À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Richard Ouedraogo, « Saisir les enjeux de la maternité de substitution sous le prisme de la théorie générale du contrat : quelles perspectives en France et au Québec ? », publié en 2017, dans Droit et cultures, vol. 73, n° 1, p. 91-109.

  • Faits saillants

  • Au Québec, il n’est pas interdit de faire appel à une mère porteuse, mais ce type d’entente n’a aucune valeur devant les tribunaux. Du côté de la France, cette pratique est condamnée par la loi.
  • Des deux côtés de l’Atlantique, il est interdit de rémunérer une mère porteuse. La loi permet cependant aux futurs parents québécois de rembourser certaines dépenses liées à la grossesse.
  • En France, un enfant né d’une mère porteuse ne peut être adopté par les parents demandeurs, aussi appelés « parents d’intention ». Les juges québécois sont plus souples et permettent, dans certains cas, l’adoption par les parents d’intention, notamment s’ils jugent que celle-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Dans la salle d’accouchement, Laurence et Antoine attendent avec impatience que Lucas se pointe le bout du nez. Le couple est submergé par un tourbillon d’émotions lorsque Jeanne, leur mère porteuse, leur tend le nouveau-né. Elle n’a pas été rémunérée pour ses neuf mois de grossesse. Elle l’a fait de bon cœur, tout simplement.

Au Québec, bien qu’avoir recours à une mère porteuse soit légal, la rémunérer constitue un acte criminel. Entre liberté et dignité, respect et droit, échange commercial et don de soi, la maternité de substitution suscite de nombreuses controverses.

Les juges québécois traitent-ils les ententes entre mères porteuses et parents d’intention de la même manière que leurs cousins français? Pas du tout! Cette pratique est tolérée au Québec, mais illégale en France. C’est ce qu’explique Richard Ouedraogo, spécialiste en droit privé et en sciences criminelles. En faisant une revue de littérature, il se penche sur le traitement judiciaire de la maternité de substitution des deux côtés de l’Atlantique afin de mettre en lumière les différences qui existent entre les deux régions.

Le Québec plus souple que la France

Au Québec, les juges permettent, dans certains cas, l’adoption d’un enfant né d’une mère porteuse par les parents demandeurs, aussi appelés « parents d’intention ». Par exemple, si la mère porteuse participe de bonne foi au projet parental, et ce, sans être rémunérée, les juges peuvent prononcer l’adoption.

« Il ne s’agit pas tant de « sanctionner » les contractants fraudeurs que sont les parents que de « rechercher le meilleur intérêt de l’enfant », en prononçant ou non l’adoption de celui-ci au profit du couple commanditaire. »

En fait, si rien ne peut être reproché aux parents d’intention et si toutes les parties s’entendent, l’enfant pourra être adopté. Autrement dit, c’est l’intérêt de l’enfant qui prévaut aux yeux des juges québécois, et non les circonstances de sa naissance.

Les juges français sont plus stricts que leurs homologues québécois, puisqu’un enfant né d’une mère porteuse ne peut pas être adopté par les parents d’intention. Dans tous les cas, la femme qui porte l’enfant et qui lui a donné naissance obtient la filiation maternelle. D’ailleurs, tout contrat avec une mère porteuse est interdit par la loi française : les fautifs risquent une peine d’un an de prison et une amende de 15 000 euros (environ 22 000 dollars canadiens).

Une rémunération qui peut coûter cher

Au Québec et dans l’ensemble du Canada, la loi est claire : rémunérer une mère porteuse est un acte criminel. Les futurs parents déclarés coupables de rétribuer une mère porteuse encourent jusqu’à dix ans de prison et une amende pouvant atteindre un demi-million de dollars!

La loi permet tout de même aux parents d’intention québécois de rembourser à la mère porteuse certaines dépenses liées à la grossesse, comme les déplacements pour les rendez-vous médicaux, les vêtements de maternité ou certains médicaments. Cependant, jusqu’à tout récemment, la nature des dépenses permises était floue, tout comme le montant autorisé[1].

Des ententes tolérées… mais pas reconnues

Contrairement à la France, le Québec ne punit pas les personnes qui ont recours à une mère porteuse, à condition que celle-ci ne soit pas rémunérée. Par contre, les ententes entre mères porteuses et parents d’intention sont « de nullité absolue ». En d’autres mots, elles n’ont aucune valeur légale et ne sont pas reconnues devant les tribunaux en cas de conflit. Tout repose donc sur la confiance entre les deux parties!

Par exemple, une mère porteuse pourrait décider de ne pas remettre le bébé aux parents d’intention, ou encore de ne pas respecter les conditions du contrat qui peuvent être restrictives à son égard (ex. : ne pas manger certains aliments)[2]. De même, rien n’oblige le couple à adopter l’enfant après la naissance.

Mieux encadrer les contrats de mères porteuses?

Les manières de fonder une famille sont beaucoup plus variées qu’autrefois : de plus en plus de couples se tournent vers des techniques de procréation assistée, comme la maternité de substitution. C’est notamment le cas des couples homosexuels ou de ceux aux prises avec des problèmes d’infertilité.

Mieux encadrer le recours aux mères porteuses, notamment en clarifiant les dépenses qui peuvent leur être remboursées, pourrait minimiser les risques encourus par toutes les parties. En 2019, Santé Canada a tracé cette ligne délicate en instaurant un nouveau règlement qui précise la nature des frais pouvant être assumés par les parents d’intention. Bien que certains s’en réjouissent, il a ravivé le débat entourant les mères porteuses. D’un côté, il y a ceux qui prônent l’autonomie des femmes et, de l’autre, ceux qui craignent que cette pratique contribue à la marchandisation de leur corps. En France, rien n’a changé : le recours aux mères porteuses demeure interdit.

Dans le reste du Canada, la maternité de substitution est encadrée plutôt qu’interdite, rappelle l’auteur. En Colombie-Britannique et en Ontario, par exemple, les contrats de mères porteuses sont reconnus devant les tribunaux. Le Québec emboîtera-t-il le pas au reste du Canada? Chose certaine, le débat est loin d’être clos.

 

 

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[1] Conseil du statut de la femme (2016). Mères porteuses: réflexions sur des enjeux actuels, p. 96.

[2] Conseil du statut de la femme (2016). Ibid., p. 104.