À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Marianne Kempeneers, Alex Battaglini et Isabelle Van Pevenange « Chiffrer les solidarités familiales », publiée en 2015 par le Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions, Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Bordeaux-Cartierville–Saint-Laurent-CAU.

  • Faits saillants

  • Les proches aidants – membre de la famille ou de l’entourage – assurent une part très importante du soutien aux personnes âgées en perte d’autonomie. Les femmes offrent plus d’heures de soins aux personnes âgées que les hommes (11,9 heures de soins par semaine contre 7,6 heures). Cette prise en charge est non rémunérée et conduit plusieurs proches aidants à l’épuisement.
  • S’appuyant sur la méthode du coût de remplacement généraliste, l’étude montre que pour remplacer, les 382 millions d’heures par an en soutien fourni par les proches aidants, il en coûterait à l’État québécois entre 4 et 10 milliards de dollars par année, selon le taux horaire retenu dans ce calcul.
  • Il faut ajouter à ce montant, les 2,9 $ milliards que l’État consacre déjà annuellement aux soins de longue durée mais aussi les coûts directs et indirects des soins informels.

Avec le virage ambulatoire de 1995, le maintien à domicile des aînés est devenu la stratégie de prédilection du système de santé québécois en matière de soins aux aînés. Cette mesure répond souvent aux souhaits des aînés et des familles, mais elle apparaît aussi comme une solution moins coûteuse pour l’État. On le sait : le maintien à domicile sollicite énormément les proches aidants. À terme, si ces derniers deviennent trop épuisés pour assurer ce soutien, le système de santé devra reprendre cette responsabilité. Combien en coûterait-il alors à l’État? Quelles sont les économies réelles effectuées grâce aux proches aidants? L’équipe de Marianne Kempeneers a mis à jour des chiffres forts révélateurs. 

85% des soins aux aînés assumés par les proches aidants

En 2013, 85 % des soins aux aînés étaient assurés par les proches aidants [1]. Le réseau familial est la première ressource de soutien, en raison de sa proximité, de sa souplesse, de sa polyvalence et… de sa gratuité. Les familles ressentent souvent une responsabilité à l’égard de leur proche et se montrent parfois réticentes à recourir aux services formels.

Pourtant, des études ont démontré que les familles sont plus susceptibles de s’engager auprès de leur parent âgé lorsqu’elles reçoivent un soutien public substantiel. À l’inverse, si les familles ne reçoivent pas d’aide de l’État, elles vivent plus souvent de l’épuisement et peuvent renoncer à prendre soin de leur proche.

Selon une étude réalisée en 2012 aux États-Unis [2], 32 % des proches aidants disent avoir une santé fragile et 40 % signalent des problèmes de dépression ou de morosité. Si l’État veut éviter un épuisement total des proches aidants, et de ce fait, une « démission » de leur part, il doit envisager de prendre certaines mesures. Selon les chercheurs, il faut trouver un plus juste équilibre entre aide publique et aide informelle.

Les femmes au cœur de l’aide informelle

Les femmes fournissent plus d’heures de soins aux personnes âgées que les hommes : 11,9 heures par semaine contre 7,6 heures. Le type d’aide apporté est aussi plus contraignant que celui fourni par les hommes. Elles s’occupent, entre autres, des soins personnels et médicaux, de la gestion et de la coordination des soins, des tâches ménagères et de la préparation des repas. Cet engagement est largement sous-estimé dans les statistiques officielles.

Une valeur de plus 10 milliards de dollars 

Si les proches aidants devenaient trop épuisés pour assurer le soutien à domicile des aînés, combien en coûterait-il alors à l’État? Quelles sont les économies réelles effectuées grâce aux familles? Les chercheures ont utilisé la méthode du coût de remplacement généraliste, qui a permis de calculer le montant total de la rémunération de la main d’œuvre nécessaire pour répondre aux besoins des aînés selon un scénario où les proches aidants abandonnaient toute forme d’aide.

Selon les données québécoises de 2007, 728 000 aidants âgés de plus de 45 ans offraient des soins à des personnes âgées de 65 ans et plus souffrant d’un problème de santé ou d’une limitation physique de longue durée. Ces aidants, bien souvent le conjoint, la conjointe ou l’enfant de la personne âgée, dispensent en moyenne 10,1 heures d’aide par semaine, soit 382 millions d’heures par an. Au salaire minimum (10,35 $/h), il en coûterait donc près de 3,95 milliards de dollars par année à l’État québécois. Si on payait cette main-d’oeuvre selon le tarif  moyen d’une aide à domicile, soit 24,94 $/h, le coût grimperait à près de 10 milliards de dollars par année. Et c’est sans compter les 2,9 $ milliards que l’État consacre déjà annuellement aux soins de longue durée [3].

Pour obtenir un portrait encore plus juste de la situation, il faudrait également ajouter les coûts directs et indirects liés aux soins informels. Bien qu’ils s’inscrivent dans une logique d’échanges non marchands, les soins informels ne sont pas pour autant totalement gratuits. Aînés et proches assument aussi des frais en matière de transport, de médicaments ou d’équipements spécialisés, par exemple.

L’impact sur le travail

La productivité au travail est aussi affectée par la charge du proche aidant, qui doit, plus souvent que les autres, s’absenter, interrompre ses journées de travail, prendre des congés de maladie, laisser un horaire temps plein pour un temps partiel, etc.

On estime que les entreprises québécoises perdent en moyenne 100 millions de dollars par année en raison des absences des proches aidants [4]. Pour l’État, c’est aussi un manque à gagner, notamment en termes d’impôts non-perçus.

L’étude de Kempeneers met en valeur le rôle majeur des proches aidants en matière de soins aux aînés. Une responsabilité qui se traduit par des économies substantielles pour le système de santé québécois. À l’heure du papyboom, la question de la reconnaissance du rôle des proches aidants, et du soutien qui devrait leur être offert, se pose avec d’autant plus d’acuité.


Dans cette étude, les chercheurs considèrent comme proche aidant tout membre de la famille ou de l’entourage qui comble les besoins physiques, psychologiques ou sociaux d’une personne nécessitant du soutien, et cela, de façon non rémunérée et sans l’expertise nécessaire à la réalisation de certaines tâches. Le soutien fourni par les proches aidants constitue ce que l’on appelle l’aide informelle et se distingue des soins formels qui, eux, sont prodigués par des professionnels qualifiés et subventionnés par le gouvernement, dans des institutions reconnues. 

[1] HÉBERT, R. (21 octobre 2013). Émission Tout le monde en parle. Radio- Canada ; GERVAIS, L-M. (15 avril 2009). «Le travail des aidants naturels équivaut à 25 milliards de dollars». Le Devoir, p. A4.

[2] REINHARD, S., LEVINE, C., SAMIS, S. (2012). Home alone : Family Caregivers providing Complexe Chronic Care. Washington (DC) : AARP Public Policy Institute. 50 p. 

[3]VALLÉ, P. (23 novembre 2013). «Assurance autonomie – Toute privatisation ne se fait pas sans danger ». Le Devoir, p. H3. 

[4] DUXBURY, I., HIGGINS, C. et SCHROEDER, B. (2009). « Balancing Paid Work and Caregiving Responsibilities: A Closer Look at Family Caregivers in Canada», Ottawa: ressources humaines et Développement des compétences Canada.