À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Sylvie Lévesque, Manon Bergeron, Lorraine Fontaine et Catherine Rousseau, « La violence obstétricale dans les soins de santé : une analyse conceptuelle », publié en 2018 dans la revue Recherches féministes, volume 31, no 1, p. 219-238.

  • Faits saillants

  • La violence obstétricale regroupe toute parole ou geste posés par les équipes soignantes pendant un accouchement sans le consentement éclairé de la femme.
  • L’expérience vécue par chaque mère est unique, ce qui complexifie l’élaboration d’une définition.
  • Les conséquences peuvent être multiples. Les femmes peuvent souffrir de traumatismes physiques, sexuels, moraux ou psychologiques.
  • Le sujet, longtemps resté dans l’ombre, est de plus en plus souvent abordé dans l’espace public.

Karine garde un souvenir amer de son accouchement. Un travail long, éprouvant et difficile pendant lequel les professionnels de la santé ne répondent pas à ses questions et ne considèrent ni son confort ni son avis. Pendant la poussée, le médecin lui dit: « Voyons! Pousses-tu ou tu fais semblant? ». À ses yeux, le manque de respect et de soutien est évident. Dans le domaine de la périnatalité, ce qu’a vécu Karine porte un nom : la violence obstétricale. Quelles formes cette violence peut-elle prendre? Quels peuvent être les impacts pour celles qui la vivent?

Ce sont les questions que se posent Sylvie Lévesque, Manon Bergeron, Lorraine Fontaine et Catherine Rousseau, respectivement professeures au département de sexologie de l’UQAM, coordonnatrice du Regroupement Naissance-Renaissance et diplômée de la maîtrise en sexologie de l’UQAM. Elles ont sélectionné 38 documents publiés entre 1995 et 2015, dont 22 articles publiés dans des revues scientifiques. Tous ont en commun l’usage d’expressions en lien avec de mauvais traitements pendant l’accouchement. À cela s’ajoutent d’autres sources importantes portant sur l’histoire des pratiques médicales, la maternité et l’obstétrique.

Fait avéré, mais reconnaissance compliquée

Difficile d’identifier la violence obstétricale [1]. Comme l’expliquent les auteures, il s’agit d’actes effectués sans le consentement éclairé des femmes au cours de l’accouchement. Pourquoi est-il si difficile de la catégoriser? Possiblement parce qu’il est question d’expériences personnelles, vécues de manière différente selon chacune des mères, leurs cultures et leurs bagages spécifiques.

Devant les difficultés à énoncer une définition claire et précise, l’expression reste peu utilisée dans les milieux de pratique. Or, si l’émergence de ce concept est assez récente, les auteures sont d’avis que le phénomène de violence pendant l’accouchement, lui, est loin de l’être.

L’accouchement, une affaire d’hommes ?

Pour les chercheuses, cette forme de violence n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans un contexte plus large de violences envers les femmes. Le domaine médical a longtemps été l’apanage des hommes. Selon les auteures, cette mainmise s’est parfois accompagnée de sexisme et de discrimination. Des considérations liées à l’ethnicité, l’âge, le statut économique ou une condition médicale particulière des patientes pouvaient même l’exacerber.

Pour comprendre cette mentalité, il faut remonter aussi loin qu’à l’après-guerre. C’est à cette période que l’on assiste au rapatriement des accouchements, du domicile vers les milieux hospitaliers. À l’origine de cette décision? Le taux de mortalité périnatale, encore très important à l’époque. À partir de ce moment, l’accouchement est alors vu comme un acte médical. Cette perception s’accentue dans les années 1970 avec la gratuité des soins de santé, et tend à définir la femme comme « inapte » face au « danger » de l’accouchement. Elle devient alors « la femme qui se fait accoucher ». Les auteures y voient un rapport de pouvoir inégal qui n’est pas sans égratigner le respect des femmes au passage.

À forte intensité, consentement oublié

Si chaque expérience est unique, toutes les femmes qui disent vivre de la violence obstétricale constatent en revanche que leurs droits d’accoucher comme elles le souhaitent sont brimés et leurs choix personnels sont restreints. Le consentement éclairé n’est pas pris en compte. Pour Lévesque et ses collaboratrices, les faits nommés s’apparentent à de la maltraitance, avec un potentiel traumatique non négligeable, comme en témoigne le récit de Karine :

« Cette expérience m’a profondément fâchée et attristée, car j’avais l’impression de n’avoir aucun contrôle sur mon accouchement, de n’être écoutée par personne, en plus d’être dans un environnement qui me semblait négatif. Encore aujourd’hui, j’en garde un très mauvais souvenir et j’hésite à revivre une autre grossesse pour ne pas revivre une expérience similaire. »

La violence obstétricale reste malgré tout peu documentée, surtout du point de vue des équipes médicales. Les notions d’intention et d’interprétation censées expliquer les gestes posés restent floues. L’intensité d’un accouchement peut compliquer la communication entre la femme en travail et les personnes qui l’accompagnent. S’arrêter un instant sur le fonctionnement du système hospitalier, c’est comprendre qu’il peut aussi être lourd pour les soignants. Les failles organisationnelles telles que la surcharge de travail, le manque de matériel ou la formation inappropriée complexifient un travail déjà exigeant. Mais lorsque l’équipe soignante relègue – volontairement ou non – le choix des futures mères au second plan, des défauts ressortent : un manque de communication et des perceptions différentes qui paraissent prioriser le savoir du personnel soignant par rapport à celui des femmes.

Des familles à la société : personne n’en sort indemne

La violence obstétricale peut avoir des conséquences à la fois sur les mères, mais aussi sur leurs familles et leurs relations conjugales. Les auteures soulignent la perte de dignité, la colère, et l’impuissance ressenties : des émotions lourdes et négatives qui viennent renforcer le manque de respect, d’abus, voire de traumatisme déjà présent.

La littérature utilisée montre que la violence obstétricale peut affecter le lien avec les enfants, allant du rejet à la surprotection, ou même porter atteinte au sentiment de compétence parentale. Les couples peuvent aussi voir leurs rapports sexuels en pâtir. Certaines femmes peuvent même éviter de porter plainte par crainte de représailles. Dans certains cas, les répercussions sont à ce point dommageables qu’elles peuvent se solder par un refus de fréquenter les établissements de soins de santé, avec tous les risques que cela entraîne.

Des points de vue qui s’opposent, une définition en évolution

Rien n’est donc tout blanc ou tout noir puisque l’accouchement lui-même repose sur des expériences variées vécues différemment selon chaque femme, mais aussi perçues différemment par ceux qui les accompagnent. Un contexte délicat donc, qui ne fait que complexifier la définition de violence en milieu obstétrical. Le flou dans lequel se trouve le Québec est depuis longtemps dissipé dans certains pays comme le Venezuela, le Mexique et l’Argentine où le concept de violence obstétricale apparait clairement dans des articles de loi.

À la lumière de leur recherche et de leur expérience, les auteures aboutissent à une définition qui, bien qu’elle soit en constante évolution, pourrait servir de référence :

« La violence obstétricale […] englobe des gestes accomplis ou l’exercice de certaines pratiques professionnelles – ou leur omission –, durant l’accouchement, sans l’accord et le consentement éclairé des femmes, ce qui entraîne une négation de leur agentivité reproductive. Cette violence systémique crée et renforce les inégalités de pouvoir qui existent au moment de l’accouchement, et cause de la souffrance et de la détresse chez les femmes. Les manifestations, la reconnaissance, l’impact et l’ampleur de cette violence varient d’une personne à l’autre, d’un contexte à l’autre et d’une culture à l’autre. »

Une campagne de sensibilisation pour amorcer le changement

La collective du 28 mai, qui regroupe plusieurs organismes féministes dont le Regroupement Naissance-Renaissance et la Fédération des Femmes du Québec, a mis en place la plateforme « Stop violences obstétricales et gynécologiques », laquelle recueille des témoignages afin de dénoncer et de mieux répertorier ces violences. La communication entre les patientes, les témoins de ces actes et les différents intervenants reste épineuse. L’objectif est de sensibiliser et conscientiser la population québécoise face à la réalité de ce phénomène selon différents points de vue. Ces expériences partagées par les femmes pourraient représenter une forme de main tendue entre les parties pour amorcer le dialogue et éventuellement trouver des solutions.

Une préoccupation qui fait du chemin

Depuis la parution de cet article en 2018, le sujet a fait grand bruit, surtout suite à la publication d’un dossier thématique dans un grand quotidien québécois. Le Collège des médecins a depuis clarifié sa position, en réprouvant toutes formes de violence et en encourageant les femmes à signaler et dénoncer toutes situations jugées abusives. Abordé dans des revues grand public, le sujet des violences obstétriques semble ainsi sortir de l’ombre pour devenir un enjeu de société important.

[1] La violence obstétricale est une expression qui n’est pas encore entrée dans l’usage commun. Elle tend à recouper plusieurs appellations en lien avec une déshumanisation des soins au cours de l’accouchement, comme « comportements abusifs », « négligence », « mauvais traitements », « manque de respect », etc., mais en y ajoutant la charge émotive de l’expérience des violences systémiques et genrées vécue par les femmes