À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Geneviève Grégoire-Labrecque, Vicky Lafantaisie, Nico Trocmé, Carl Lacharité, Patricia Li, Geneviève Audet, Richard Sullivan et Mónica Ruiz-Casares, « Are We Talking as Professionals or as Parents ? Complementary views on supervisory neglect among professionals working with families in Quebec, Canada », publié en 2020 dans le journal Children and Youth Services Review, volume 118. 

  • Faits saillants

  • La notion de négligence et de supervision de l’enfant varie selon les cultures, ce qui peut parfois déstabiliser les professionnelles et professionnels.
  • Malgré la volonté d’être neutre au travail, l’opinion et les différences interculturelles influencent l’établissement d’un diagnostic de négligence par les intervenantes et intervenants auprès des enfants.
  • Comment éviter le biais culturel dans l’évaluation de la négligence ? En mettant de l’avant des outils de prise de décision - tel que des guides d’entretien et des critères d’évaluation approuvés

Nesrine, 5 ans, grimpe sans surveillance dans l’arbre devant la maison familiale. Pedro, 7 ans, marche seul tous les matins pour se rendre à l’école. Kassandra, 10 ans, surveille sa fratrie pendant que ses parents font l’épicerie. Marc, 12 ans, porte à répétition ses vêtements, même si ces derniers sont tachés. Les manifestations de l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilisation chez certains enfants peuvent parfois être perçues comme des signes de négligence parentale. Comment faire la distinction entre celles-ci? C’est la question à laquelle les professionnelles et professionnels travaillant auprès des enfants sont confrontés chaque jour.  

Une équipe de recherche canadienne multidisciplinaire se penche sur le processus d’évaluation de la négligence par les personnes intervenant auprès des enfants issus de familles d’origines ethnoculturelles diverses. Entre 2016 et 2018, elle rencontre 67 personnes, entre autres des enseignantes et enseignants, des infirmières et infirmiers, des directrices et directeurs d’école, des pédiatres ainsi que des policières et policiers, à Montréal et à Trois-Rivières lors d’entretiens de groupe. Opinions, pratiques professionnelles et mises en situation sur la supervision et l’autonomie des enfants : aucun sujet n’y échappe.  

Entre le nous et les autres 

Donc, l’indépendance est vraiment de se débrouiller à un âge vraiment jeune alors que je pense que les Québécois et les Québécoises, nous l’étirons un peu plus jusqu’à 12 ans. Pour eux, c’est comme ils ont besoin de se débrouiller plus facilement. Ceux qui travaillent la nuit vont se dire que « Bon, il dort, c’est correct, il peut dormir, s’il ne se réveille pas, il n’y a pas de problème ». Pour nous, c’est comme, nous avons de la difficulté avec ça. (Traduction libre des propos du policier ou de la policière # 1) 

Bien que certaines pratiques des familles issues de la diversité ethnoculturelle peuvent déstabiliser ou même choquer les intervenantes et intervenants, bon nombre font preuve d’ouverture d’esprit et restent empathiques face aux diverses réalités familiales. L’enjeu principal? Leurs propres représentations de la négligence et de la notion de « bon parent » qui guident leur évaluation dans le cadre de leur travail.   

Parfois, nous sommes trop pris dans nos valeurs personnelles. Même si ce n’est pas ce que nous voulons, même si nous avons les meilleurs outils au monde, nous sommes humains et nous sommes les premiers outils dans nos interventions. Il est certain que notre système de valeurs nous influence d’une certaine manière. (Traduction libre des propos de l’intervenant ou de l’intervenante # 4 en éducation) 

Autrement dit, les intervenantes et intervenants font (in)consciemment des allers-retours entre leur chapeau parental et leur chapeau professionnel. 

Responsabiliser les enfants : le Québec, un peu trop peureux?  

Au Québec, « petit poisson deviendra grand » …vers l’âge de 12 ans! En effet, cet âge semble être un bon marqueur de maturité chez les enfants. Les parents ainsi que les intervenantes et intervenants les considèrent alors assez matures pour rester seuls à la maison ou pour se rendre à l’école sans adulte. Or, aucune loi au Québec à l’exception de l’absence de surveillance d’un enfant dans un véhicule (7 ans) ne réglemente l’âge minimum dans de telles situations. Plusieurs professionnelles et professionnels interrogés critiquent la rigidité de la culture dominante qui valorise la surprotection des enfants.  

[Nous sommes] davantage insécures, plus chicken [et] attendons plus longtemps avant d’offrir à certains enfants la possibilité d’exprimer ou d’expérimenter leur autonomie [que les nouveaux arrivants]. Donc, il y a un choc difficile à gérer. Tu dois être prudent·e en tant que professionnel·le parce que tu peux facilement commencer à analyser toutes les situations comme de la négligence. (Traduction libre des propos de l’intervenant ou de l’intervenante # 2 en éducation) 

Alors, pourquoi utiliser ces règles non écrites pour évaluer l’autonomie des enfants? Parce qu’elles semblent aller de soi pour les personnes travaillant auprès des enfants, soit parce qu’elles concordent avec leur propre expérience professionnelle, soit parce qu’elles font écho à ce qu’elles ont connu dans leur jeunesse. 

Outils de prise de décision : couteau à double tranchant 

La solution pour assurer une meilleure objectivité en milieu de travail? L’utilisation d’outils de prise de décision, tels que des guides d’entretien et des critères d’évaluation standardisés. De prime abord, cette procédure assure une certaine neutralité et davantage d’objectivité dans l’évaluation de la sécurité des enfants en milieu familial. Parfait, non?  

Pas tout à fait… Ces outils sont conçus à partir des idées préconçues et des préjugés de la culture dominante qui dicte ce qu’est la négligence. Leur définition ne prend donc pas nécessairement en compte les différences ethnoculturelles et familiales qui existent dans une société multiculturelle comme le Québec. De ce fait, transposer directement les outils de prise de décision aux familles issues de la diversité ethnoculturelle risque d’entrainer de la discrimination.  

La flexibilité dans l’intervention : une solution?  

Les professionnelles et professionnels interrogés évoquent l’importance d’aller au-delà des outils de prise de décision en posant davantage de questions aux parents. Chaque famille a son parcours migratoire, ses expériences de vie ou ses valeurs. Il n’y en a pas deux pareilles, et ce, même si elles partagent la même culture.  

Donc, immédiatement, nous les étiquetons comme des parents négligents. Mais, quand nous parlons avec les parents, ils ne sont pas des parents insouciants, pas du tout, ce sont des parents qui s’efforcent de trouver une place dans la société, un travail, à offrir une bonne éducation… (Traduction libre des propos de l’intervenant ou de l’intervenante # 2 travaillant dans le système de santé) 

Pour atténuer l’impact de leur subjectivité dans le cadre de leur travail, les intervenantes et intervenants centrent leur évaluation sur l’autonomie de l’enfant et son bien-être. 

Je crois qu’il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu, c’est donc plus simple de les défendre quand on connait le niveau d’autonomie de l’enfant, son sentiment de sécurité. […] Donc, c’est drôle quand nous essayons de répondre pour les enfants en général parce qu’il y a plusieurs variables qui entrent en ligne de compte. (Traduction libre des propos de l’intervenant ou de l’intervenante # 2 travaillant dans le système de santé) 

Ainsi, les personnes travaillant auprès des enfants d’origine ethnoculturelle diverses accompagnent les parents dans la compréhension de la maturité de leur enfant ainsi que de ses besoins.

Un pas dans la bonne direction… 

L’approche individualisée, mais structurée, des professionnelles et professionnels auprès des familles issues de la diversité ethnoculturelle correspond d’ailleurs à la voie que de nombreux organismes publics empruntent pour assurer l’équité, la diversité et l’inclusion. D’où l’importance de promouvoir et d’offrir des formations sur le pluriculturalisme aux personnes travaillant auprès des enfants. Ces éléments sont ni plus ni moins la clé pour réduire les inégalités et la discrimination vécues par les familles issues des communautés ethnoculturelles diverses au Québec.