acheté un test de grossesse puis il l’a comme trempé dans la toilette après que je sois allée aux toilettes. » (Une participante)

À l’inverse, d’autres femmes qui sont tombées enceintes de manière inattendue ont reçu des menaces de rupture si elles refusaient de recourir à l’avortement.

Retrait non consensuel du condom : le plaisir pour lui, la charge mentale pour elle 

Du côté des femmes ayant des relations « sans attache », elles rapportent uniquement le retrait non consensuel du condom. Dans tous les cas, malgré une discussion préalable, leur partenaire a mis un condom au début de la relation sexuelle, puis l’a retiré sans préavis. Les participantes concernées ont l’impression que leur partenaire n’a pensé qu’à son propre plaisir sexuel, en balayant du revers de la main les conséquences sur leur santé sexuelle et reproductive (ex. : grossesse non désirée, ITSS). Au-delà de la charge mentale, la prise d’un contraceptif d’urgence entraîne une perte de temps, d’énergie et d’argent. 

« Quand j’me suis rendu compte que c’était moi qui étais coincée à aller à la pharmacie pis que c’était lui justement qui avait eu du plaisir aussi dans ce rapport sexuel là […]. C’était le fait que… son plaisir comptait plus à ce moment-là que moi, ma journée, le lendemain qui n’allait pas être le fun t’sais. » (Une participante) 

Quand la culpabilité prend le dessus

« Pourquoi je n’ai pas essayé de l’arrêter ? Pourquoi je me suis mise dans une telle situation ? » Voilà des questions qui hantent plusieurs victimes, qui se sentent souvent responsables de ce qu’elles ont vécu. Stress, anxiété, état de choc, cauchemars, impression d’être traitée comme un objet : les conséquences psychologiques sont multiples.

« Je me suis sentie comme vraiment juste un objet sexuel puisqu’il ne m’a trop pas avertie, trop pas demandé. Il aurait pu me le demander avant […]. Mais là, pendant la relation sexuelle, il l’a juste enlevé. Pour moi, c’est vraiment dénigrant comme geste. » (Une participante)

Celles en relation « sans attache » dont le partenaire a retiré le condom se sentent coupables de s’être mises dans une situation « à risque », ou encore de ne pas avoir vérifié que le condom était bien mis.  

« La première affaire que je me suis dite c’était, bon t’sais, « comme c’est à toi de ne pas t’être rendue là, pis c’est à toi de pas avoir des comportements à risque de même » […], je me suis dit à moi « bon, t’sais, ça t’apprendra à pas agir de même ». » (Une participante)

Ce qui différencie les femmes en couple ? Elles ont plus de difficulté à reconnaître la présence de coercition reproductive, puisque les sentiments amoureux les empêchent d’identifier les gestes comme étant de la violence. 

Des impacts sur la vie sexuelle qui perdurent

À ces conséquences psychologiques s’ajoutent des effets sur la vie sexuelle et reproductive, comme la crainte de tomber enceinte ou de contracter une ITSS. 

« J’ai commencé à ressentir un genre de détresse un peu psychologique par rapport à ma santé […]. Et cette détresse n’est pas partie encore aujourd’hui, parce que ça fait un mois et demi, et le VIH et d’autres maladies comme ça, ça peut prendre jusqu’à deux mois, deux mois et demi avant de se déclarer. Fait que là, je fais des tests chaque mois et je ne sais pas si je suis malade, t’sais. » (Une participante)

Certaines femmes ressentent une baisse de désir ou de plaisir sexuel, voire une méfiance vis-à-vis des hommes. D’autres, en couple au moment de l’évènement, se désintéressent de leur partenaire.  

« Ça a tué l’érotisme entre nous deux de A à Z, ça oui […]. En fait, j’avais un dégoût pour cette personne-là. Lui pis moi, on avait une attirance l’un envers l’autre, pis ça l’a comme enlevé tout ça en fait. Ça l’a dé-érotisé de ma tête. » (Une participante)

Tableau 1. Les conséquences rapportées selon le type de coercition reproductive vécu (Source : Lévesque et al., 2021)

Reconnaître son statut de victime

La coercition reproductive sort peu à peu de l’ombre, mais demeure méconnue malgré ses conséquences sur la santé et le bien-être des femmes qui en sont victimes. Les chercheuses soulignent non seulement l’importance de les conscientiser, mais aussi de sensibiliser les hommes à la notion de consentement, puisque ceux-ci n’ont pas toujours conscience de la gravité de leurs gestes. 

Comme la coercition reproductive augmente les risques de vivre une grossesse non planifiée et de contracter une ITSS, il serait pertinent que le personnel médical et les intervenants soient davantage renseignés sur le sujet et aient des ressources à leur disposition pour pouvoir mieux aider les victimes. Pour leur faciliter la tâche, les autrices ont mis sur pied un guide d’intervention à leur intention comprenant des stratégies pour mieux dépister la coercition reproductive et intervenir de manière adaptée.